Coincés entre inflation et augmentation des taux d’intérêt, les consommateurs risquent de sentir la pression augmenter au cours des prochaines années, et devront ainsi revoir leur façon de dépenser et leurs habitudes de consommation. Pour Jacques Nantel, professeur émérite en marketing à HEC Montréal depuis près de 40 ans, la sortie de pandémie ne se fera pas sans fracas, alors que l’après-COVID-19 pourrait bien rimer avec récession.

L’augmentation du taux directeur par une banque centrale produit un effet rapide sur l’ensemble des taux en vigueur dans son pays. Les taux des cartes de crédit, des emprunts bancaires ainsi que les taux hypothécaires se mettent aussi à monter. Il en va de même sur les dépôts bancaires qui, plutôt que de se voir payer des taux dérisoires, se voient gratifiés de taux plus élevés. C’est le but même de la manœuvre. En augmentant les taux en vigueur dans son pays, une banque centrale cherche à amener les entreprises et les consommateurs à ne plus emprunter, mais plutôt à épargner, faisant ainsi, à terme, diminuer l’inflation. Bien entendu, la prudence est aussi de mise ici.

Un taux directeur trop élevé ou rehaussé trop rapidement peut freiner toutes les ardeurs de dépenses et d’investissements tant de la part des consommateurs que de celle des entreprises. C’est la faible marge de manœuvre avec laquelle les gouverneurs de banques centrales doivent composer depuis le mois de mars 2020.

En septembre 2007, deux ans avant la débâcle qui a suivi la célèbre crise des papiers commerciaux adossés à des actifs (PCAA), le taux directeur de la Banque du Canada se situait à 4,5. Voulant stimuler l’économie, la Banque du Canada l’avait abaissé de manière progressive de sorte qu’à l’automne 2008, il se situait à 2,25 %. Une hypothèque à taux fixe de 5 ans pouvait alors s’obtenir à un taux de 5,39 % après rabais. Puis, à l’automne 2009 survint la crise que l’on sait. Voulant soutenir l’économie, la Banque du Canada, comme la plupart des banques centrales, laissa glisser son taux directeur à 0,25 %, de sorte qu’une hypothèque à taux fixe de 5 ans se négociait désormais à 4,04 %. Dix ans après, craignant une surchauffe de l’économie, la Banque du Canada avait progressivement remonté son taux directeur à 1,75 %, taux qu’elle maintint jusqu’au début de la pandémie. À compter du 4 mars 2020, la Banque du Canada se mit à intervenir rapidement afin de stimuler une économie sur le point d’écoper solidement. Le 4 mars, elle abaissait son taux directeur de 1,75 % à 1,25 %, pour ensuite l’abaisser de nouveau à 0,75 % le 16 mars et à 0,25 % le 27 mars. En novembre 2021, le taux directeur se maintenait toujours à 0,25 % alors que le gouverneur de la Banque du Canada, le même qui nous disait qu’il n’y avait pas de risque d’inflation, répétait à qui veut l’entendre qu’il n’était pas question de l’augmenter.

Pourtant, si on étudie l’évolution récente des taux les plus bas consentis pour une hypothèque de 5 ans, il en ressort que les prêteurs hypothécaires, notamment les banques, ne semblent pas être du même avis que celui défendu par la Banque du Canada. Depuis leur seuil le plus bas de janvier 2021, alors que certains prêteurs offraient des hypothèques de 5 ans à un taux de 1,39 %, ce taux est passé, en octobre 2021, à 1,94 %. Des grenailles, dirons-nous, mais pour une hypothèque de 300 000 $ étalée sur 25 ans, ceci représente tout de même des hausses de paiements mensuels de 77,88 $, soit 934,56 $ sur une base annuelle. Au moment où il y a un risque bien réel d’inflation et alors que l’endettement des ménages remonte, ces montants, même s’ils semblent petits, pourraient être conséquents.

Ces hausses dans les taux d’intérêt surviennent alors que les banques ne font qu’anticiper des hausses du taux directeur. Imaginez ce qui va se passer lorsque la Banque du Canada va effectivement relever son taux directeur (et elle le fera). Le scénario ayant prévalu après la crise de 2009 est un bon indicateur de ce qui risque de se produire.

Lorsque la Banque du Canada a ramené son taux directeur de son seuil plancher de 0,25 % pour le faire remonter à 1,75 %, les taux hypothécaires de 5 ans fixes sont remontés à 3,25 %. Si un tel scénario devait se reproduire, le paiement mensuel sur un solde hypothécaire de 300 000 $ passerait de 1183,81 $ avec un taux de 1,39 % à un paiement de 1458,50 $, à un taux de 3,25 %. Une hausse de près de 275 $ par mois, 3296,28 $ par année. Sur le budget moyen des ménages canadiens qui se situe autour de 70 000 $ par année, c’est tout de même une ponction de 5 % qui ne leur donnera rien de plus.

Lorsque les boomers évoquent à de « jeunes » milléniaux l’impact que pourrait avoir une hausse des taux d’intérêt, ils ont souvent tendance à rappeler qu’eux, en 1981, payaient près de 18 % sur leur hypothèque. Ces propos sont souvent perçus comme si peu plausibles en 2021 que l’on a tendance à les escompter. Pourtant, un simple saut du taux hypothécaire, fort probable celui-là, de 1,39 % à 3,25 %, reste suffisant pour nous faire réfléchir aux conséquences que cette pandémie et ses suites auront sur notre profil de consommation.

En passant, dans notre exemple d’une hypothèque de 300 000 $ à un taux fixe sur 5 ans, si ce taux venait qu’à passer de 1,39 % à 18 %, ceci représenterait des paiements additionnels de 38 583,96 $ par année.

S’en sortir ! – Notre consommation entre pandémie et crise climatique

S’en sortir ! – Notre consommation entre pandémie et crise climatique

Éditions Somme toute, février 2022

158 pages

Qui est Jacques Nantel ?

Jacques Nantel est professeur émérite de marketing à HEC Montréal depuis près de 40 ans, chercheur et spécialiste du commerce de détail. Il est l’un des experts les plus connus dans son champ d’expertise et intervient fréquemment dans les médias. Il est l’auteur de nombreux livres – il a notamment cosigné le best-seller Le Code Québec – et a publié plus de 300 articles scientifiques et de vulgarisation.