Tout le monde n'a pas lu Colette, mais tout le monde sait que Gabrielle Sidonie Colette est une icône de la littérature française du XXe siècle et le sujet de plusieurs films. Le plus récent s'intitule tout simplement Colette et met en vedette deux Britanniques, Keira Knightley, dans le rôle de Colette, et Dominic West, dans celui de Willy, son mari. La Presse a rencontré ce dernier à Toronto.

Tout le monde connaît Colette, mais qui se souvient de Willy, son premier mari, celui qui l'a encouragée à écrire, mais qui l'a aussi impunément exploitée en signant ses premiers livres de son nom à lui ? Qui s'en souvient? Personne, pas même l'acteur Dominic West qui l'incarne et qui ignorait l'existence d'un homme qui a pourtant été une grande célébrité de son temps.

«Effectivement, je ne savais rien de Willy. Comme tout le monde dans le fond, même si Willy a été la grande star du Paris littéraire du XIXe siècle. On dit qu'il y avait 3000 personnes à ses funérailles et pourtant, aujourd'hui, plus personne ne se souvient de lui», raconte Dominic West dans une suite d'hôtel du centre-ville de Toronto.

Comme tous ceux qui n'ont pas suivi la série The Affair sur Showtime ou à Canal Vie ni vu la série The Wire, j'ignorais qui était Dominic West. En le voyant pour la première fois au grand écran dans le rôle de Willy, je l'ai pris pour un illustre inconnu, grisonnant, bedonnant et pas très sexy. Je ne me doutais pas que l'acteur britannique, très connu dans le milieu du théâtre à Londres, s'était lourdement métamorphosé.

«Ça ne me dérangeait pas trop d'avoir l'air d'un gros vieux schnock, rigole-t-il. Ce qui me dérangeait, par contre, c'est les bourrures que je devais porter chaque jour en pleine canicule à Budapest, où le film a été tourné. Il y avait aussi le morse en forme de fausse moustache que je supportais difficilement.»

«J'ai l'impression d'avoir été rouge, luisant et en sueur tout au long du tournage, ce que Willy a sans doute souvent été de son vivant.»

C'est l'Américain Wash Westmoreland (réalisateur de Still Alice) qui a écrit le scénario de Colette avec son défunt mari Richard Glatzer. Les deux ont travaillé des années sur le projet avant qu'il ne se concrétise. Et pour tous deux, il n'y avait aucun doute que la langue parlée par Colette et son mari serait l'anglais. Of course!

Dominic West raconte avoir proposé que les acteurs parlent anglais avec un accent français. «Dieu merci, Wash a refusé. Et c'est bien ainsi. Tout le monde parle la même langue avec un équivalent régional. Mais ce qui m'inquiétait plus, c'était que le film fasse trop anglo-saxon, qu'il ne soit pas assez latin, romantique et passionné. Que ce soit trop british, en somme! C'est pourquoi Keira et moi étions très conscients de la nécessité de faire croire à la chimie entre nos personnages. Parce que si le public ne sent pas que Colette aime Willy et qu'elle a du plaisir avec lui, elle sera perçue comme une victime, ce qui n'a jamais été le cas.»

L'acteur s'est inquiété pour rien, du moins pour la chimie de la relation entre Colette et Willy. Même que cette chimie est si palpable qu'elle nous aide à passer l'éponge, au début du moins, sur le sexisme éhonté d'un homme qui n'a aucun scrupule à prendre tout le mérite pour des livres - la série des Claudine - dont il n'a pas écrit une ligne.

«Willy était d'abord et avant tout le produit de la misogynie de son époque, explique West. Pour le reste, cet homme était un génie du marketing. Après tout, il a réussi à devenir très célèbre sans écrire une ligne, sauf évidemment dans les journaux. Il aurait adoré Twitter et les réseaux sociaux, ce qui n'empêche pas qu'au fond, il était une merde et un trou de cul misogyne.»

L'affranchissement

À la longue, on se doute bien que Colette ne se laissera pas faire et s'affranchira contre le gré de Willy. Puis, une fois affranchie, elle quittera son vieux mari pour une femme, la baronne Madeleine Deslandes, une des premières femmes à s'habiller en homme.

Cet aspect très connu de la vie de Colette en a fait une icône gaie. Pourtant, après son aventure avec la baronne et plusieurs autres femmes, Colette a eu deux autres maris. «Je soupçonne Colette de s'être contrefichée de ses maris ou de quiconque. Ce qui comptait pour Colette, c'était d'abord Colette. Quant à sa sexualité, disons que l'époque où elle a vécu était sexuellement plus fluide et permissive que maintenant.»

«Aujourd'hui, c'est noir ou blanc, t'es gai ou hétéro, et il suffit que tu suces une bite une fois pour être catalogué le reste de ta vie. Les Français de cette époque étaient finalement plus réalistes que nous.»

Il continue à rire lorsque je lui fais remarquer qu'avec son réalisateur américain, sa distribution britannique et sa langue anglaise, Colette est un bel exemple d'appropriation culturelle, non?

«Fuck l'appropriation culturelle! s'écrie-t-il. Les grands artistes et les grandes oeuvres doivent appartenir à tout le monde! Je n'étais pas au courant de ce qui est arrivé à Robert Lepage, mais maintenant que vous m'en parlez, je trouve cela ridicule. Robert Lepage est un grand artiste doté d'un talent exceptionnel. Pouvez-vous lui dire que j'aimerais ça travailler avec lui?»

Si jamais Robert Lepage ou un de ses proches lit cette entrevue, qu'il sache que Dominic West attend son appel. Et que ce dernier est prêt à se vieillir, à se grossir et à passer pour un salaud au nom de l'art. 

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Colette est actuellement à l'affiche.