Afin de débarrasser l’Afrique des conflits et de faire de la paix une réalité pour toutes les populations du continent, les dirigeants africains ont lancé en 2013 le projet « Faire taire les armes d’ici 2020 ». Récemment étendue à 2030, sa mise en œuvre a certes permis quelques progrès, mais la tâche reste titanesque.

Persistance des menaces sécuritaires

Bien qu’ils aient sensiblement diminué en nombre et en intensité depuis 2001, les conflits armés demeurent la principale menace à la paix et à la sécurité en Afrique : au moins 19 des 54 États du continent en sont aujourd’hui la proie.

À cette menace persistante s’ajoutent entre autres le terrorisme et l’extrémisme violent. L’Afrique est devenue le théâtre d’expression de ces phénomènes, avec pour épicentre la bande sahélienne et la région du bassin du lac Tchad. Au Burkina Faso, au Mali et au Niger, les actes terroristes ont été multipliés au moins par cinq depuis 2016.

La criminalité organisée transfrontalière et la piraterie maritime ne cessent, elles aussi, de prendre de l’ampleur. Sur les 375 actes de piraterie et de brigandage enregistrés dans le monde en 2020, le golfe de Guinée à lui seul en regroupe 114, ce qui en fait la zone la plus dangereuse du monde.

Cinq tendances

De ces menaces sécuritaires, cinq grandes tendances se dégagent et chacune d’elles exige des réponses particulières et complexes.

1. Depuis le début des années 2000, on assiste à un changement dans la nature et l’ampleur des conflits en Afrique. Les guerres entre États ont progressivement disparu pour céder la place aux conflits civils (intérieurs). Les affrontements auxquels donnent lieu ces conflits se déroulent rarement sur des champs de bataille bien définis. Ils sont intermittents, d’intensité variable et ponctués de cessez-le-feu brefs et fragiles.

2. Plusieurs conflits ont une importante dimension historique : ils sont actifs depuis au moins une décennie, en moyenne. C’est le cas dans le sud du Sénégal, en République centrafricaine, en Somalie, au Soudan ou en République démocratique du Congo, où ils se prolongent indéfiniment dans le temps.

3. Les conflits armés et la violence tendent à se régionaliser en raison des activités transnationales de groupes armés et de réseaux criminels impliqués. C’est le cas dans les régions du Sahel/Maghreb, des Grands Lacs et du bassin du lac Tchad, où les conflits ont progressivement débordé du cadre national pour s’étendre à des pays limitrophes.

4. Les acteurs armés sont démultipliés, ce qui soulève des difficultés pour établir la nature des situations de violence et accroît les risques que les civils soient pris dans les combats en raison notamment de l’addition des lignes de front. Dans le bassin du lac Tchad, les affrontements avec les groupes Boko Haram et État islamique font intervenir cinq États, ainsi qu’une force internationale. Au Sahel, les groupes armés se sont fragmentés et multipliés à un point tel qu’il est difficile d’identifier et de dénombrer ceux qui s’opposent aux États et aux acteurs extérieurs, et ceux qui s’opposent entre eux.

5. Les pays en proie à des conflits sont les plus touchés par les changements climatiques, en raison notamment de l’affaiblissement de leur capacité d’adaptation et de résilience. Par ailleurs, les changements climatiques déstabilisent les États. En effet, l’assèchement des sources d’eau, la désertification et la sécheresse sont à l’origine de tensions entre communautés en compétition pour des ressources qui se raréfient. Ces tensions alimentent la violence locale sur laquelle s’appuient des groupes criminels pour accroître leurs actions.

Obstacles aux efforts de paix

La promotion de la paix et de la sécurité en Afrique se heurte à de nombreux obstacles. L’un des plus tenaces est l’absence de financement prévisible et durable. Pour y faire face, les États africains avaient décidé en 2016 de doter le Fonds de l’Union africaine pour la paix de 400 millions de dollars d’ici 2020, un objectif qui a été reporté à 2023 en raison des retards dans le versement des contributions. À un an de cette nouvelle échéance, le Fonds ne dispose que de 179,5 millions, soit moins de 50 % du total envisagé.

Par ailleurs, 20 ans après la mise sur pied d’une architecture africaine de paix et de sécurité, certaines composantes, dont la Force africaine en attente, ne sont pas encore pleinement opérationnelles. Quant aux mécanismes existants, ils demeurent peu coordonnés et insuffisamment outillés pour répondre à l’extrémisme violent, à la criminalité transfrontalière et aux risques de cybersécurité.

Enfin, c’est la mauvaise gouvernance, les violations des droits de la personne, l’impunité, le chômage et la prolifération anarchique des armes légères et de petit calibre qui forment le terreau le plus fertile pour la violence en Afrique. Tant que ces fléaux ne seront pas éradiqués, toute tentative visant à pacifier le continent restera sans effet, sinon quelques progrès modestes et éphémères.

Plus près qu’on pense

La contribution du Canada au maintien de la paix en Afrique a considérablement régressé, remettant en cause l’image de marque qu’il s’était forgée en la matière jusqu’au début des années 2000. Il fournit un peu moins de 50 Casques bleus aux 6 importantes opérations onusiennes de maintien de la paix sur le continent. Une contribution si modeste qu’elle explique en bonne partie l’échec du Canada à se faire élire comme membre non permanent du Conseil de sécurité de l’ONU en 2010 et en 2020.

Pour aller plus loin

Lisez « Faire taire les armes en Afrique d’ici 2020 : quel bilan ? », de Steve Tiwa Fomekong, dans les Notes du CERIUM Suivez le balado « Strengthening Africa’s Hand in Peace and Security » (en anglais), d’Alan Boswell et Hanna Tetteh, publié par l’International Crisis Group Lisez « La complexité croissante des conflits entre agriculteurs et éleveurs en Afrique de l’Ouest et centrale », de Leif Brottem, dans Bulletin de la sécurité africaine Lisez Lisez « Avec les Casques bleus, le Canada est aux abonnés absents », de Jocelyn Coulon, dans Le Devoir