Dans un singulier numéro de La Presse datant de 1905, un mage indien dénommé Papou-Gaba-Abidos prédisait l’avenir de Montréal, un siècle plus tard. Rues chauffantes et aéronefs faisaient partie du portrait. Par pur plaisir, nous avons demandé au professeur de littérature d’anticipation Jean-François Chassay de se prêter à un tel exercice de projection.

En nous inspirant de cet article insolite, nous avons cherché, en 2021, à dresser à nouveau le visage d’un Montréal futuriste, mais en sollicitant pour ce faire diverses personnalités plus crédibles qu’un voyant. Parmi celles-ci, le professeur de littérature et auteur Jean-François Chassay a probablement poussé le plus loin les frontières de la fiction. Voici sa vision de la métropole, telle qu’il l’imagine dans cent ans, dans une esquisse digne d’un roman d’anticipation.

Montréal, ville submergée

La mythologie grecque raconte que Zeus provoqua l’engloutissement de l’île de l’Atlantide, en punition. Dans le Montréal de 2121 imaginé par Jean-François Chassay, ce ne sont pas les foudres d’un dieu, mais plutôt la fonte des glaces qui entraîne la submersion totale de la ville. Cette dernière arborait déjà des airs de Venise nord-américaine dès la moitié du siècle, les pieds des Montréalais baignant dans l’eau. « On essaye d’endiguer la situation, les plus riches commencent à s’organiser, mais il est trop tard », conçoit l’auteur, très versé en récits littéraires d’anticipation – il a notamment cosigné Le roman des possibles – L’anticipation dans l’espace médiatique francophone.

À l’orée du XXIIe siècle, « Montréal est un lieu où l’humanité s’est adaptée et a appris à vivre largement sous l’eau », projette M. Chassay. Ses habitants logent au sein de grands cargos faisant office de HLM ou au cœur de pavillons privés, tous parfaitement étanches. Ils revêtent des combinaisons aquatiques et se déplacent au moyen de vélos sous-marins, ou empruntent des véhicules collectifs semblables à celui de The Life Aquatic.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Jean-François Chassay

La ville est submergée, mais existe toujours, devenue une sorte d’hologramme d’elle-même, comme une image en relief qui se desquame. C’est un Montréal palimpseste, où des couloirs maritimes reproduisent l’équivalent des rues de l’ancien temps.

Jean-François Chassay, écrivain et professeur de littérature à l’UQAM

Au coin de ces corridors, des statues en matériau synthétique servent de mémoire culturelle, tout comme des musées d’un genre inédit ; car « tout comme le numérique a transformé en quelques décennies notre rapport à la culture, la vie sous-marine a produit de nouvelles formes d’art et un nouvel imaginaire », explique-t-il. La vie sous-marine remodèle la physionomie humaine et les rapports sociaux, la parole et l’ouïe s’étiolant, tandis que de nouveaux outils technologiques permettent de communiquer par des modes « pour lesquels nous n’avons pas encore de mots aujourd’hui ».

« Mais la vie ne se passe pas entièrement sous l’eau, il y a des passerelles qui permettent d’accéder à la surface, il y a des lieux pour se détendre, ce serait comme des piscines à l’envers, pour aller relaxer au soleil », poursuit l’auteur.

Bouleversée par les changements climatiques, la planète est coupée en deux : d’un côté, l’eau, de l’autre, le désert. Montréal n’est pas coupé du monde pour autant : des véhicules hybrides capables de voler autant que de plonger permettent d’établir des liens avec l’extérieur, dit M. Chassay, espérant que ce scénario aux faux-semblants de dystopie reste cantonné au domaine de la fiction !

Consultez les prédictions du mage dans le numéro de 1905