Discuter avec Hubert Reeves, c’est pénétrer dans un univers d’exception. Celui d’un homme qui pratique l’art de l’émerveillement comme d’autres la peinture, le chant ou le violon. Celui d’un scientifique qui raconte l’histoire de l’univers et les splendeurs de notre Terre comme un conteur.

C’est simple, Hubert Reeves, c’est le Fred Pellerin des astrophysiciens. […]

À 88 ans, il en a long à dire sur la richesse de la vie. Et par conséquent, sur la vieillesse. Sur la mort aussi, forcément.

Il semble tout aussi curieux qu’il l’était jadis, adolescent, lorsqu’il a su qu’il consacrerait sa vie à la science. Son visage a une expression juvénile, et on sent poindre dans sa voix sa bienveillance, son enthousiasme et sa fascination pour tout ce qui l’entoure. De la puissance des mathématiques à l’existence des arbres, en passant bien sûr par le cosmos. « Je sens un désir impérieux d’explorer le monde dans toutes ses dimensions », a-t-il déjà écrit.

Son seul regret, c’est que cette exploration a une date d’expiration.

Hubert Reeves, c’est un phare qui nous éclaire dans l’obscurité.

Il n’a pas envie de s’éteindre…

Nos lecteurs doivent savoir que, entre les séances d’écriture d’un prochain livre et les nombreuses conférences auxquelles vous êtes invité, il n’a pas été facile de trouver un moment pour cet entretien ! Vous êtes donc fort occupé ces jours-ci. Comment allez-vous ?

En moyenne, je vais bien. J’ai des périodes difficiles, j’ai de l’arthrose, mais, enfin, je ne vais pas vous raconter tous mes petits bobos… Si je résume, le matin, c’est dur, et le soir, tout va bien, je me sens tout à fait en possession de mes moyens. Pour moi, c’est ce qui est important, pour que je puisse discuter, répondre à des questions, être présent.

Le plus triste, chez les gens âgés, c’est le moment où ils commencent à être un peu absents. C’est là que ça devient un vrai drame.

Car la réalité est qu’avant de mourir il faut se détériorer. C’est vrai pour tout le monde, il n’y a rien à faire, c’est comme ça. Et je trouve que c’est particulièrement cruel de la part de je ne sais qui (il pointe le ciel), cette entité qui guide les activités. Je trouve ça triste, particulièrement quand je rencontre des gens âgés que j’ai connus très brillants, comme certains scientifiques, et que je m’aperçois tout à coup qu’ils ne sont plus tout à fait là. Ça me rend furieux, et je ne sais pas contre qui je dois l’être. C’est important de mourir, personne ne voudrait vivre indéfiniment. Mais le fait que ça passe par une détérioration, une diminution, je trouve ça objectivement cruel. Voilà ce que je pense. Mais je suis prêt à l’endurer, puisque c’est notre sort.

La détérioration de l’état mental est une chose qui habite beaucoup de gens à qui on a parlé. Est-ce qu’il y a une recette, selon vous, pour rester en forme le plus longtemps possible ?

Je pense que, si on a la chance d’être curieux, c’est formidable. Le pire, ce sont les gens qui dépriment parce qu’ils ne s’intéressent plus à rien. Mais comment faire pour s’intéresser à des choses quand on n’est pas naturellement curieux ? Je ne le sais pas. Certaines personnes âgées restent actives et intéressées jusqu’à des âges avancés. Et d’autres, au contraire, le sont beaucoup moins. La vie a des éléments aléatoires, j’imagine. Moi, en tout cas, j’ai été particulièrement bien traité par la vie. J’en suis reconnaissant, mais, par moments, je rame un peu.

Dans le livre La mer expliquée à nos petits-enfants, vous écrivez que vous avez su garder intacte votre capacité d’émerveillement. Est-ce fondamental, si on souhaite vieillir heureux ?

Quand j’ai dit que j’ai su garder cette capacité, je ne suis pas certain d’être le véritable responsable. Je pense que j’ai eu la chance de rester curieux, et j’ignore qui je dois remercier pour cela… À ce sujet, j’ai plus de questions que de réponses.

Vous dites que vous avez l’impression qu’il y a quelqu’un, quelque part, qui expliquerait ce que nous faisons sur Terre ?

Je ne dirais pas « quelqu’un ». Je dirais plutôt qu’il y a quelque chose de beaucoup plus intelligent que nous. Je ne crois pas du tout à la notion du hasard. Je crois que le hasard, seul, ne fait rien d’organisé, ne structure rien. Nous avons des images des premiers temps de l’univers, que nous pouvons comparer avec des images de l’univers d’aujourd’hui. Pendant 14 milliards d’années, la principale activité de l’univers a été de se structurer. Il a créé des quantités fantastiques de structures, toutes plus extraordinaires les unes que les autres. Des galaxies, des étoiles, des millions d’espèces vivantes. Des atomes, des molécules. Notre univers est un haut lieu de formation de structures, parmi lesquelles on trouve la Terre. Le cerveau humain est ce que nous connaissons, ici sur Terre, de plus structuré. Il a permis, par exemple, d’élaborer la théorie de la relativité d’Einstein. Ce n’est pas n’importe quel objet qui aurait pu le faire. Voilà mon émerveillement : comment cet univers s’est développé à partir d’un magma incohérent pour s’enrichir de multiples structures, dont le cerveau humain.

Qui sont Judith Lachapelle et Alexandre Sirois ?

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Judith Lachapelle et Alexandre Sirois, auteurs de 80, 90, 100 à l’heure et journalistes à La Presse

Journaliste à La Presse depuis 20 ans, Judith Lachapelle écrit notamment sur l’actualité internationale et scientifique, en plus de créer des bédéreportages.

Journaliste à La Presse depuis 20 ans, Alexandre Sirois est éditorialiste depuis 2015, en plus d’être l’auteur et coauteur de trois essais sur la politique américaine.

Judith et Alexandre sont également amis depuis la jeune vingtaine, époque où ils sévissaient tous deux à la direction du journal étudiant Montréal Campus de l’UQAM, et comptent bien le rester jusqu’à leur 80e anniversaire, et au-delà.

80, 90, 100 à l’heure – 14 octogénaires et nonagénaires inspirants

80, 90, 100 à l’heure – 14 octogénaires et nonagénaires inspirants

Éditions La Presse, septembre 2021

240 pages