(Ottawa) Justin Trudeau s’est fait poser la question dans les jours qui ont suivi les élections fédérales du 20 septembre. On la lui a posée de nouveau durant les entrevues de fin d’année qu’il a accordées aux principaux réseaux de télévision, après une courte session parlementaire de quatre semaines.

La réponse est demeurée la même. Et sans équivoque. Oui, il entend diriger le Parti libéral du Canada durant la prochaine campagne électorale. Il dit avoir encore « de grandes choses » à réaliser.

« C’est une question extrêmement légitime. […] Mais je suis entré en politique pour servir les gens de Papineau et servir les Canadiens avec tout ce que j’avais », a déclaré M. Trudeau dans une entrevue accordée au journaliste Patrice Roy diffusée sur les ondes de RDI le 17 décembre.

« Dans un moment de crise, on a pu faire de grandes choses et on a pu apprendre comment faire de grandes choses que je veux maintenant utiliser pour lutter contre les changements climatiques encore plus fort, la crise du logement, la réconciliation [avec les Premières Nations]. De grandes choses à faire, et j’ai hâte de les faire », a-t-il ajouté du même souffle.

À peine réélu à la tête d’un deuxième gouvernement minoritaire de suite, Justin Trudeau aurait surpris les observateurs de la scène politique s’il avait affirmé le contraire. Il serait immédiatement devenu un premier ministre affaibli au moment même où la pandémie continue de sévir.

Il reste que le chef libéral a été incapable de remporter un gouvernement majoritaire aux élections de 2019 et 2021, après avoir remporté une majorité en 2015. En outre, le Parti libéral a perdu le vote populaire au profit du Parti conservateur durant les deux dernières élections, même s’il a remporté le plus grand nombre de sièges pour former un gouvernement minoritaire. Enfin, les candidats libéraux ont constaté, en faisant du porte-à-porte durant la dernière campagne, que l’étoile de leur chef a considérablement pâli au fil des ans.

Malgré les intentions exprimées par Justin Trudeau, les petits jeux de coulisses en prévision d’une course à sa succession sont déjà commencés.

À la fin novembre, le quotidien The Globe and Mail a rapporté que la vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland, aura droit à une biographie qui sera publiée à l’automne 2023, voire plus tôt, si une course au leadership est lancée avant. L’auteure du livre à venir, Catherine Tsalikis, souhaite raconter les faits marquants de la vie de « la femme la plus puissante » sur la scène politique canadienne. Pour plusieurs, la publication de cette biographie constitue un signal clair.

PHOTO BLAIR GABLE, ARCHIVES REUTERS

Chrystia Freeland, vice-première ministre et ministre des Finances

Dans les rangs libéraux, Chrystia Freeland est considérée comme la dauphine de Justin Trudeau. Mme Freeland a d’ailleurs été reconduite dans ses fonctions ministérielles, deux semaines avant que son patron annonce la composition du cabinet. L’establishment du parti, de plus en plus ancré à Toronto, est prêt à se mobiliser en faveur de la ministre des Finances au moment opportun. Durant ses quelque 150 ans d’histoire, le Parti libéral du Canada n’a jamais eu de femme à sa tête. Chrystia Freeland est considérée comme la meilleure candidate pour faire éclater ce plafond de verre.

PHOTO PATRICK DOYLE, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

François-Philippe Champagne, ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie

Le ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, aspire aussi à diriger le Parti libéral. Dans les rangs libéraux, il ne fait aucun doute qu’il sera sur la ligne de départ dès que Justin Trudeau manifestera son intention de passer le flambeau. Élu en 2015, l’énergique ministre a la cote auprès des libéraux qui réclament une gestion plus serrée des finances publiques et des investissements ciblés, ces « Blue Liberals » nostalgiques des Jean Chrétien, Paul Martin, John Manley et compagnie. Depuis son entrée en politique, M. Champagne a dirigé plusieurs ministères importants, notamment le Commerce international, l’Infrastructure et les Collectivités, les Affaires étrangères et, enfin, l’Industrie. Si Mme Freeland peut espérer l’appui de l’establishment, M. Champagne a davantage les qualités pour convaincre la base militante du parti.

PHOTO PHIL NOBLE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Mélanie Joly, ministre des Affaires étrangères

Plusieurs prêtent à l’actuelle ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, l’ambition de se lancer également dans la course. Depuis que les libéraux sont au pouvoir, Mme Joly est devenue le symbole de la persévérance en politique. Après un début difficile au Patrimoine, où le dossier de la taxe Netflix a injustement terni son image, elle a su rebondir en dirigeant le ministère du Développement économique, du Tourisme et des Langues officielles. Durant la dernière campagne électorale, Mme Joly a permis de sauver la campagne libérale au Québec en mobilisant les troupes dans une dizaine de circonscriptions qui étaient en voie de passer au Bloc québécois. En coprésidant la campagne nationale, elle a établi un réseau de contacts aux quatre coins du pays qui pourraient lui donner un coup de pouce au moment opportun. Elle pourrait aussi utiliser son influence pour couronner celui ou celle qui succédera à Justin Trudeau.

PHOTO BLAIR GABLE, ARCHIVES REUTERS

Anita Anand, ministre de la Défense

Déjà considérée comme un pilier du cabinet après seulement deux ans à Ottawa, la ministre de la Défense, Anita Anand, pourrait faire l’objet de vives pressions pour qu’elle brigue la direction du parti. Son passage au ministère des Services publics et de l’Approvisionnement a impressionné plusieurs libéraux. « Durant les réunions du cabinet, tout le monde porte attention à ce qu’elle dit. Elle maîtrise tous ses dossiers. Elle ne parle jamais pour ne rien dire », a résumé une source libérale qui l’a vue à l’œuvre. Sa maîtrise du français s’est par ailleurs beaucoup améliorée depuis 2019.

Quant à la possible candidature de l’ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, elle ne suscite plus autant d’enthousiasme.

Cela fait près d’une décennie que des libéraux influents le courtisent pour qu’il se lance dans l’arène. Il a toujours préféré passer son tour. Il l’a encore fait au dernier scrutin alors qu’on lui offrait la circonscription d’Ottawa-Centre pratiquement sur un plateau d’argent. On constate aussi que son incapacité à ajuster son discours pour s’adresser au plus fidèle des militants libéraux pourrait être un boulet en campagne électorale. Certains s’amusent à le comparer à l’ancien chef libéral Michael Ignatieff.

Aux Communes, les sièges ont été redistribués à la suite des dernières élections fédérales et de la nomination d’un nouveau cabinet. Quand la caméra se posait sur Justin Trudeau lors la période de questions durant la courte session parlementaire, cet automne, les mêmes quatre visages apparaissaient aussi à l’écran : Chrystia Freeland, François-Philippe Champagne, Mélanie Joly et Anita Anand. Quatre ministres qui caressent l’ambition de prendre les commandes du parti un jour. Un signe prémonitoire de la lutte à venir.