Éjecté d'un milieu qui a pourtant fait de lui l'une des grandes stars du cinéma au cours des années 80 et 90, Rupert Everett propose aujourd'hui un film sur l'un des personnages les plus influents de sa vie: Oscar Wilde. Dix ans d'efforts ont été requis pour concrétiser ce long métrage dont il signe aussi la réalisation.

En choisissant d'intituler son film The Happy Prince, Rupert Everett fait d'emblée écho à un récit que sa mère lui a lu alors qu'il était âgé de 6 ans. À cette époque - on parle des années 60 -, les jeunes Britanniques étaient encore familiarisés très tôt aux contes d'Oscar Wilde. Mais le film que propose aujourd'hui l'acteur, qui signe ici sa première réalisation, a plutôt à voir avec la perspective d'un homme qui, à la fin de sa vie, revoit les grandes étapes d'une existence marquée à la fois par la gloire et par la déchéance.

S'il affirme avoir été fasciné par l'auteur dès son plus jeune âge, Rupert Everett a aussi développé très rapidement un lien intime envers l'oeuvre, qu'il a jouée très souvent sur les planches et au grand écran, mais aussi envers un homme flamboyant ayant vécu à l'ère victorienne, condamné à la prison en raison de son homosexualité.

Cent dix-huit ans après sa mort à 46 ans, Oscar Wilde emprunte les traits de Rupert Everett pour revivre au cinéma. L'acteur estime qu'en plus de la résonance personnelle qu'elle suscite en lui, l'histoire de l'auteur de The Picture of Dorian Gray est plus pertinente que jamais.

«Wilde est d'abord pertinent pour moi, explique Rupert Everett au cours d'un entretien téléphonique accordé à La Presse. Quand on décide de faire le portrait de quelqu'un, je crois qu'il faut impérativement que surgissent des échos intimes. À mes yeux, Oscar Wilde est un modèle en tant qu'artiste, mais aussi en tant qu'homme gai. D'une certaine façon, il est devenu la première figure emblématique du mouvement homosexuel, car cette façon de vivre cette sexualité n'existait pas avant lui. Quand j'ai eu 50 ans, j'ai cherché un sujet de film dans lequel je pouvais m'investir totalement. Wilde m'a semblé un choix évident.»

Une résonance actuelle

Aujourd'hui âgé de 59 ans, Rupert Everett trouve aussi que la vie d'Oscar Wilde emprunte une nouvelle résonance dans le contexte actuel.

«Il reste d'autant plus pertinent aujourd'hui, à une époque où l'Amérique est dirigée par un type comme Donald Trump et que l'extrême droite monte un peu partout en Europe. Dans plusieurs pays du monde, l'homosexualité est encore une question de vie et de mort. Tant que ça durera, Wilde restera toujours pertinent, au-delà de la mort.»

Si, d'une part, Everett est très préoccupé par la montée de valeurs qui semblent relever d'un autre âge, certains signes plus encourageants l'empêchent de sombrer dans la morosité.

«Ce qui est étrange à propos de notre époque, c'est que, d'un côté, vous avez cette montée de l'extrême droite et, de l'autre, plein de bonnes choses se passent, comme le mouvement #metoo. Ces courants très forts s'affrontent, sauf chez vous [au Canada], qui à nos yeux emprunte les allures d'un paradis!»

«Le Canada est un pays incroyable, où tout semble tellement mieux organisé en regard des valeurs plus progressistes, ajoute-t-il. Mais il est évident qu'à titre de minorité, on se doit d'être toujours vigilant quand la majorité se met en colère.»

Largué du jour au lendemain

Grâce à des films comme Dance with a Stranger et My Best Friend's Wedding, Rupert Everett a été l'un des acteurs les plus sollicités des années 80 et 90. Selon son propre dire, le milieu l'a largué du jour au lendemain. En conséquence, les propositions se sont faites beaucoup plus rares au cinéma. 

«À une certaine étape de ta carrière, le monde commence à tourner sans toi, fait-il remarquer. Je ne suis d'ailleurs pas le seul à avoir vécu ce phénomène. Si tu veux poursuivre, tu dois continuer et te réinventer. J'ai été très chanceux d'avoir le théâtre. J'ai aussi écrit. Ce film a mis 10 ans à se faire et cela ne me surprend pas vraiment. Ce qui était relativement facile hier est devenu extrêmement complexe aujourd'hui. Pour être bien honnête, je crois qu'à Hollywood, personne ne souhaitait faire des affaires avec Rupert Everett non plus. Je ne saurais dire pourquoi. Si j'étais allé cogner aux portes plus tôt, ç'aurait été sans doute plus facile.»

Colin Firth à la rescousse

Colin Firth et Rupert Everett ont pratiquement commencé leur carrière cinématographique ensemble en se donnant la réplique dans Another Country, une adaptation de la pièce de Julian Mitchell, portée à l'écran par Marek Kanievska en 1984. Depuis, les deux acteurs sont des amis très proches. Ils se retrouvent dans The Happy Prince.

«Colin arrive au début et à la fin, indique le cinéaste. J'ai voulu qu'il ait une tenue vestimentaire qui rappelle celle qu'il portait dans Another Country, car je souhaitais qu'il y ait une petite trace de ce film dans le mien. Je dois aussi dire que sans Colin, The Happy Prince n'aurait pas pu être fait. Quand est venu le moment de trouver de l'argent, il est évident que le nom de Colin m'a bien servi. Il ne m'a jamais laissé tomber et je lui en serai éternellement reconnaissant.»

Rupert Everett ne sait pas encore dans quelle direction la vie le mènera, mais The Happy Prince marque pour lui une étape importante.

«Réaliser ce film a certainement changé quelque chose en moi. Il s'agit en tout cas d'un tournant. Assurément.»

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The Happy Prince prendra l'affiche le 26 octobre.

Photo fournie par Métropole Films

Rupert Everett incarne Oscar Wilde dans The Happy Prince, un film dont il signe aussi le scénario et la réalisation.