Le réalisateur de Les femmes du 6e étage et de Molière à bicyclette plonge dans une thématique plus sociale en faisant écho à la crise que traversent les agriculteurs. Dans Normandie nue, le maire d'un petit village (François Cluzet) tente le tout pour le tout à la faveur du passage d'un photographe conceptuel qui déshabille les foules. Rencontre avec Philippe Le Guay.

Comment vous est venue l'idée de ce film?

Il faut d'abord savoir que, même en ayant grandi à la ville, j'ai un lien très fort avec la campagne, car il y a en Normandie une maison familiale que j'ai beaucoup fréquentée dans ma jeunesse pendant les vacances scolaires. Dans mon paysage intime, cette région a toujours fait partie de ma vie.

En voyant le travail de Spencer Tunick, le photographe qui dénude les foules un peu partout dans le monde, je me suis demandé ce qu'il adviendrait si un artiste comme lui se présentait dans un petit village. J'aimais cette idée de placer un artiste associé à l'urbanité dans un contexte différent, et opposer le monde de la photo conceptuelle à celui de la réalité des paysans.

Est-ce que les habitants du Mêle-sur-Sarthe, le village où a habité votre grand-père, se sont facilement prêtés au jeu?

Avant de leur soumettre l'idée, j'ai quand même fait un long travail d'enquête. D'ailleurs, je ne savais même pas au départ que je tournerais le film dans le village que j'avais fréquenté dans mon enfance. J'ai toujours été sensible au combat des paysans, mais là, j'ai voulu voir de plus près. Je suis revenu dans le village pour aussi voir si l'idée de départ pouvait être soutenue sur la durée d'un film. J'ai rencontré des éleveurs, je me suis familiarisé avec leurs conditions de vie.

Le monde agricole se transforme profondément et ce film pouvait à mon sens témoigner de cette réalité et aller au-delà de l'image qu'on s'en fait. Pendant tout ce travail, qui m'a quand même pris quelques années, j'ai fait beaucoup de repérages, établi des contacts. Donc, quand j'ai été prêt à tourner, les habitants m'ont réservé un très bel accueil. C'est comme si j'avais une double identité: celle du Parisien et celle de l'enfant du pays! Ils m'ont fait confiance et tout s'est bien passé, malgré l'exigence qu'amène un tournage de film.

Comment les avez-vous convaincus de se dénuder?

Nous avons tous un rapport pudique avec la nudité. Cela ne nous est pas naturel, même si ça devrait être l'expression de la nature. Il s'agit du résultat de tout un héritage, qu'il soit d'ordre culturel, religieux ou social. Même si nous avons tous vu des milliers d'images, la nudité reste profondément mystérieuse. Certains ont pris la chose en riant, d'autres se sont déshabillés parce qu'ils étaient d'accord avec le propos militant. Et quand ils ont vu que plusieurs d'entre eux étaient prêts à le faire, ceux qui étaient plus réticents ont embarqué. C'est comme s'il y avait eu un effet d'entraînement!

Pourquoi avoir choisi François Cluzet pour jouer le rôle du maire du village?

François fait partie des acteurs que je préfère. Mais au-delà de ses qualités de comédien, il a cette espèce d'évidence qui fait qu'on croit tout de suite à ce qu'il propose. Il connaît aussi le monde des paysans. Cet enracinement populaire fait en sorte qu'on ne se pose pas du tout la question sur le plan de la crédibilité. À la lecture du scénario, il a aimé l'univers, l'humour. Le regard est joyeux et tendre, mais son personnage est quand même animé d'une colère. Il excelle là-dedans, car il peut exprimer la colère du maire envers les villageois quand il a du mal à les entraîner dans son aventure, mais on ne doute jamais de son affection pour eux.

Quelle a été la réaction des villageois quand vous leur avez montré votre film?

Ce fut un énorme moment d'émotion. Ce public souffre d'un réel déficit d'image, et là, ils se sont sentis aimés et reconnus. Là-bas, on bat tous les records d'entrées! Le film marche d'ailleurs beaucoup mieux en province qu'à Paris. Les urbains se foutent complètement de la campagne et je trouve ça terrible. Ce clivage dans la carrière du film correspond à celui qui divise la France. Il a fallu que je fasse ce film pour m'en rendre compte vraiment. Je m'en indigne, car je n'imaginais pas la force affective et émotionnelle qu'on peut trouver dans les campagnes. Ce sont des gens merveilleux, qui ont une vraie réflexion sur la société.

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Normandie nue prendra l'affiche le 8 juin.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.

Photo fournie par EyeSteelFilm

François Cluzet dans Normandie nue, film de Philippe Le Guay