Le résultat des élections municipales de cette fin de semaine influencera le visage de Montréal pour les prochaines années. Pour pousser l’horizon encore plus loin, La Presse a invité des experts à imaginer Montréal en 2050. De ces échanges ont découlé de nombreuses voies, tantôt concordantes, tantôt divergentes, agrémentées de petites touches de fantaisie. Bienvenue dans l’avenir montréalais.

Urbanisme

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Écartelé entre étalement et densification

Quel visage montrera le territoire de Montréal dans les prochaines décennies ? Les avis fusent et divergent. Économiste et professeur à l'École d'urbanisme et d'architecture de paysage de l'Université de Montréal, Jean-Philippe Meloche entrevoit deux scénarios, selon des cocktails habitation/lieu de travail/transports opposés. Le premier serait un Montréal plus sobre en carbone, misant sur la densité et le transport actif, « en créant des milieux de vie où les gens peuvent habiter, travailler et consommer dans des distances raisonnables qui peuvent se faire à pied. C’est la vision qu’ont nos urbanistes sortant des écoles. Nos villes actuelles ne permettent pas de faire ça », dit-il. « Cela exige que les gens habitent à proximité de leur travail, donc on peut supposer qu’ils logeront plus souvent dans des tours que dans des maisons détachées comme au siècle dernier. Ce serait une reconstruction de la ville sur elle-même, en bâtissant sur des espaces déjà construits et en créant des milieux assez denses pour qu’on puisse se déplacer sur des distances beaucoup plus courtes. »

Le deuxième modèle, moins utopique et basé sur des innovations de transports permettant de franchir de grandes distances en peu de temps (M. Meloche évoque l’hypothèse des drones et de nouvelles voies disposées « en étages » au-dessus des routes conventionnelles), conduirait à un étalement urbain effréné.

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Jean-Philippe Meloche, professeur à l'École d'urbanisme et d'architecture de paysage de l'Université de Montréal, spécialiste en économie urbaine, développement économique local et régional.

Nos villes pourraient s’étaler sur des distances inimaginables aujourd’hui.

Jean-Philippe Meloche, économiste et professeur à l'École d'urbanisme et d'architecture de paysage de l'UdM

La professeure en urbanisme Lucie Morisset, à contresens des utopies du début du XXe siècle, se montre quant à elle pessimiste. « Dans 30 ans, je pense qu’il y aura proportionnellement de moins en moins de monde dans la ville et de plus en plus d’étalement urbain », croit-elle, abordant une tendance lourde en Amérique du Nord : « La ville, généralement, on est dedans parce qu’on n’est pas capable d’en sortir. » Pour elle, les nuisances causées par la multiplication de projets de métros aériens pourraient même accélérer cet exode. « Vous vous imaginez vivre à côté du REM [Réseau express métropolitain] ? », lance-t-elle. À ses yeux, la ville évoluera bien peu, en raison d’une apathie politique chronique, et plutôt que de voir de nouveaux grands monuments y pousser, elle miserait sur une « fragmentation par quartiers », avec « une autonomisation plus grande, dans tout ce qui relève du social, du communautaire, du patrimonial. Le visage de Montréal changera en conséquence de cette politique de proximité ».

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Lucie Morisset, professeure au Département d’études urbaines et touristiques de l’École des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain et chercheure au Centre Cultures Arts Sociétés.

La réappropriation des berges ? Elle tomberait à l’eau, Mme Morisset rappelant que ce dossier rame depuis un demi-siècle ; quant à l’historien Laurent Turcot, il serait peu surpris de les voir vendues à des promoteurs et devenir l’apanage des nantis. « Ça va être un peu comme Miami Beach », imagine-t-il.

Transports

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Trains-fusées et marche

Dans tout exercice futurologique, les transports frappent l’imagination. Mais Lucie Morisset nous ramène sur terre : mieux vaut oublier les voitures volantes à Montréal. « Les modes de transport ne seront pas plus futuristes. Il y aura sans doute des voitures électriques, mais ça n’impressionne plus personne ! »

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Laurent Turcot, professeur en histoire à l’Université du Québec à Trois-Rivières.

