Vincent Guzzo, homme d'affaires bien connu, participe depuis quelques semaines à Dragons' Den, le pendant canadien-anglais de l'émission Dans l'oeil du dragon, à la CBC. Discussion sur Netflix, l'impopularité du cinéma québécois et la popularité de Vincent Guzzo sur Instagram.

Vous construisez un nouveau cinéma à Saint-Jean-sur-Richelieu. C'est donc que vous croyez que les gens vont continuer d'aller au cinéma...

J'ai quatre projets de cinéma en chantier. Il faut que les gens réalisent qu'un cinéma, ce n'est pas juste aller voir un film. C'est une sortie. Une activité pour se distraire. Il n'y a pas tant de monde que ça qui a un cinéma maison. Les gens critiquent les salles de cinéma en disant: «Vous allez disparaître, etc.» Mais ce ne sont pas des amateurs de cinéma. Ils ne vont pas au cinéma.

Ils regardent Netflix...

C'est évident que Netflix a levé la barre des attentes. Mais 80 % des abonnés regardent les séries originales de Netflix. Pas les films! C'est sûr que si on offre la même chose à la maison, pour 9,99 $ par mois, que ce qu'on offre au cinéma à 12 $, on dévalue le produit. L'autre chose, et on a déjà été en désaccord là-dessus, c'est que tu peux construire le plus beau cinéma du monde, si tu programmes des films que les gens ne veulent pas voir, ce sera un éléphant blanc! Moi, je n'ai pas de problème avec les films d'auteur. J'en regarde, des films italiens ou français de France. Le problème, c'est que ce n'est pas ça que le monde veut! Mais dans notre industrie, il n'y a personne qui est assez homme et assez fier pour se lever debout et dire la vérité.

Netflix est en train de changer le paradigme de la distribution de films. Netflix dit: «On veut bien montrer nos films dans vos salles, mais on veut qu'ils soient offerts en même temps sur notre plateforme...»

Dans toute cette discussion avec Netflix, le problème, c'est qu'on dévalue le produit. L'analogie que j'ai envie de faire valoir à Netflix, c'est que si vous ne faites pas une tournée live dans les stades avec des musiciens, vos disques ne vont pas se vendre. De toute façon, il n'y a plus d'argent à faire avec les disques. Il n'y a plus personne qui achète des disques. Pour faire connaître les chansons, il faut faire un spectacle. Netflix ne fait pas d'argent avec ses films. C'est le glamour du cinéma qui l'oblige à en faire.

En même temps, il commence à y avoir des cinéastes importants chez Netflix. Martin Scorsese, par exemple. Ça ne vous fait pas peur pour l'avenir?

Oui et non. Sans insulter Scorsese, la vérité, c'est qu'il est vraiment en fin de carrière. Le fait que Netflix lui propose de faire son prochain film, ça démontre qu'ils visent une clientèle qui n'est pas nécessairement la même que celle d'Avengers ou de Mission: Impossible.

Je pense que les dirigeants de Netflix vont convaincre un jour des David Fincher et des Christopher Nolan de faire des films avec eux, éventuellement. Ce n'est pas pour rien qu'Alfonso Cuarón a fait Roma chez Netflix. Vous me direz que c'est un film d'auteur sous-titré, en espagnol...

C'est ça qui va arriver. À court ou moyen terme, j'ai surtout peur pour les films d'auteur. Ils sont à risque. C'est facile de dire non à Roma. C'est quoi, le box-office que je peux faire avec Roma, mettons, à Pont-Viau? Mais Chris Nolan - je le connais, Chris, on se parle régulièrement quand je vais à Los Angeles - ne va pas faire un film pour Netflix. Il fera peut-être un autre genre de projet pour Netflix, qui n'est pas du tout pensé pour une salle de cinéma.

Mais pour un gars comme moi qui aurait préféré voir Roma au cinéma, parce que Cuarón l'a conçu pour qu'il soit vu sur un grand écran, on fait quoi? Vous direz qu'heureusement, il n'y en a pas trop des comme moi, sinon ce serait mauvais pour la business... [Rires]

