(Val-d’Or) C’est comme si le plafond de verre était tombé d’un coup.

L’an dernier, Mary Simon est devenue la première femme autochtone à occuper le poste de gouverneur général du Canada.

Kahsennenhawe Sky-Deer a été élue première grande cheffe féminine de Kahnawake.

RoseAnne Archibald est devenue la première femme élue cheffe de l’Assemblée des Premières Nations.

Et l’été dernier, Mandy Gull-Masty a remporté une élection qui l’a hissée à la tête de toute la nation crie, encore une première pour une femme.

Nous avons la chance d’avoir cette dernière devant nous pour lui poser la question. Que se passe-t-il ?

« Je suppose que c’est l’année des femmes ! lance-t-elle en souriant. Je ne sais pas d’où ça vient et pourquoi ça se produit maintenant, mais je suis vraiment ravie de voir ça. »

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Mandy Gull-Masty, grande cheffe du Grand Conseil des Cris du Québec

Je pense que la présence de femmes dans des positions de leadership ouvre la porte à ce qu’on entende la voix des femmes là où on ne les a pas entendues jusqu’à maintenant.

Mandy Gull-Masty, grande cheffe du Grand Conseil des Cris du Québec

Cette « année des femmes », on l’a aussi vécue lors des dernières élections municipales, alors que des mairesses ont été élues à la tête de plusieurs grandes villes du Québec. Comme si l’évolution des mentalités se faisait en parallèle chez les Autochtones et les non-Autochtones…

Mandy Gull-Masty nous reçoit dans un bureau du gouvernement cri de Val-d’Or. Nous aurions adoré la rencontrer chez elle, à Waswanipi, une communauté située entre Chibougamau et Lebel-sur-Quévillon. Mais les règles d’isolement dues à la COVID-19 nous en ont empêché.

L’important, de toute façon, est de lui parler. Parce que Mandy Gull-Masty a des choses à dire. Pendant que Minnie, son minuscule chien chinois à crête, se tient sur ses genoux, elle répond à nos questions avec générosité. On comprend rapidement que cette femme n’est pas arrivée à la tête de cette nation de 19 000 personnes par hasard.

Eeyou Istchee, le territoire cri, compte neuf communautés éparpillées sur un espace immense. Waswanipi est la plus au sud du lot. Mandy Gull-Masty y naît en 1980, cinq ans après la signature de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois.

Cette entente avec le gouvernement du Québec accorde une large autonomie aux communautés cries et inuites. Elle reconnaît leurs droits ancestraux et territoriaux et inclut d’importantes compensations financières. En échange, elle permet au gouvernement du Québec de poursuivre le développement des ressources du territoire, notamment l’hydroélectricité.

« J’ai été un témoin direct de l’implantation de cette convention. J’ai vu les communautés croître, j’ai vu les services arriver », raconte Mandy Gull-Masty.

À l’époque, sa mère est secrétaire au conseil de bande. Mandy Gull-Masty s’y rend après l’école et voit défiler les leaders politiques.

« Ils étaient de vraies célébrités ! raconte-t-elle. Ils avaient du succès dans leur rôle, ils déterminaient le futur de la nation crie. Pour moi, la politique était tellement intéressante. »

Elle devient ce qu’elle appelle une « nerd politique ».

« Je voulais comprendre comment les gouvernements fonctionnent, comment les politiques publiques ont des impacts sur la population », dit-elle.

Un autre évènement majeur vient définir son parcours. Mandy Gull-Masty devient mère alors qu’elle n’a que 14 ans.

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Mandy Gull-Masty, grande cheffe du Grand Conseil des Cris du Québec

Je pense que le fait d’être une très jeune mère m’a aidée à comprendre ce que sont les responsabilités et l’engagement. C’est cette responsabilité qui m’a poussée à aller à l’école.

Mandy Gull-Masty, grande cheffe du Grand Conseil des Cris du Québec

Pour faire des études postsecondaires, les Cris doivent s’exiler de leur communauté (une réalité qui pourrait changer, la nation travaillant à la création d’un premier cégep en territoire cri).

La jeune Mandy met le cap sur Montréal, où elle décroche un diplôme en sciences sociales au collège Dawson et deux baccalauréats à l’Université Concordia. Ce séjour à Montréal n’est pas sa première incursion hors de l’Eeyou Istchee. Enfant, elle a vécu quelques années à Ottawa, et dit avoir appris le français « dans les rues de Chibougamau ».

Le mode de vie traditionnel cri, lui, est transmis par ses grands-parents.

« J’ai passé du temps avec eux dans la nature, dit-elle. Je comprends l’importance d’une ligne de trappe. »

Je suis heureuse d’avoir été exposée à la fois aux modes de vie moderne et traditionnel. Et il est important pour moi, en tant que mère, de transmettre cette identité à mes enfants.