La ligne rose ? L’enseignante et chercheure en rêve, sans trop y compter, fustigeant l’apathie et « le manque chronique d’imagination des administrations », redoutant plutôt le développement des métros aériens de type REM. Selon Laurent Turcot, même la ligne bleue ne sera pas prolongée d’ici 2050, enrayée par un cafouillage dans la construction du REM. Par contre, il pressent un détournement des autoroutes, qui contourneraient la ville au lieu de la traverser.

Quant à l’aéroport Trudeau, on ne donne pas cher de sa peau. Selon Mme Morisset, tout plaide pour un déménagement : la proximité résidentielle, les nuisances générées, la capacité saturée... et l’ombre d’une catastrophe : « Un jour, un avion tombera à côté, ça va forcément arriver. On savait déjà il y a 50 ans qu’on ne construisait pas des aéroports aussi près des villes. » M. Turcot songe aussi à une réimplantation, à mi-chemin entre Ottawa et Montréal, desservie par un train rapide bidirectionnel.

Selon Jean-Philippe Meloche, les déplacements seront en fonction des deux scénarios présentés précédemment. En faveur du premier et en complément du transport actif et de la marche, il note que de récentes innovations électrifiées palliant la « surconsommation d’espace » des véhicules actuels (planches à roulettes, trottinettes, pneus autonomes) pourraient ouvrir la voie. « Demain, ce sera quoi ? Un tabouret qui se déplace tout seul ? »

On comprend que des modes de transport électriques individuels de très petite taille, ça fait partie du futur de nos villes, notamment des modèles rétractables, pliables, avec des pneus dégonflables et qui se rangeraient dans un sac à dos.

Jean-Philippe Meloche, économiste et professeur à l'École d'urbanisme et d'architecture de paysage de l'UdM

Le modèle d’étalement urbain exacerbé viendrait plutôt avec de nouvelles voies et véhicules très rapides, lesquels pourraient aussi interconnecter Montréal aux grandes villes (New York, Toronto) ou aux régions. Le mot « Hyperloop » a été prononcé par nos experts à plusieurs reprises, aux côtés des drones routiers ou aériens, des avions à hydrogène ou des trains à très haute vitesse ; cette dernière option demeurant très plausible, d’après M. Meloche. « Montréal-Toronto en 45 minutes, d’ici 2100, c’est un temps de trajet à avoir en tête, par mode individuel ou collectif. Dans le fond, le lieu où l’on habitera et celui où on travaillera n’auront peut-être plus tant d’importance. »

Économie

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L’avenir est dans le savoir

Quand le spécialiste en économie locale Jean-Philippe Meloche regarde dans le rétroviseur, il voit certes le passé industriel et commercial montréalais, mais droit devant, c’est le secteur tertiaire et l’économie du savoir, déjà bien implantée, qui devraient s’épanouir davantage. « Le gros de l’économie de Montréal, c’est celle du savoir. Si on projette cette perspective dans le futur, il y a de bonnes chances pour que, à terme, des emplois de type col bleu n’existent presque plus », table-t-il, évoquant le perfectionnement de la robotisation.

Il brandit l’exemple des véhicules autonomes, bien partis pour damer le pion aux chauffeurs, de taxi ou d’autobus, d’ici quelques décennies. Les cols blancs ne seraient pas à l’abri pour autant : algorithmes et intelligence artificielle pourraient les supplanter en partie.

Aujourd’hui, on a des machines qui réfléchissent relativement bien pour des problèmes simples. Certains pensent qu’elles pourraient solutionner des problèmes complexes dans l’avenir.

Jean-Philippe Meloche, économiste et professeur à l'École d'urbanisme et d'architecture de paysage de l'UdM

Un Montréal déshumanisé, donc ? Pas forcément : « Le visage humain restera fondamentalement important quand cela fera partie du produit : comédien, serveur, etc. », nuance l’universitaire. L’économiste met cependant en garde contre la redistribution de ces futurs fruits économiques et les inégalités, dont l’accroissement ne sera pas socialement soutenable à long terme.

Dans cette économie dynamique, même s’il reste ardu de déterminer quels secteurs fleuriront, M. Meloche a sa petite idée. D’une part, celui de la santé (industrie biomédicale, pharmaceutique, etc.) devrait encore se développer dans les 30 prochaines années, face au vieillissement inéluctable de la population. D’autre part, Montréal jouit de gros atouts pour promouvoir davantage l’économie du savoir et ses cerveaux locaux, dont un solide réseau universitaire – sans oublier l’attractivité de son cadre de vie.