Je te corrige tout de suite. Ce n'est pas mauvais du tout pour la business que tu aies envie de voir Roma au cinéma. Au contraire. J'ai un cinéma de 14 salles à Terrebonne. C'est pas pour jouer 14 films américains! C'est évident que je voulais aller chercher la clientèle de La grande séduction ou du Déclin de l'empire américain. Des films qui ne sont pas mainstream. À Pont-Viau, en ce moment, il y a La disparition des lucioles et Assassination Nation. Mais il faut aussi que je m'arrange pour avoir des salles libres quand il y a un film porteur comme Avengers ou Star Wars. Je ne vends pas que mes sièges confortables, je vends aussi le film de l'heure que tu veux voir! Mais il y a comme une philosophie québécoise qui dit que ce n'est pas correct de se vendre. T'es pas un vrai artiste si tu fais de l'art commercial. Ça, c'est un problème. Moi, je suis un gars terre à terre, nonobstant le fait que j'aime conduire des autos dispendieuses. Je parle avec le monde. Il y en a qui ne m'aiment pas. Mais mon public me parle. Les gens me disent le fond de leur pensée. Ce n'est pas qu'ils n'aiment pas les films québécois, ou qu'ils trouvent que les films québécois sont mauvais, mais il faut admettre qu'ils ne les intéressent pas beaucoup.

Les chiffres te donnent malheureusement raison. C'est indéniable...

Moi, j'ai des contacts chez Téléfilm et à la SODEC, je connais tous les producteurs et réalisateurs, j'ai l'argent. J'aurais pu en faire, un film. Si je ne l'ai pas fait, c'est pas parce que je suis niaiseux. C'est parce que je me demande comment je vais rejoindre mon public. Qui est mon public et comment je dois raconter une histoire pour qu'il embarque? Ça, ça s'appelle de l'art. Il y a de l'art qu'on met sur nos murs, et l'art qu'on n'achète pas parce que personne ne veut mettre ça sur un mur. Tant qu'à payer quelqu'un pour faire une oeuvre d'art, mettons toutes les chances de son bord et donnons-lui les moyens au niveau de la mise en marché. Quand je fais de la publicité pour mes films, c'est connu, je vais un peu overboard. C'est un peu pour écoeurer les distributeurs québécois qui ne mettent pas assez d'argent pour promouvoir leurs films. Ils n'achètent plus des pages ou des demi-pages de publicité dans les journaux. Ils pensent que c'est comme la Vierge Marie: on a fait un film québécois, donc tout le monde devrait savoir qu'il existe. Moi, je suis dans l'industrie, et il y a des films dont j'ai jamais entendu parler.

Parlant de publicité, il y a de grandes affiches de Dragons' Den à votre cinéma du Marché Central. Parce qu'il faut savoir se vendre et que Vincent Guzzo est devenu une vedette populaire?

Quand on m'a demandé d'être sur cette émission-là, en toute honnêteté, je dois admettre qu'ils m'ont fait une fleur. C'est un cadeau. Pour moi, c'est une plateforme nationale. On m'a refusé aux Dragons québécois. C'était un mal pour un bien. Ma notoriété ou ma popularité aurait été limitée au territoire du Québec. Là, on m'écrit de Vancouver et de partout pour essayer d'avoir des cinémas ou des restaurants. Je pourrais développer un branding Guzzo à travers le pays. C'est un plus. Il y a des télés américaines qui m'avaient approché dans le passé et qui voulaient faire une téléréalité sur ma famille. Le titre de travail était Trying to Keep Up With the Guzzos. Je trouvais que c'était une trop grande invasion de ma vie familiale. Mais je suis heureux d'être le premier Montréalais depuis longtemps sur Dragons' Den. C'est pour ça que j'en fais la promotion dans mes salles. J'essaie de monétiser la notoriété du branding.

Dans le même esprit, on m'a dit que tu avais un million d'abonnés sur Instagram. C'est beaucoup...

Quand j'ai fait Le beau dimanche [à Radio-Canada] et qu'on a annoncé que j'allais faire Dragon's Den, j'étais à 450 ou 500 000 followers. Puis ils ont moussé ma participation au show et c'est là que ça a explosé. Le problème avec les followers sur Instagram, c'est que je suis bloqué à 1 million, jusqu'à ce que j'atteigne 1,1 million. Ce que je trouve un peu baveux, c'est une animatrice de télé qui m'a écrit sur les réseaux sociaux pour me demander si j'avais fait du «shopping» pour avoir 1 million d'abonnés. En voulant dire que j'avais acheté des followers. Je n'ai pas voulu lui répondre. Mais mon compte Instagram est certifié. Instagram protège sa réputation. Ce sont mes enfants qui ont propulsé ma popularité en me faisant mettre des photos de running shoes de Kanye West. Tout d'un coup je suis devenu un gars cool sur Instagram!