Ses films ont toujours la particularité d'accrocher un peu l'air du temps en observant les petits et grands travers de la société. Dans Place publique, la réalisatrice du Goût des autres s'attaque à la rectitude politique à l'ère des médias sociaux en n'épargnant personne, même gentiment.

Elle aime développer des thèmes en demi-teintes. À une époque où les positions politiques et sociales sont très tranchées, et souvent débattues sans civilité sur les médias sociaux, Agnès Jaoui a souhaité réfléchir à la question dans son cinquième long métrage à titre de réalisatrice. Elle cosigne bien sûr son scénario avec Jean-Pierre Bacri, avec qui elle forme un tandem créatif depuis plus de 25 ans.

«Aucun élément déclencheur particulier ne nous a poussés à écrire cette histoire, mais il y avait quand même longtemps que nous voulions traiter du thème de la rectitude politique et explorer un peu ce qui se joue derrière cette expression», a expliqué Agnès Jaoui au cours d'un entretien téléphonique accordé à La Presse plus tôt cette semaine. «Il faut dire qu'au moment où nous avons commencé l'écriture du scénario, nous traversions en France une période plutôt préoccupante alors qu'avait lieu l'élection présidentielle, avec Marine Le Pen comme candidate au deuxième tour. On trouvait intéressant d'explorer comment les élites sont perçues, surtout les élites médiatiques et artistiques, mais aussi comment ces élites se comportent.»

Tout le film se déroule ainsi dans un jardin privé où une productrice (Léa Drucker), nouvellement propriétaire de cette maison de campagne «à 35 minutes de Paris», organise une grande fête pour pendre la crémaillère. Parmi les invités, on compte un célèbre animateur de télévision (Jean-Pierre Bacri), qui ne cadrera bientôt plus dans les plans de son diffuseur, un rappeur très populaire (Mister V) et l'ancienne compagne de l'animateur (Agnès Jaoui) qui, contrairement à celui qui a été son conjoint, est restée fidèle à ses convictions, même si plus personne, pratiquement, ne veut l'entendre. D'une certaine façon, ce personnage fait écho à la réalisatrice, toujours très impliquée dans les mouvements humanistes. À l'heure où les sociétés occidentales semblent vouloir pencher vers la droite, Agnès Jaoui estime que ce combat n'est quand même pas perdu.

«C'est comme un retour du balancier. Je ne suis pas politologue ni sociologue, mais je constate ce retour aux valeurs plus anciennes et je crois qu'il provient d'une peur du changement.»

«À travers l'Histoire, on observe toujours des cycles de cette nature, dit-elle. Je peux très bien comprendre le sentiment d'une partie de la population qui ne se sent pas considérée ni représentée. Quand on fait de la télé ou du cinéma, on évolue dans un milieu plus progressiste, mais ce qui a l'air entendu pour nous ne l'est pas obligatoirement pour les autres. D'où le sentiment d'aliénation que ressentent certaines personnes.»

Un ton quand même léger

Dans Place publique, ce sentiment d'aliénation est évoqué grâce au personnage du voisin, très contrarié par le fait que sa quiétude soit perturbée par ces bobos parisiens qui ne respectent aucune règle.

«Cet homme pourrait clairement commettre l'irréparable, comme on le voit souvent dans les journaux télévisés, mais on ne souhaitait pas s'engager dans cette direction. On voulait quand même garder un ton plus léger!», fait remarquer la réalisatrice.

Contrairement à Au bout du conte, son film précédent, Place publique est un film choral campé dans un seul et même décor. Ce choix artistique est peut-être moins complexe sur le plan de la logistique, mais il comporte néanmoins ses défis, notamment à l'étape de la mise en scène. En revanche, Agnès Jaoui n'est pas prête à laisser toute la place à la réalisatrice dans ses propres films. 

«Pour l'instant, je ne me pose pas la question et je m'attribue toujours un rôle à jouer, parce que j'aime trop ça, explique-t-elle. Cela me permet de faire partie de l'aventure du film à ce niveau-là aussi. Et puis, avec Jean-Pierre, nous avions envie de nous écrire encore plus de scènes communes que d'habitude. Le fait que nous nous connaissons si bien l'un et l'autre fait en sorte qu'il devient plus facile pour nous de jouer un ancien couple.»

Le paradoxe d'une époque

Quant au titre, il exprime bien le paradoxe d'une histoire qui se déroule dans la sphère privée, à une époque où cette notion n'a pratiquement plus de signification.

«Grâce ou à cause des réseaux sociaux, nos vies peuvent maintenant être mises en permanence sur la place publique, qu'on soit un personnage public ou pas, souligne Agnès Jaoui. Pour les gens très célèbres, cela peut vite devenir un cauchemar, ce qui n'est pas mon cas du tout. Par rapport à d'autres personnalités, vraiment très populaires, je trouve qu'on nous laisse quand même vraiment peinards. Il est certain que si les médias sociaux avaient existé pendant mon adolescence, j'aurais été la première à y mettre mon journal intime. J'avais envie de reconnaissance, de popularité. J'aurais voulu qu'une caméra me suive en permanence et qu'une autre suive mes copines. J'aurais probablement fait toutes les conneries possibles et imaginables. On ne mesure pas le danger ni les conséquences à cet âge.»

Malgré les moments plus difficiles que traversent les groupes plus progressistes, Agnès Jaoui tient à garder son optimisme, en attendant le retour du balancier.

«Évidemment, le discours devient inaudible pour ceux qui ne pourraient voir en moi qu'une gaucho à la con. Toute discussion devient alors impossible et il ne peut y avoir d'échange. Mais mon optimisme me donne de l'énergie. Je suis convaincue que les valeurs progressistes reprendront un jour du poil de la bête.»

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Place publique est actuellement à l'affiche.

Photo Yohan BONNET, Archives AGENCE FRANCE-PRESSE

Agnès Jaoui propose Place publique, son cinquième long métrage à titre de réalisatrice.