Après Versailles (2008) et L'exercice de l'État (2011), le réalisateur Pierre Schoeller poursuit sa réflexion sur l'histoire et le pouvoir avec Un peuple et son roi, un film ambitieux sur la Révolution française, filmé à la hauteur du peuple engagé dans les événements. Et avec lequel on peut certes faire des liens avec le mouvement des gilets jaunes.

La Révolution française a été souvent dépeinte au cinéma. Que vouliez-vous ajouter à sa compréhension et d'où vient votre intérêt pour cette époque?

Le film est dans la continuité de mes deux précédents longs métrages, Versailles, qui était déjà un clin d'oeil à l'Histoire, et L'exercice de l'État, qui était une méditation sous forme de thriller sur la responsabilité politique et le fait d'être impuissant en gouvernant. Je me suis aperçu qu'il y avait une question qui continuait de me laisser un peu dans un vertige, celle d'un peuple ayant un rôle politique. Et pourquoi, en France, on a l'impression que la politique et le peuple sont fâchés, irréconciliables. Je me suis dit qu'il y avait peut-être un temps où ce n'était pas exactement comme ça, et c'est un peu les premières années de la Révolution française, où l'on voit une société se remettre totalement en cause, où les rôles de chacun sont redéfinis. C'est un moment de grandes espérances, de grande recherche, ce n'est pas que des têtes coupées ou des émeutes. Le fond même des événements était une certaine création d'humanité. Plus j'allais voir le matériel historique, plus je me disais: «Ça parle de nous.»

J'ai pris le parti de coller non pas au plus près de la reconstitution, mais de la restitution historique. J'allais amener le spectateur à faire un voyage, le déplacer dans ce temps-là, pour que ça éveille beaucoup de choses. Ç'a été un travail très intense et ambitieux, de tout le monde.

Un des aspects les plus nouveaux dans votre film est la présence des femmes dans la Révolution, qu'on a souvent résumée à la marche sur Versailles en octobre 1789. Dans Un peuple et son roi, elles sont là du début à la fin.

J'ai travaillé avec des historiens et ce n'est pas une déformation historique ou de perspective, ou un effet de point de vue. Ce n'est pas l'affirmation d'un discours féministe. C'est vrai qu'à partir du moment où on englobe le peuple dans le processus révolutionnaire, les femmes sont totalement là. Elles s'informent, s'intéressent, prennent parti, s'opposent entre elles. Elles investissent le moment révolutionnaire comme les hommes. Et cette marche des femmes est un épisode assez incroyable, un vrai tournant puisque cela a produit le retour du roi à Paris. Ce qui est très fort et qui a eu de vraies incidences sur la suite.

Qu'avez-vous appris de nouveau en faisant ce film?

Je ne peux pas prétendre avoir découvert quelque chose de nouveau, mais par contre, ce que j'ai senti, ce sont des choses dont peut-être on parle moins. Il y a entre autres le fait de traverser une révolution. De voir ce qui se passait au niveau des vies personnelles. Il y a des couples qui se forment, des naissances... Je crois qu'il y avait un sentiment de fragilité. Il y a un paradoxe avec la révolution, car on a l'impression de grandes certitudes et de grands élans, d'une force, quelque chose qui renverse, mais quand vous êtes à l'échelle du quotidien, en fait, c'est très fragile. On a bien vu, par exemple, dans les révolutions arabes, que c'est une chose qui n'est jamais acquise et la peur du retour en arrière, du retour à l'ordre ancien, elle est très présente, en fait.

Les films sur la Révolution sont souvent axés sur les grandes figures historiques et nous voyons dans le vôtre Marat, Robespierre, Barnave, Louis XVI... Quelle place avez-vous voulu leur donner?

Ce qui m'intéressait, c'est comment on pouvait les écouter. Par exemple, comment Barnave pouvait choquer ou séduire - c'était un grand orateur. Le film essaie de montrer ces figures non pas comme toutes-puissantes sur les événements, mais elles aussi prises par les événements. Ça les humanise, en fait.

Nous voyons dans le mouvement des gilets jaunes une utilisation de l'iconographie de la Révolution française. Que pensez-vous de cela? Peut-on faire des liens?

C'est indispensable. Il y a de vraies grandes similitudes entre le mouvement des gilets jaunes et la révolution, et en même temps, des choses très différentes. Ce qui est saisissant, c'est qu'ils se sont attaqués aux péages des autoroutes, et à la veille de la prise de la Bastille, les arrières payantes aux entrées de Paris ont aussi été brûlées. Les idées d'un cahier de doléances, c'est absolument un langage très important de la Révolution. Moi, ce que je sens, et pour le dire très simplement, c'est qu'on a eu des gouvernements qui depuis pas mal d'années sont préoccupés par l'état du pays. C'est-à-dire des données économiques, de la sécurité, de la stature internationale de la France. Mais à un moment donné, ce pays, c'est aussi des habitants, un peuple, des Français. S'ils n'avaient pas oublié qu'ils gouvernent pour une population et pas simplement un pays, on ne serait pas dans cette situation. C'est peut-être ce qui est en train de changer et ça, c'est très profond. 

Les gilets jaunes revendiquent le fait de ne pas mettre en avant une idéologie, il y a sûrement des extrémistes qui sont là, on a très peur que les partis d'extrême droite ressortent plus puissants ou que, dans quelques mois, un vrai parti populiste accède au pouvoir, mais ça peut aussi déboucher sur quelque chose de plus fort, c'est-à-dire à la fin de la Cinquième République, à une nouvelle constitution et à une vraie réforme de la France.

Un peuple et son roi est présentement à l'affiche.

Photo fournie par MK2

Les femmes sont très présentes dans Un peuple et son roi. «J'ai travaillé avec des historiens et ce n'est pas une déformation historique ou de perspective, ou un effet de point de vue. Ce n'est pas l'affirmation d'un discours féministe. C'est vrai qu'à partir du moment où on englobe le peuple dans le processus révolutionnaire, les femmes sont totalement là», explique le réalisateur Pierre Schoeller.