D’une scène à l’autre, d’heure en heure, des témoins directs du 11 septembre 2001 apportent leur vision pour construire la mémoire collective de l’événement. Cet extrait décrit des scènes choquantes., nous préférons vous en avertir.

Au cœur de la catastrophe qui a touché le World Trade Center, il n’y a pas eu d’image plus forte et indélébile pour les sauveteurs, les autorités et les rescapés que ces victimes – coincées dans les étages supérieurs des tours, sans issue possible, au beau milieu de la fournaise et des fumées toxiques – qui sont tombées ou ont choisi de sauter dans le vide.

Wesley Wong, agent spécial adjoint, FBI, New York : Un pompier m’a donné un conseil que je n’ai pas compris immédiatement : « Faites attention aux corps qui tombent. » J’ai traversé West Street en me disant : c’est quoi cette histoire de corps qui tombent ? Je lui ai répondu : « On parle d’un incendie, là. » Alors que je m’approchais du bâtiment, le même pompier a hurlé dans mon dos : « Attention, courez ! Il y en a un qui tombe ! » Je me suis arrêté immédiatement, et j’ai levé les yeux au ciel, vers ce beau monochrome bleu azur. J’ai aperçu un type qui tombait du ciel, bras et jambes écartés, et qui m’arrivait droit dessus. Il portait un pantalon bleu marine, une chemise blanche et une cravate. Il avait des cheveux noirs. Je n’en croyais pas mes yeux.

Inspecteur David Brink, unité d’urgences, Camion 3, NYPD : Beaucoup de corps tombaient des bâtiments. J’ai vu un groupe de quatre personnes sauter par une fenêtre, en se tenant par la main. J’avais le regard fixé sur les étages supérieurs et je répétais : « Je vais vous aider, les gars. Tenez bon. S’il vous plaît, tenez bon », mais je savais que je ne pouvais rien y faire. Je me sentais tellement inutile et impuissant.

Docteur Charles Hirsch, médecin légiste en chef, New York : Ces images et ces bruits, je ne les oublierai jamais. Le son d’un corps qui s’écrase, c’est atroce.

Gregory Fried, chirurgien en chef, NYPD : On entendait d’abord un sifflement, un bruit de frottement dans l’air, pffffiou, puis un son mat au moment de l’impact. Un des policiers s’est tourné vers moi : « C’était quoi, ça ? » Je l’ai regardé droit dans les yeux : « Un être humain. »

Quentin DeMarco, policier, PAPD : Les vêtements de ceux qui sautaient faisaient le bruit d’un drapeau ou d’une voile qui claque dans la tempête.

Bill Spade, pompier, Secours 5, FDNY : Dans la tour Nord, les portes s’ouvraient automatiquement grâce à des détecteurs de mouvement. Elles ne cessaient de s’ouvrir et de se fermer chaque fois qu’un corps s’écrasait devant.

Peter Moog, policier, NYPD : J’ai vu un corps s’écraser sur un des pompiers, au croisement de Vesey Street et de West Street. J’ai appris plus tard que le pompier s’appelait Danny Suhr. Il faisait partie de l’équipe de football de sa caserne. Comme j’étais entraîneur de notre équipe du NYPD, j’avais déjà croisé Danny. Il a été l’un des premiers pompiers à mourir ce jour-là.

William Jimeno, policier, PAPD : L’image qui m’a le plus marqué – je peux encore zoomer, mes yeux braqués sur lui –, c’était celle d’un homme blond qui portait un pantalon de toile et une chemise rose clair. Quand il a sauté, il l’a fait les bras presque en croix, comme Jésus. Il a sauté, le regard vers le ciel, puis il est tombé.

Stanley Trojanowski, pompier, Fourgon 238, FDNY : Je me suis signé une cinquantaine de fois, chaque fois que quelqu’un sautait.

Bill Spade : On avait déjà été confrontés directement à la mort, mais cette fois, c’était vraiment différent. Il y en avait tellement.

Sergent Mike McGovern, chef adjoint, NYPD : Mon pantalon était couvert d’éclaboussures, c’était le sang de ceux qui sautaient des tours et s’écrasaient à terre.

Rudy Giuliani, maire de New York : Tout à coup, j’ai aperçu un homme à la fenêtre, aux alentours du 100e, du 101e ou du 102e étage de la tour Nord. Il a sauté. J’ai figé sur place et je l’ai regardé descendre jusqu’en bas. C’était très choquant, je n’avais jamais été témoin d’une telle scène. Je me suis tourné vers le directeur de la police à côté de moi : « C’est bien plus grave que je ne le pensais. On est en territoire inconnu. » Nous avions envisagé beaucoup de situations – attentat à l’anthrax, au gaz sarin, des écrasements d’avion, des effondrements d’immeubles, des prises d’otages, des trains qui déraillent, même le virus du Nil occidental. Je pensais franchement que nous étions la ville la mieux préparée à une situation d’urgence aux États-Unis, voire au monde. Mais là, c’était au-delà de tout ce qu’on avait pu imaginer.

Bernie Kerik, directeur, NYPD : J’étais dans le métier depuis 26 ans, et j’avais tout connu. Des fusillades. Des coéquipiers morts sous mes yeux. Mais là, je ne m’étais jamais senti aussi impuissant. On ne pouvait même pas crier à ces gens de ne pas sauter, ou amortir leur chute.

Melinda Murphy, journaliste info-trafic, WPIX-TV, survolant le port de New York : On avait de bonnes caméras. J’ai demandé : « C’est quoi ce truc qui tombe du bâtiment ? » On aurait dit un liquide qui gouttait depuis les tours. Mon cadreur, Chet, n’en savait rien non plus. Quand on a zoomé au maximum, on a vu les gens sauter. Comme on était en direct, j’ai tout de suite réagi : « C’est bon, c’est bon, dézoome, dézoome ! » Je ne voulais pas que nos téléspectateurs voient ça.

Sunny Mindel, directrice des communications du maire de New York, Rudy Giuliani : Je me souviens de mes collègues du service presse du NYPD entourés de caméras de télévision braquées vers le haut des tours, en direction des gens qui sautaient. Dans mon métier, une des premières choses que l’on nous apprend, c’est de ne jamais mettre la main devant l’objectif d’une caméra. C’est une violation pure et simple du premier amendement, ça revient à censurer la presse. J’étais tellement choquée de voir ces gens qui décidaient de sauter qu’instinctivement, j’ai pensé : c’est terrible de leur voler ce moment, le plus intime qui soit. J’ai avancé mes mains pour masquer les objectifs, mais je me suis arrêtée juste avant : non, il faut enregistrer ces images, pour la postérité. Je suis restée debout, sans bouger.

11 septembre – Une histoire orale

11 septembre – Une histoire orale

Les Arènes

529 pages

Qui est Garrett M. Graff

Journaliste, historien et auteur, Garrett M. Graff a passé plus d’une douzaine d’années à couvrir la politique, la technologie et la sécurité nationale. Il est aujourd’hui directeur du programme de cybersécurité et de technologie de l’Aspen Institute. Il a été rédacteur en chef du magazine Washingtonian et de Politico Magazine. Cet extrait décrit des scènes choquantes, nous préférons vous en avertir.