Le réalisateur de Ponette propose le premier film qui fait directement écho à la vie d'Auguste Rodin, considéré comme l'un des pères de la sculpture moderne. Son film, lancé l'an dernier au Festival de Cannes, est loin d'avoir fait l'unanimité, mais le cinéaste assume parfaitement sa démarche. Et son point de vue.

De notre rive d'océan, on croyait franchement l'avoir perdu de vue. Le cinéma de Jacques Doillon a beaucoup intéressé les cinéphiles québécois pendant un peu plus de deux décennies, mais les films qu'a réalisés le cinéaste depuis le début du millénaire ne se rendent pratiquement plus jusqu'à nous.

«Mes films voyagent sans moi, maintenant. Je ne sais s'ils sont présentés dans des festivals chez vous - j'aimais beaucoup le Festival du nouveau cinéma - mais s'ils le sont, moi, on ne m'invite plus. Et j'aimerais bien aller m'acheter un manteau dans cette boutique, là, rue Rachel!»

Le cinéaste reconnaît avoir maintenant du mal à monter ses projets. Il y arrive pourtant. Tant bien que mal. Rodin, qui lui a été proposé, est le premier qu'il réalise depuis Mes séances de lutte, sorti en France il y a cinq ans.

«Nous sommes dans une culture du divertissement et cela fait en sorte qu'il devient de plus en plus difficile pour des gens comme moi de faire des films, explique-t-il. Et pourtant, je bataille. Tous les jours. Dans le meilleur des cas, je tourne tous les trois ans. En produisant moi-même parfois.»

Du documentaire à la fiction

Il doit d'ailleurs à l'intérêt qu'ont porté des producteurs à Mes séances de lutte cette proposition un peu inattendue: un film documentaire sur le sculpteur Auguste Rodin. Le cinéaste n'était pas particulièrement féru en matière d'art sculptural, ni particulièrement au fait du personnage, mais il s'est épris de son sujet au cours de ses recherches.

«J'avais au départ l'intention de me conformer à la demande des producteurs, mais je me suis vite aperçu qu'en élaborant le film, j'écrivais des scènes de fiction et des dialogues. Je me suis tellement documenté que je me suis dit à cette étape qu'il fallait continuer à écrire. J'en ai aussi parlé à Vincent [Lindon, l'interprète de Rodin]. Vincent et moi avons partagé un projet qui ne s'est pas concrétisé et, depuis 20 ans, il me disait souvent de penser à lui si, un jour, je tombais sur une histoire avec laquelle on pourrait travailler ensemble. C'est ce que j'ai fait. Par chance, il est très crédible en Rodin, autant dans son aspect physique que dans l'approche de l'artiste.»

Le récit de Rodin commence au moment où, à 40 ans, le sculpteur obtient enfin sa première commande de l'État: La porte de l'enfer, une pièce maîtresse comportant des sculptures individuelles qui feront sa renommée, notamment Le baiser et Le penseur. L'un des angles qu'emprunte le cinéaste est de montrer le rapport de l'artiste avec la matière. 

«Autant avec la glaise qu'avec la terre, il faut sentir le plaisir sensuel que prend l'artiste. En s'initiant à cet art, Vincent a d'ailleurs été très bon élève. Rodin a besoin de la terre parce que la terre est une matière vivante, qui devient comme une espèce de peau. Et puis, mine de rien, il a aussi besoin de réfléchir à ce qu'il fait. Pour le Balzac, sept ans s'écoulent entre le début et la fin de sa fabrication. Chaque fois, il a besoin de temps.»

Camille Claudel, personnage indissociable

Camille Claudel, personnifiée cette fois par Izïa Higelin, est évidemment indissociable du parcours d'Auguste Rodin. Au moment de leur rencontre, alors qu'elle est âgée de 19 ans, le sculpteur est de 23 ans son aîné. Élève, puis assistante, puis amoureuse, l'impétueuse jeune femme aura partagé la vie du sculpteur pendant 10 ans. Son destin, tragique, a déjà fait l'objet de deux films, dont le plus célèbre reste celui de Bruno Nuytten, sorti il y a 30 ans, entièrement porté par Isabelle Adjani.

«J'aime beaucoup le film de Nuytten, mais je trouve qu'on met beaucoup de choses sur le compte de Rodin. À ce que je sache, personne n'a tenu de journal à l'époque. Le scénario proposé à Isabelle Adjani a quand même reçu l'aval de la famille de Camille Claudel.»

«Cela dit, poursuit-il, il y a, au départ, une élève et un maître qui se rencontrent dans le travail et dans l'amour. Dix années ensemble, c'est quand même formidable. Quand on dit que Rodin a vampirisé le génie de Camille, il est bon de rappeler que ce qu'elle a appris vient quand même de lui. L'ennui, c'est qu'elle reste toujours l'élève de Rodin et ça complique les choses. Quand la famille place Camille en institution, l'histoire avec Rodin est terminée depuis déjà longtemps. Après leur histoire, la production artistique de Camille Claudel fut d'assez courte durée. Rodin a pris son envol de son côté pour devenir le plus grand sculpteur contemporain. Camille Claudel a eu droit à deux films jusqu'à maintenant et Rodin à aucun. C'est un peu le monde à l'envers.»

Quant au machisme dont on affuble parfois le personnage, Jacques Doillon réfute aussi cette notion.

«Tout le monde admire l'appétit sensuel et sexuel de Victor Hugo, mais on fait de Rodin le pire des salauds, dit-il. À mes yeux, c'est une pitrerie. Rodin se disait même terne. Personne n'avait envie de s'asseoir à ses côtés tellement il était pris par son art. Pour qu'il ait été à ce point ému par une jeune fille de 19 ans, il fallait vraiment qu'il voit en elle une artiste douée.»

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Rodin prendra l'affiche le 22 juin. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.

Photo fournie par MK2 | Mile End

Vincent Lindon dans Rodin, un film de Jacques Doillon