« On a un potentiel incroyable en innovation, recherche et développement qui va probablement s’intégrer dans les secteurs économiques de pointe du futur, comme l’autonomisation des machines ou l’intelligence artificielle », souligne-t-il, mettant l’accent sur l’importance de l’enracinement local : « Les entreprises nées ici seront le visage de Montréal de demain, estime-t-il. Elles ne sont certainement même pas encore nées » et pourraient être impulsées par le cadre universitaire et intellectuel tissé localement. Post-scriptum intéressant : un encadrement et une taxation plus sévère des géants du web ont été prédits par plusieurs membres de notre panel.

Démographie, société et multiculturalisme

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Plus de diversité, plus d’égalité ?

Combien de Montréalais en 2050 ? Jean-Philippe Meloche rappelle que les projections sont délicates : dans les années 1960, on prévoyait 7 millions d’habitants dans la région métropolitaine en 2000 – prévisions faussées, car elles étaient échantillonnées sur le baby-boom (ce fut plutôt 4 millions). « L’Institut de la statistique du Québec, selon les variables actuelles, prévoit qu’on atteindra 5 millions vers 2050, et 6 ou 7 millions en 2100 si cette trajectoire se poursuit », rappelle-t-il, relevant néanmoins pléthore d’inconnues : décroissance démographique mondiale, réchauffement et migrations climatiques, conflits, épidémies... « Montréal, vu comme un endroit intéressant où vivre, devrait quand même continuer à capter la migration », prévoit-il.

Bibiana Pulido, directrice du Réseau interuniversitaire québécois pour l’équité, la diversité et l’inclusion (RIQEDI), entrevoit positivement l’avenir pour la diversité à Montréal... à condition de continuer à reconnaître les injustices, les oppressions sociales et le « racisme systémique » envers elles. Une mairesse montréalaise issue de la diversité en 2050 ? « C’est plausible », dit-elle. Mais même si l’accent est porté sur les minorités dans l’actuelle campagne électorale, elle s’interroge sur leur réelle inclusion. « Je suis craintive par rapport au vrai rôle, à l’influence qu’auront ces personnes-là. »

PHOTO MAXIME LAPOSTOLLE, TIRÉE DU SITE DU RIQEDI

Bibiana Pulido, directrice et co-fondatrice du Réseau interuniversitaire québécois pour l’équité, la diversité et l’inclusion (RIQEDI).

Elle reste convaincue des apports futurs de l’immigration à l’économie locale, sous réserve de ne pas la cantonner aux emplois sous-qualifiés et de parvenir à juguler la fuite des cerveaux, en facilitant l’établissement professionnel des diplômés internationaux formés à Montréal.

Sur la question épineuse de la langue, Bibiana Pulido entrevoit un rapprochement entre francophones et anglophones, sur fond de reconnaissance de l’importance du français et de la richesse du plurilinguisme.

Mme Pulido souligne que les inégalités entre classes sociales sont aussi à suivre, un point systématiquement abordé par d’autres experts. « Mon côté positif dit que nous allons trouver un mécanisme pour redistribuer la richesse dans le futur, mais mon côté sombre dit que ça va finir par générer une guerre civile », craint M. Meloche. Un tableau noirci par Lucie Morisset, tordant le cou aux utopies sociales d’antan : « Dans les 100 dernières années, Montréal n’a pas tant changé, notamment en termes d’inégalités sociales. Il n’y a pas vraiment de raison que cela change dans les 30 à 100 prochaines années ; sauf si la tendance à l’autonomisation des villes et au développement local s’accroît. Mais même la pandémie n’aura rien changé. »

Environnement

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Vert, l’avenir ?

Quiconque songe à l’avenir regardera par la lorgnette environnementale. Avis aux écoanxieux, nos intervenants ont préféré peindre l’avenir en vert plutôt qu’en noir.

Laurent Turcot se prend à rêver d’une limitation de la hauteur des immeubles, de matériaux plus naturels et locaux (bois, granit, verre) et d’une végétation plus abondante : « On ferait plus d’espace pour les parcs comme on a commencé à le faire avec la carrière Miron, plutôt que de détruire systématiquement pour reconstruire du neuf », évoque celui qui entrevoit « l’équivalent de Central Park, plus excentré ».

