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Votre éditorial qui plaide que la CAQ écorche la liberté universitaire avec son programme d’appui à la laïcité dénonce une dérive, mais passe sous silence le fait que le fédéral fait la même chose avec des fonds plus importants. N’y a-t-il pas là deux poids, deux mesures ?

Les commentaires de ce genre ont été nombreux à la suite de notre éditorial publié la semaine dernière.

(Re)lisez notre éditorial

La question mérite d’être creusée.

Les principales récriminations envers le financement fédéral concernent le « plan d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion » créé par les libéraux en 2017. Il vise à s’attaquer à la sous-représentation de quatre groupes – femmes, personnes handicapées, autochtones et minorités visibles – en recherche.

Aujourd’hui, tout chercheur qui veut obtenir des fonds de recherche fédéraux doit expliquer comment il compte atteindre les « critères EDI » (pour équité, diversité et inclusion) dans son équipe. Les universités doivent aussi offrir des formations et se doter de cibles en ce sens.

Les critiques visent aussi le programme de Chaires de recherche du Canada, qui fait également une large place aux « critères EDI ». Un exemple : l’automne dernier, l’Université Laval a annoncé un poste de titulaire de chaire de recherche en littérature française uniquement ouvert aux femmes, aux autochtones, aux personnes en situation de handicap ou à celles appartenant aux minorités visibles. L’Université a pris soin de préciser que ces critères n’étaient pas les siens, mais bien ceux du fédéral.

Ces initiatives ne sortent évidemment pas de nulle part. En 2002, deux ans après le lancement des Chaires de recherche du Canada, on a réalisé qu’à peine 15 % d’entre elles avaient été attribuées à des femmes.

En 2018, une recherche de l’Université McGill a aussi montré qu’à compétences égales, les chercheuses canadiennes ont moins de chances d’obtenir du financement que leurs collègues masculins.

À peu près personne ne remet donc en question la volonté de créer un milieu de la recherche équitable. Le débat est de savoir si les moyens sont les bons et s’ils vont trop loin. Ces controverses font écho à celles qui secouent les universités autour de ce qu’on appelle la « culture woke ».

Certains chercheurs affirment aujourd’hui que les fameux critères EDI sont érigés en idéologie et interfèrent avec leur liberté universitaire. L’embauche d’étudiants, par exemple, ne se ferait plus au mérite, mais en fonction de ces critères.

De nombreux chercheurs nous ont confié se plier aux règles et écrire dans leurs demandes de subventions ce que les agences fédérales veulent y retrouver. Ceux qui défient ce principe jouent, délibérément ou non, avec le feu. C’est le cas du professeur de chimie de McGill Patanjali Kambhampati, qui a écrit vouloir engager les membres de son équipe uniquement sur la base de leurs qualifications. Sans surprise, sa demande de bourse a été refusée.

Certains chercheurs ont également l’impression que certaines recherches sont devenues impossibles à financer. Celles qui voudraient jeter un regard critique sur le multiculturalisme ou le racisme systémique, par exemple, ne cadreraient plus avec l’idéologie en place. Ces allégations sont difficiles à démontrer, mais elles sont troublantes et doivent être examinées.

La recherche sur les Autochtones financée par le fédéral est aussi étroitement balisée. On précise qu’elle doit être menée « par et avec » les communautés et que celles-ci doivent « participer à l’interprétation des données et à l’examen des résultats de la recherche ». Ça va très loin. Des chercheurs qui mènent des recherches sur les Autochtones nous ont toutefois dit juger ces balises justifiées et tout à fait possibles à respecter.

Si elles s’avèrent, les dérives fédérales sont moins patentes (certains diront moins malhabiles) que celle du programme provincial d’appui à la laïcité. Dans ce cas, les demandes étaient évaluées par des fonctionnaires et non des pairs, et l’objectif avoué était de « promouvoir » un modèle précis de laïcité (un verbe qui ne cadre pas dans la définition de tâches d’un chercheur).

Mais ces débats, on le sent bien, sont loin d’être terminés. Considérant les biais du passé, il est normal que les fonds publics s’accompagnent de certaines obligations. D’un autre côté, il faut bien constater que le malaise dans les universités est réel.

Dans son rapport publié en décembre dernier, la Commission scientifique et technique sur la liberté académique québécoise s’interrogeait d’ailleurs sur les « tendances récentes à ajouter aux demandes d’octroi de subventions des conditions non académiques ».

La Commission ne fait pas de recommandations touchant le fédéral parce que ça dépasse son mandat. Mais si le Québec se dote d’une loi sur la liberté universitaire et que les universités forment des comités sur la question, comme c’est recommandé, cela pourrait contribuer à mettre en lumière d’éventuels problèmes dans l’attribution des fonds fédéraux.

Souhaitons en tout cas qu’on aille au fond des choses. Parce que toutes les accusations d’attaque contre la liberté universitaire doivent être prises au sérieux.