Après un looooong mandat à la barre d’Éduc’Alcool, Hubert Sacy a récemment tiré sa révérence. Le matin où je le rencontre pour un café avant son dernier conseil d’administration, il est fébrile : « On peut dire que c’est last call ! »

Je note ses paroles avant d’en saisir complètement l’ironie. L’homme qui a tenté d’alerter les Québécois sur les dangers liés à la consommation abusive d’alcool vient vraiment de me dire « last call », célèbre formule du barman avant d’allumer les lumières…

Je ne me souviens plus quand Hubert Sacy est apparu la première fois sur mon radar de journaliste ni de la première fois que je l’ai interviewé. Il est pour ainsi dire dans le paysage depuis toujours : 31 ans à la barre d’Éduc’Alcool.

Curé des temps modernes pour les uns, pédagogue pour les autres, Hubert Sacy était pour ainsi dire fait pour devenir le visage public d’Éduc’Alcool, dont il a été le premier directeur, dès la fondation de l’organisme : il ne boit à peu près pas.

— Buvez-vous, des fois ?

— Très peu, répond-il. Je n’ai jamais été paqueté une seule fois de toute ma vie. Mes parents m’ont enseigné le goût, en tout. Pour l’alcool aussi. J’avais 16 ans quand ma mère m’a fait découvrir les vins…

J’ai voulu faire une dernière entrevue avec Hubert Sacy parce que je considère qu’il a fait œuvre utile pendant trois décennies – dont une ou deux à prêcher dans le désert – en prenant la parole sur toutes les tribunes à propos des dangers de l’alcool. Nous vivons dans une société qui a longtemps fait la danse du bacon à la seule vue d’un joint, mais qui ne mettait pas l’alcool sur le même pied que le pot

Cliniquement, l’alcool est pourtant une drogue, comme le pot. Et comme la coke, les pilules, l’héroïne.

C’est juste que l’alcool est la drogue de tout le monde, la drogue socialement acceptable. C’est aussi l’alcool qui coiffe le palmarès des drogues les plus dommageables pour soi-même et pour la société. Comme c’est la drogue de tout le monde, c’est facile d’oublier que c’est ça, une drogue, à consommer avec modération.

Quand un ivrogne fauchait deux, trois vies après s’être soûlé à la vue de tous dans un resto-bar, Hubert Sacy faisait des entrevues sur les responsabilités des établissements. Quand des publicités de drinks sucrés ciblaient indécemment les jeunes, Hubert Sacy dénonçait. Quand les beuveries de la Saint-Jean se profilaient à l’horizon, Hubert Sacy mettait en garde. Quand une serveuse perdait sa job pour avoir refusé de servir un ivrogne, Hubert Sacy montait au créneau.

Comme journaliste, tu préparais un reportage impliquant l’alcool et Hubert Sacy était au bout du fil en 10 minutes, maîtrisant ses dossiers – statistiques, lois, références –, toujours prêt à donner du contexte, à grands coups de formules-choc, sans jamais tourner les coins ronds.

En 31 ans, on l’a pourtant souvent décrit comme un casseux de party, un moralisateur qui n’aime pas le fun

« J’ai jamais voulu être un casseux de party », réplique-t-il, l’air blessé.

J’ai toujours voulu dire cette chose toute simple : le problème, ce qui casse le party, c’est pas l’alcool, c’est l’excès.

Hubert Sacy

Je n’ai jamais compris pourquoi Hubert Sacy a parfois été considéré comme un ennemi du plaisir. Voici le représentant d’un organisme qui nous disait : écoutez, si vous ne voulez pas tomber dans les excès, voici ce à quoi vous devriez faire attention…

Si vous êtes une femme : pas plus de 2 verres par jour, pas plus de 10 verres par semaine.

Si vous êtes un homme : pas plus de 3 verres par jour, pas plus de 15 verres par semaine.

Et si vous voulez éviter l’intoxication et les complications qui s’y rattachent, évitez de prendre plus de quatre verres en une même occasion si vous êtes un homme ; trois si vous êtes une femme…

Ah, et puis, mangez donc en même temps que vous buvez, aussi…

C’est le genre de message que lance Éduc’Alcool, message porté pendant 31 ans par Hubert Sacy.

Je ne l’ai jamais trouvé, personnellement, moralisateur ; je n’ai jamais eu l’impression d’avoir affaire à un curé, juste un monsieur très straight sur les faits, qui donne des informations aux gens et qui leur recommande de les suivre.