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Josée Duplessis, directrice de la Maison du développement durable.

Josée Duplessis, directrice de la Maison du développement durable, compte aussi sur la réhabilitation des terrains et des bâtiments en friche pour favoriser le verdissement et les matériaux durables et plus naturels.

Selon elle, la réduction du bruit, les sentiments de sécurité alimentaire et de logement restent un enjeu majeur – elle s’attend à l’émergence de Montréalais urbains-agricoles. « On observera probablement un retour à une multitude de communautarismes, et la réappropriation du savoir agricole en fait partie », dit-elle, dépeignant la renaissance des mains vertes et le fort développement de serres, toits et murs végétaux. Exemple évocateur : alors que la plantation d’arbres fruitiers était poussive il y a quelques décennies, elle a pris son envol dernièrement et devrait, dans un avenir proche... porter ses fruits. Mme Duplessis pense également qu’un réseau de rivières urbaines pourrait se développer.

La métropole mourra-t-elle de chaleur ou finira-t-elle les pieds dans l’eau ? Mme Duplessis fait confiance à la capacité d’adaptation des Montréalais, avec des solutions basées sur le verdissement, la suppression du béton, l’isolation des habitations. Elle voit également des liens forts se tisser avec d’autres métropoles d’Europe et d’Amérique, par exemple pour juguler collectivement la montée des eaux. « Cela pourrait se contrôler en amont, dans le cadre d’un partenariat avec les villes des Grands Lacs. Ce n’est pas Montréal qui va répondre à ça tout seul », illustre-t-elle.

Du côté ressources énergétiques, outre l’électrification des transports, la géothermie a fait chauffer les discussions, Laurent Turcot se figurant notamment des centres de données implantés dans le Nord, dont la chaleur serait récupérée pour répondre aux besoins urbains.

Sports et culture

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De nouveaux souffles

Le cœur artistique et sportif de Montréal battra-t-il encore dans plusieurs décennies ? À n’en pas douter, même s’il pourrait adopter un rythme différent. Josée Duplessis remarque que la Maison du développement durable qu’elle dirige est interpellée par le monde des affaires, mais aussi culturel. Alors, les festivals en 2050 ? « Ce ne sera pas juste dans le Quartier des spectacles, mais plus éclaté, avec des satellites un peu partout. On va retourner vers les petites communautés », croit-elle, le Festival de jazz ayant déjà ouvert le bal.

De son côté, Laurent Turcot, auteur d’un livre sur les sports et loisirs, entrevoit des nouveautés originales, espérant notamment la fondation d’une compagnie théâtrale officielle, inspirée de la Comédie-Française, chargée de jouer les classiques québécois. Selon lui, ça bougerait aussi du côté des statues, qui seraient toutes déboulonnées par des pouvoirs politiques allergiques aux polémiques, remplacées par des arbres et rassemblées à l’hôtel de ville transformé en musée, l’édifice étant devenu trop exigu face à la multiplication des conseillers municipaux.

L’engouement sportif ne s’essoufflera pas ; pas plus que les sifflets de protestation. M. Turcot suppose que « Montréal aurait essayé d’obtenir les Jeux olympiques de nouveau, mais devant les contestations, aurait décidé de laisser faire ».

Laurent Turcot parie aussi sur le retour des Expos (ainsi que celui des Nordiques à Québec, glisse-t-il, rieur)... mais pas au Stade olympique.

« Oh non, on aurait construit un stade à Laval, dans l’optique d’avoir une communauté urbaine plus intégrée, en se disant qu’on ne peut pas penser la ville simplement centrée sur l’Île », narre-t-il. L’équipe serait baptisée les Expos de Laval, ce qui aboutirait à plus de controverses que de coups de circuit !

Et le retour de la coupe Stanley ? Seul Jean-Philippe Meloche en a touché un mot, au détour d’une analogie du positionnement de Montréal dans certains secteurs économiques. « Si vous me demandez qui va gagner la coupe Stanley d’ici 100 ans, je dirais que le Canadien de Montréal est toujours une bonne équipe pour ça : la ville est passionnée, les jeunes jouent au hockey et il y aura toujours de l’argent pour embaucher les meilleurs joueurs. »