L’auteur explique en quoi la lutte contre le terrorisme contemporain ne peut s’effectuer de manière traditionnelle, mais plutôt au moyen de ce qu’il appelle des solutions de rechange violentes à la guerre.

Vingt ans après les attaques du 11 septembre qui ont marqué le début de notre guerre contre le terrorisme, il est difficile de ne pas porter un jugement très sévère non seulement sur son efficacité stratégique, mais aussi sur son caractère moral. Le retrait définitif des troupes états-uniennes d’Afghanistan nous a ramené à la case départ avec le retour au pouvoir de ceux qui ont jadis apporté leur soutien à Al-Qaïda, tandis que l’intervention menée en 2003 en Irak a déstabilisé le Moyen-Orient et favorisé la naissance de l’État islamique d’Irak et du Levant qui a depuis repris le flambeau du terrorisme global. En outre, nous ne pouvons non plus ignorer le fait que la volonté incontestable des nations occidentales de protéger leurs citoyens a coûté la vie à des dizaines de milliers de civils innocents dans les régions où leurs militaires ont activement combattu ces organisations. Paradoxalement, le recours à la violence à grande échelle que nous avons privilégié et qui a coûté la vie à des dizaines de milliers de civils a donné aux personnes qui soutiennent ces groupes les arguments dont ils avaient besoin pour nous accuser de recourir aussi à une politique terroriste.

Voilà pourquoi la croyance selon laquelle la guerre devrait toujours être une option qu’il ne convient de privilégier qu’en dernier retour est largement répandue (et avec raison). Les États ont en effet à leur disposition un vaste éventail d’options non violentes qui n’exigent pas le recours aux armes, comme l’imposition de sanctions économiques ou d’embargos sur les armes et le recours à des sanctions diplomatiques. Dans de nombreux cas, ces mesures peuvent permettre d’atteindre le résultat souhaité sans avoir à recourir à des opérations militaires de grande envergure. Inutile de dire qu’elles se doivent d’être privilégiées par les États lorsqu’ils peuvent raisonnablement envisager leur efficacité. À la lumière des évènements survenus au cours des 20 dernières années, il est difficile de ne pas penser que ces alternatives non violentes à la guerre auraient sans doute été plus éthiques et efficaces que les décisions d’envahir l’Afghanistan, en 2001, et l’Irak deux ans plus tard.

Cependant, aussi attrayantes qu’elles puissent paraître, ces alternatives non violentes à la guerre ne semblent pas être aussi efficaces contre les organisations terroristes contemporaines en raison de leur caractère déterritorialisé. En conséquence, ces « carottes » sont largement inefficaces contre des groupes terroristes qui n’ont que faire de perdre une quelconque reconnaissance diplomatique, une aide éventuelle ou de ne pas pouvoir participer aux Jeux olympiques ou à la prochaine Coupe du monde de soccer. Il semble donc que nous soyons de retour à la case départ et que le recours à la guerre est a priori la seule option envisageable contre cette menace.

Il est aujourd’hui crucial de codifier et de légitimer un ensemble de mesures proactives qui permettraient aux États de prévenir efficacement les attaques terroristes en utilisant la violence de manière restreinte et hautement ciblée dans le but d’éviter les effets terribles et imprévisibles des guerres, comme des frappes ciblées par le biais de drones, de cyberattaques ou le déploiement de commandos.

Puisqu’elles peuvent exiger le recours à des actions militaires meurtrières, ces mesures ne peuvent être considérées comme appartenant à la catégorie des alternatives non violentes à la guerre. Par contre, comme elles ne durent pas dans le temps et qu’elles ont une portée limitée, elles ne peuvent en revanche être considérées comme des actes de guerre. Voilà pourquoi il convient d’utiliser le terme « d’alternatives violentes à la guerre » lorsque nous faisons référence à ces mesures.

Bien que largement répandues au XIXsiècle, ces mesures furent néanmoins officiellement prohibées après 1945 par les rédacteurs de la Charte des Nations unies qui s’étaient donné pour tâche de mettre fin à la violence sous toutes ses formes (sauf en cas d’exercice de la légitime défense ou d’autorisation émanant du Conseil de sécurité). Or, cette interprétation manichéenne de la violence politique pose aujourd’hui problème sur les plans stratégique et moral. La question de la violence politique légitime ne peut se limiter à une opposition de type tolstoïenne où tout est assimilable soit à la guerre ou à la paix. La violence est en effet une notion complexe.

À la lumière des menaces émergentes et afin de limiter les conséquences tragiques de la guerre, il est temps pour la communauté internationale de reconnaître qu’elle se trouve à un tournant dans sa compréhension de ce qui constitue un usage acceptable de la force. Après tout, comme l’a un jour écrit Anne Frank : « On ne peut défaire ce qui est fait, mais on peut éviter de nouvelles erreurs. » Ces mots pleins de sagesse devraient être au cœur de notre analyse critique de la façon avec laquelle nous avons lutté contre le terrorisme depuis le matin tragique du 11 septembre 2001.

L’Occident face au terrorisme : regards critiques sur 20 ans de lutte contre le terrorisme

L’Occident face au terrorisme : regards critiques sur 20 ans de lutte contre le terrorisme

Presses de l’Université Laval, septembre 2021

276 pages

Qui est l’auteur ?

Détenteur d’un doctorat en science politique de l’Université Laval, Jean-François Caron est professeur de science politique à l’Université Nazarbayev, au Kazakhstan, depuis 2015. Il a publié Pandémie : une esquisse politique et philosophique du monde d’après (2020), La guerre juste : les enjeux éthiques de la guerre au 21siècle (2015) ainsi que Théorie du super soldat : la moralité des technologies d’augmentation dans l’armée (2018).