Constatant que se répand dans la société un manque de considération croissant entre personnes issues de catégories différentes, hommes et femmes, boomers et milléniaux, favorisés et précaires, urbains et ruraux, l’auteure plaide pour que chacun réapprenne à respecter les autres dans leur diversité et leur singularité.

En signant la préface de Ma vie sur la route de Gloria Steinem, Christiane Taubira nous l’a rappelé : il y a « urgence de faire ensemble. Et ce n’est pas une corvée, si tant est que l’on sache restituer la sensibilité qui émane de ces causes contre le sexisme, le racisme, l’antisémitisme, l’homophobie, la xénophobie, l’islamophobie... Cette sensualité tient à la chair. C’est pour des êtres de chair, pas pour des abstractions, que ces batailles sont livrées ».

Partout où nous devons mettre le genou à terre pour dire à nouveau « Black Lives Matter », le combat pour le respect reste à gagner. Partout où nous devons coller sur les murs des affichettes pour dire « la vie des femmes compte », le combat pour le respect reste à gagner. Partout où nous devons manifester pour clamer « la vie des homosexuels et des transsexuels compte », le combat pour le respect reste à gagner. Partout où nous devons défendre le quatrième âge pour qu’il ne soit pas considéré comme un sous-âge, le combat pour le respect reste à gagner. Partout où nous devons dénoncer la persistance des discriminations, le combat pour le respect reste à gagner.

Tant que nous devrons enterrer des femmes et des hommes morts de la grande pauvreté et de l’indifférence, le combat pour le respect restera à gagner.

Tant que la précarité économique entraînera des femmes et des hommes dans une spirale de honte et d’exclusion sociale, le combat pour le respect restera à gagner. Tant que la « fatalité de la transmission » que raconte Annie Ernaux dans L’événement persistera, le combat pour le respect restera à gagner.

Alors, luttons.

Luttons en nous attachant à retisser les liens sociaux qui nous permettent de nous construire. Cela exige de notre part de combler les failles de notre société qui abîment les relations d’affection et de dépasser les limites actuelles des formes de nos solidarités individuelles et collectives.

Nous semblons n’avoir que peu conscience des difficultés d’un individu dont tous les liens se délitent. Il nous faut apprendre à faire naître, ou à nourrir, des relations avec ceux qui se laissent envahir par la honte d’avoir perdu un emploi, un conjoint, ou de ne plus s’en sortir à la fin du mois. Il nous faut apprendre à être aux côtés de ceux qui sont victimes de rejet, au sein de leur foyer ou de la part de leurs amis et collègues de travail, de ceux que certains refusent d’accepter et de reconnaître dans toute leur différence. Il nous faut faire de la solidarité un de nos principes de conduite comme individus et comme société. Sans obligation ni impératif, si nous nous attachons à faire primer dès que nous le pouvons l’entraide sur l’indifférence, nous contribuerons à redonner à beaucoup la confiance en soi.

Nous avons fait de la fraternité le troisième pilier de notre devise républicaine. Le Conseil constitutionnel a reconnu en 2018 la valeur constitutionnelle de ce principe et en a fait découler « la liberté d’aider autrui, dans un but humanitaire, sans considération de la régularité de son séjour sur le territoire national ». Nous sommes libres de nous aider. Saisissons-nous pleinement de cette liberté. Les fondements mêmes de notre société découlent du principe de fraternité. Il est au cœur du préambule de la Constitution de 1946, grâce auquel nous nous garantissons collectivement la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos, les loisirs, le droit à des moyens convenables d’existence, l’égal accès à l’instruction, à la formation professionnelle et à la culture.

Osons la fraternité et les droits et les devoirs qui en découlent. Attachons-nous à la faire vivre, à faire primer le partage sur l’égoïsme, à donner corps à la solidarité.

Autrement dit, attachons-nous à désormais toujours faire prévaloir le souci de l’autre sur l’indifférence, et le respect dans les relations que nous tissons avec lui.

Le principe de fraternité est également, à l’échelle mondiale et intergénérationnelle, au fondement de la protection de l’environnement. Le juge de la Cour suprême du Canada Charles Gonthier a, parmi les premiers, théorisé le fait que « ne pas polluer l’espace des autres pays, respecter la biosphère comme un bien commun des hommes et laisser un environnement viable aux générations futures est un devoir de fraternité » (je reprends les mots de Guy Canivet). Or, en France, tandis que l’urgence climatique exige des changements radicaux de pratiques, un été voit un grand bond en arrière sur l’interdiction du glyphosate, un autre l’annonce du retour de néonicotinoïdes qui ne laissent aucune chance aux insectes pollinisateurs. Ou comment être au rendez-vous de la destruction de la biodiversité et des coups de boutoir portés à l’environnement et à la planète. Cessons enfin de marcher sur la tête. Luttons pour retrouver le respect. Luttons pour que l’égalité des droits promise se traduise enfin en égalité réelle, afin que chacun soit reconnu dans les faits et non plus seulement dans les textes comme un sujet de droit égal à tous les autres sujets de droit.

Entre les femmes et les hommes, l’égalité salariale est devenue l’un des enjeux les plus fondamentaux tant les écarts sont énormes et le rythme de leur réduction lent. Quand le Forum économique mondial annonce, en décembre 2018, qu’à l’allure actuelle la parité dans le monde du travail sera atteinte dans deux cent deux ans, il faut avouer qu’un soupir de lassitude précède l’irrésistible envie de se relever les manches. Irrésistible envie, car nous avons les moyens d’aller plus vite, plus loin, plus fort, grâce à l’énergie de la jeunesse, grâce au militantisme, grâce à l’éducation, à travers de nouvelles obligations législatives également, et en faisant savoir, aussi, une réalité toute simple : plus d’égalité entre les femmes et les hommes, c’est plus de richesse pour tous.

Respect !

Respect !

Éditions Équateurs, 2021

172 pages

Qui est Agathe Cagé ?

Docteure en science politique, Agathe Cagé a été conseillère puis directrice adjointe du cabinet des ministres de l’Éducation nationale française de 2014 à 2017, avant de devenir secrétaire générale de la campagne de Benoît Hamon, candidat à l’élection présidentielle française en 2017. Elle a notamment publié Faire tomber les murs entre intellectuels et politiques (Fayard, 2018).