Vous avez des questions sur nos éditoriaux ? Des interrogations sur les sujets chauds de l’actualité ? Chaque semaine, l’équipe éditoriale répond aux lecteurs de La Presse.

Tous les médias, maires et élus répètent que ces gens ont le droit de manifester, mais ne faut-il pas un permis de manifester et un tracé pour qu’une manifestation soit légitime ? À Ottawa comme à Québec, ces manifestations sont illégales avant même qu’on parle de siège !

Johanne Côté, Québec

Il est vrai que lors du printemps érable de 2012, dont on souligne le 10anniversaire ces jours-ci, plusieurs municipalités exigeaient la divulgation de l’itinéraire et même un permis pour qu’une manifestation puisse se tenir.

À Montréal, on avait même renforcé le règlement à ce sujet justement à cause des manifestations étudiantes.

Or, ces règlements municipaux ont été attaqués depuis devant les tribunaux, et avec succès.

En 2019, au terme d’une longue lutte juridique, la Cour d’appel a donné raison au citoyen André Bérubé, qui contestait une amende de 150 $ reçue pour avoir refusé de fournir son itinéraire à la police lors d’une manifestation tenue à Québec contre l’indexation des droits de scolarité.

La Cour a jugé que les articles du règlement de la Ville de Québec qui exigeaient de fournir l’itinéraire avant de tenir une manifestation étaient contraires à la Charte canadienne des droits et libertés. Plus précisément, ils brimaient la liberté d’expression et celle de se réunir pacifiquement.

Les juges ont fait observer que l’application de ce règlement rendait illégale toute manifestation spontanée.

De la même façon, la Cour d’appel a invalidé en 2018 des articles du fameux règlement P-6 de la Ville de Montréal encadrant les manifestations. Celui-ci avait été contesté par Julien Villeneuve, surnommé « Anarchopanda pour la gratuité scolaire » parce qu’il défilait avec un costume de panda pendant les manifs étudiantes de 2012.

À la lumière de ces jugements, on ne peut donc pas affirmer que les manifestations qui ont secoué Ottawa et Québec sont « illégales » parce que ceux qui y ont participé n’ont pas fourni de trajet ou n’ont pas obtenu de permis au préalable.

Ce qui ne veut pas dire pour autant que ces manifestations sont légales.

Louis-Philippe Lampron, professeur à la faculté de droit de l’Université Laval, souligne que dans le cas d’Ottawa, à tout le moins, on n’a pas affaire à une manifestation traditionnelle.

« Une manifestation peut restreindre la circulation automobile. Maintenant, c’est une chose de marcher le temps d’une manifestation, ça en est une autre de se stationner en plein milieu d’une artère. Ça, selon mon analyse de la jurisprudence, ça pourrait être exclu de la protection de la liberté d’expression », dit-il.

« Manifester ne permet pas n’importe quel type d’action », ajoute le spécialiste.

Prenez votre voiture et allez la garer au beau milieu de la rue. Les probabilités sont excellentes pour que quelqu’un, calepin de contraventions à la main, vous fasse rapidement comprendre que vous violez le Code de la sécurité routière.

Les chartes des droits et libertés ont préséance sur les autres lois. Mais ce que le professeur Lampron explique, c’est qu’il est très peu probable qu’elles vous protègent si vous bloquez une rue pendant deux semaines avec un camion de 18 roues ou si vous établissez un campement en plein centre-ville, comme ce qui se passe à Ottawa.

Pour la petite histoire, il est amusant de noter qu’en 2012, le règlement montréalais interdisait de porter un masque lors d’une manifestation. Cet article a été contesté avec succès par Anarchopanda devant la Cour supérieure en 2016. Aujourd’hui, bien des gens regardent avec inquiétude les manifestants non masqués à Ottawa. Autres temps, autres mœurs…