Un monsieur qui voulait, au fond, responsabiliser les Québécois : oui, il y a l’État, oui, il y a les lois, oui, il y a les amendes…

Mais il y a aussi nous, les adultes, nous et notre responsabilité individuelle face à la bouésson.

Pour ça, il s’est pourtant fait traîner dans la boue, plus d’une fois.

— La pire fois ?

— En 2014, quand j’ai critiqué l’émission Les recettes pompettes !

L’animateur Eric Salvail était alors au sommet de sa gloire. Il animait Les recettes pompettes, où des célébrités cuisinaient avec Salvail en se soûlant. Sympathique concept en surface, mais insidieux sur le fond, dans sa glorification de l’intoxication. L’émission faisait un carton pour le diffuseur, V.

Un journaliste a demandé à Hubert Sacy ce qu’il pensait du concept, justement…

« J’ai répondu : “C’est épouvantable, ça valorise l’abus d’alcool. C’est catastrophique pour les jeunes, les personnes vulnérables…” »

Les quatre jours suivants ont été pénibles pour Hubert Sacy, désigné Assassin du fun sur les réseaux sociaux. Il a passé quatre nuits à mal dormir, non pas car on l’attaquait, lui, mais parce qu’il craignait que la crédibilité d’Éduc’Alcool en soit entachée : « J’avais peur que tout ça s’écroule. Mais on a fait un sondage et, non, pas du tout… Ça avait même augmenté. Constat : la vie, ce n’est pas les réseaux sociaux ! »

Avant qu’il ne prenne congé pour aller assister à son dernier C.A., j’insiste :

— Vous n’avez jamais été un peu paqueté, M. Sacy ?

— Jamais.

— Même pas un peu cocktail ?

— Bah, dans une noce, peut-être. Mais jamais au point de perdre le contrôle…

C’est au tour de Hubert Sacy d’insister : « Je n’ai aucun mérite, je suis comme ça. » Il peut s’abstenir de boire pendant des semaines, pendant des mois, même.

— Je vais vous dire ce qui m’agace, M. Lagacé…

— Dites-moi…

— Il ne faut pas que ne pas boire soit un exploit. Ça m’agace quand on me pose une question en particulier : quand on me demande pourquoi je ne bois pas. Je réponds alors : “Parce que je suis enceinte !” Pourquoi on devrait se justifier ? Est-ce que ceux qui boivent se font demander pourquoi ils boivent ?

Sur ce, les cafés sont terminés et Hubert Sacy se lève, me salue et se dirige vers ce dernier C.A., ultime acte d’une mission qui aura duré 31 ans, celle de nous faire réfléchir aux excès liés à l’alcool.

Il y a de pires façons d’avoir occupé l’espace public.

Santé, M. Sacy.

Questionnaire sans filtre

  • Le café et moi : Noir, fort, beaucoup le matin et plus une seule goutte passé midi.
  • Les gens que j’aimerais réunir à souper, morts ou vivants : Louis de Buade de Frontenac, Louis-Joseph de Montcalm, Marguerite Bourgeoys, Marie de l’Incarnation, Louis-Joseph Papineau, Daniel Johnson, Charles de Gaulle et René Lévesque.
  • Un évènement auquel j’aurais aimé assister : La victoire des Springboks, l’équipe nationale d’Afrique du Sud au Championnat du monde de rugby en 1995 qui a scellé la naissance de ce pays comme nation.
  • Qui sont vos héros ? En politique : Nelson Mandela et Aung San Suu Kyi. En sport : Michael Schumacher et Christine Sinclair. Dans la vie : ma mère.
  • Un don que j’aimerais posséder : l’intuition.
  • Sur ma pierre tombale, j’aimerais que l’on inscrive : Il n’était pas parfait, mais il a fait de son mieux.

Qui est Hubert Sacy ?

  • Né en 1947 à Alexandrie, en Égypte
  • Titulaire de nombreux diplômes en droit, sciences politiques et études littéraires françaises à l’Université de Lyon. M. Sacy possède également un diplôme en publicité à HEC Montréal.
  • Il a occupé durant plus de 31 ans le poste de PDG de l’organisme Éduc'Alcool.
  • Son travail a fait l’objet de nombreuses marques de reconnaissance, il a reçu notamment la médaille de l’Assemblée nationale du Québec et est devenu membre de l’Ordre du Canada.
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