Mandy Gull-Masty, grande cheffe du Grand Conseil des Cris du Québec

Mandy Gull-Masty est élue pour la première fois en 2014 comme cheffe adjointe de Waswanipi. En 2017, elle accède à la même fonction pour toute la nation crie. Elle décroche le titre de grande cheffe de la nation en juillet dernier au terme d’une campagne menée notamment sur le thème de l’environnement.

Mandy Gull-Masty se dit fière d’avoir contribué au fait que 20 % du territoire cri est aujourd’hui protégé, un chiffre qu’elle veut maintenant faire grimper à 30 % malgré le boom minier qui déferle sur la région.

« Je pense que l’une des grandes fiertés de ma carrière sera de regarder en arrière et de dire : j’ai été impliquée dans la conservation de l’Eeyou Istchee », dit-elle.

Une autre de ses priorités est la préservation du mode de vie traditionnel et de la langue crie. Une langue qu’elle-même aimerait mieux parler, sa propre mère l’ayant un peu délaissée après avoir séjourné dans l’un des tristement célèbres pensionnats pour Autochtones.

« On a encore des aînés qui ont vécu à temps plein dans la nature. Je veux m’assurer que leur savoir traditionnel soit passé aux jeunes générations », dit-elle.

À la tête d’une population dont la moitié a moins de 18 ans, elle veut aussi favoriser l’entrepreneuriat.

« Quand je vais dans les classes, j’adore quand les enfants disent : ‟Je veux devenir prof, infirmière, médecin, avocat”. Mais celui qui me dit : ‟Je ne sais pas ce que je veux faire” attire toujours mon intérêt. C’est peut-être lui qui va créer quelque chose de nouveau », dit-elle.

Impossible de ne pas aborder le thème de la réconciliation.

Je pense que la prise de conscience est réelle. Mais je suis triste qu’il ait fallu la découverte de centaines de corps d’enfants dans les pensionnats pour la provoquer.

Mandy Gull-Masty, grande cheffe du Grand Conseil des Cris du Québec

Elle décrit le ministre des Affaires autochtones, Ian Lafrenière, comme « enthousiaste », et rappelle que la nation crie et le gouvernement du Québec ont un long historique de collaboration. Cela ne l’empêche pas de se dire « blessée » par le refus du gouvernement Legault de reconnaître le racisme systémique, une position qu’elle juge « extrêmement difficile à comprendre ».

Mandy Gull-Masty termine en nous remerciant avec chaleur d’avoir sollicité une entrevue avec elle. Mais elle invite les non-Autochtones à s’informer sur la réalité des Autochtones non seulement par les journaux… mais directement auprès d’eux.

« Si vous voulez en savoir plus sur les Autochtones, allez vers eux », lance-t-elle.

Le message est lancé.

Questionnaire sans filtre

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Mandy Gull-Masty, grande cheffe du Grand Conseil des Cris du Québec, et son chien Minnie

Le café et moi : J’a-do-re le café. Je ne pense pas que je pourrais fonctionner sans café. Nous avons une marque de café crie, appelée BakeCree, fondée par un jeune entrepreneur super innovant. Je suis tombée en amour avec ses produits. J’achète les grains, je les mouds moi-même et c’est tellement bon.

Mon dimanche matin idéal : Me réveiller à mon camp avec mon mari. Boire un café pendant qu’il prépare le déjeuner (il est meilleur cuisinier que moi !). Me réchauffer devant le feu, faire de la broderie perlée et profiter de la nature. Il n’y a presque pas de signal cellulaire là-bas, alors c’est très relaxant.

Un don que j’aimerais posséder : Pouvoir revenir dans le temps et observer les gens. Pas nécessairement pour interagir avec eux, mais seulement pour les observer, comme dans un hologramme.

Les gens que j’aimerais réunir à table, morts ou vivants : Ma mère et ma grand-mère quand elles étaient jeunes. Une femme autochtone avant le contact avec les Européens. Un esprit cri provenant d’une légende. Et la princesse Diana. Elle avait un rôle officiel et tellement de choses à faire. J’aimerais lui poser des questions.

Un voyage qui me fait rêver : Partir un an complet pour explorer la planète et rencontrer des peuples autochtones de chacun des continents.

Qui est Mandy Gull-Masty ?

  • Née en 1980 à Waswanipi, la communauté la plus au sud de la nation crie.
  • Détient un diplôme d’études collégiales de Dawson, un baccalauréat en sciences politiques et un autre en affaires publiques et communautaires et analyse des politiques de l’Université Concordia.
  • Élue cheffe adjointe de Waswanipi en 2014.
  • Élue cheffe adjointe de la nation crie en 2017.
  • Élue grande cheffe de la nation crie en 2021.
  • Elle a quatre enfants – deux garçons et deux filles.