Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, quatre artistes nous présentent, à tour de rôle, leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Kim Thúy.

C’était une invitation de dernière minute pour célébrer le Nouvel An chez des amis. Il n’y avait pas de ballons ni de confettis, seulement des adultes qui discutaient dans la chaleur de la cuisine. J’ai croisé Jean-Marc entre deux cadres de porte, littéralement. En cinéphile timide et impressionnée, je l’ai entretenu avec des histoires déjantées et improbables. J’allais du concours de mathématiques où il fallait prouver que 1 = 1 au truc pour recoudre un bouton sans bouton en passant par la forme indestructible du Y.

Malgré cet échange éclaté, Jean-Marc m’a contactée quelques jours plus tard pour faire signer un roman pour la blonde d’un de ses deux fils. Il était assis au bout de ma table avec des mots enveloppants à propos de ses fils et une description tendre de la jeune fille pour m’aider à personnaliser ma dédicace. Il est revenu une autre fois pour m’offrir un livre. Comme s’il s’agissait d’une suite naturelle, il m’a invitée avec ma famille à souper chez lui en me demandant si Valmond avait des préférences.

Moi : Valmond bouge beaucoup...

Jean-Marc : Ma maison est la sienne.

Je ne me souviens plus du menu car la joyeuse conversation a pris toute la place dans ma mémoire. Émile et Alex ainsi que leurs copines nous ont accueillis avec enthousiasme. Nos nombreux éclats de rire m’ont fait croire que j’avais le même âge qu’eux, ou presque.

Un jour, j’étais en Nouvelle-Écosse où j’ai dormi dans une auberge qui ressemblait à une maison hantée avec des centaines de poupées placées partout, dont une géante qui me fixait intensément. Comme un faon, je me suis caché la tête sous les oreillers quand mon téléphone a sonné : « C’est Jean-Marc. » J’ai craqué ! Je lui ai décrit le bain bleu, les rideaux en dentelle bleue, le savon bleu, le couvre-lit bleu, les yeux bleus des poupées... Étonnamment, ma folie du moment ne l’a pas fait dévier de son plan d’organiser un autre repas ensemble.

C’était à mon tour de le recevoir chez moi, mais il a insisté pour cuisiner. De sa voix égale, il a tout simplement dit : « Tu t’occupes des ustensiles. Je m’occupe du reste. Et tout sera bleu ! »

Le jour J, Jean-Marc est arrivé les bras chargés. À ma grande surprise, Alex, Émile et leurs copines avaient préféré une soirée avec leur père et ses vieux amis plutôt que les leurs. Comme promis, j’avais sorti la nappe et les assiettes. Comme prévu, Jean-Marc a préparé des hors-d’œuvre avant de mettre son manteau pour aller griller les cailles sur le BBQ au charbon sous les flocons de neige. Nous avons retrouvé la même joie autour de la table en reprenant des histoires sans fin, sans queue ni tête, sans promesses ni attentes mais si indiciblement attachantes.

PHOTO CHRIS DELMAS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Jean-Marc Vallée

C’était ainsi chaque fois. C’était généreux chaque fois. C’était bienveillant chaque fois.

Au milieu de cette douce amitié tranquille est arrivé le Maître. Sans Jean-Marc le cinéaste et son film Dallas Buyers Club, je n’aurais pas su écrire mon dernier roman, em.

Je vous dévoile des bribes d’échanges avec un homme que j’ai eu la chance d’aimer :

Après ton film, j’ai envie de tout recommencer du début, de réécrire mes livres différemment.

Je souhaiterais avoir la plume crue comme ton langage au cinéma, savoir comment raconter la violence des scènes de viol collectif des femmes vietnamiennes par des pirates devant leurs pères/frères/cousins/amis figés, dépassés, devenus morts-vivants.

Si je pouvais, je décrirais la noirceur de ces années de peur omniprésente dans le regard des voisins, dans le souffle des proches, dans le silence d’un peuple pris en otage derrière le rideau de fer.

La puissance de ton film m’a frappée à un point tel que la lumière qui avait ébloui ma vision du monde jusqu’à ce jour s’est détournée pour éclairer la part sombre de ma mémoire, la vraie.

Jean-Marc, après avoir lu em :

« Je vous promets dans les mots qui suivent un certain ordre dans les émotions et un désordre inévitable dans les sentiments. »

Are you kidding me ? T’es forte. Je te pique cette entrée en matière pour présenter la première ébauche de mon scénario à mes producteurs. Je vais te citer, bien sûr.

Toujours aussi agréable de te lire et de découvrir tes univers, ton monde, ton regard, ta voix si unique, ton amour des mots, des gens, de la vie.

« When life does not find a singer to sing her heart, she produces a philosopher to speak her mind. » Khalil Gibran

Merci la vie. Merci ma chère amie.

Moi : Oh ! trop génial que mes mots puissent te servir.

Tu n’as pas besoin de me citer. Tu peux les adopter si tu veux.

Si tu es libre lundi ou mardi, je passerai te faire un petit mini coucou.

Jean-Marc : Oui, j’ai toutes sortes de bon thé, n’amène rien.