Présenté dans la section Un certain regard en mai dernier à Cannes, le film suédois Border raconte de façon singulière l'amour naissant entre deux personnes laides selon les critères généralement admis. La Presse en a discuté avec le réalisateur Ali Abbasi.

Foi d'Ali Abbasi, réalisateur du film Border, il est moins difficile qu'on le pense de parler de laideur au cinéma. Parce qu'on en discute, ouvertement ou non, dit-il.

Mais ce qu'on oublie, c'est que la laideur n'exclut pas l'amour fou, total, intégral entre deux êtres. Ce qu'il explore justement dans son long métrage, singulier, organique et dérangeant qui arrive aujourd'hui sur nos écrans.

«Je sais que ce n'est pas politiquement correct d'identifier ceux qui sont laids et ceux qui ne le sont pas. Ce sont des notions qui nous habitent, mais qu'on n'arrive pas à exprimer au moment de le faire», indique-t-il en entrevue de Copenhague où il vit.

Pour lui, il était donc vital d'aborder ce sujet de façon frontale au moment de tourner son film.

«Je voulais raconter une histoire d'amour avec des personnes laides. À partir de là, il aurait été stupide de le faire de façon détournée.»

De fait!

Border raconte donc l'histoire de Tina, une femme au visage animal qui travaille à la douane et est capable, en raison d'un instinct et d'un sens de l'odorat très aigus, de repérer des passeurs, des fraudeurs et des gens cachant d'horribles secrets.

Vivant dans la marge, Tina voit sa vie basculer le jour où elle rencontre Vore. Ce dernier va lui expliquer qui ils sont vraiment : des trolls avec des sexes inversés, la queue coupée et un passé fait de maltraitance avec les humains.

Même si son scénario et sa mise en scène le suggèrent, M. Abbasi dit ne pas avoir voulu parler de la question des genres et des transgenres, sujet actuel s'il en est un. «C'est beaucoup trop sérieux pour que je l'aborde à travers ces personnages, dit le réalisateur. Les gens me demandent aussi si j'ai voulu parler d'immigration et de la crise migratoire. Ce n'est pas le cas. Mais cela dit, oui, le film fait référence aux questions de minorité.»

Transformation extrême

Tout au long de l'entrevue, Ali Abbasi émettra des opinions, des points de vue qui démontrent son affection pour les sujets, les personnages, les situations à plusieurs couches. Le monde n'est pas en noir et blanc dans son esprit. Il est complexe. Il mérite qu'on l'examine sous tous les angles pour mieux le comprendre.

Prenons le cas des trolls, personnages issus de la mythologie, des croyances et du folklore scandinaves. Dans son film, ils sont tantôt de bonnes personnes avec des idéaux, tantôt des êtres qui détestent les humains, et déterminés à se venger, en raison de ce qu'ils ont subi.

«Parfois, les Suédois et Scandinaves racontent des histoires où les trolls sont des créatures bienveillantes qui aident les humains. Parfois, ils sont représentés comme des personnages malveillants qui s'en prennent aux petits enfants», dit le cinéaste.

«Moi, je trouvais intéressant d'explorer les deux facettes de leurs personnalités.»

Pour devenir Tina et Vore à l'écran, les deux comédiens qui les incarnent, Eva Melander et Eero Milonoff, devaient se soumettre à quatre heures de maquillage avant d'aller sur le plateau de tournage et à une heure de démaquillage en fin de journée. À ces longues séances s'ajoute le fait qu'ils devaient jouer des êtres aux comportements inexistants ou très peu vus en société. Comme manger des insectes pris à même le sol!

Cela ne les a nullement empêchés d'embarquer dans le projet, assure M. Abbasi.

«J'ai mis deux ans à les trouver au terme d'un long processus de casting, dit-il. Lorsque je les ai choisis, ils étaient, en un sens, déjà engagés dans le projet. Ils avaient pleinement conscience de mes attentes. Ce sont des professionnels et ils ne se sont pas mis à chipoter sur ceci ou cela. Ils voulaient faire leur travail du mieux qu'ils pouvaient et construire le meilleur personnage possible.»

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Border est actuellement à l'affiche.

Photo fournie par Mongrel Media 

Ali Abbasi