Pour son 20e long métrage, Robert Guédiguian propose le portrait d'une famille marseillaise qui remet en question ses valeurs lors de l'arrivée inattendue de trois enfants réfugiés venus de la mer, dont la composition familiale est la même que la sienne.

Le film réunit deux frères et leur soeur, qui rappliquent à leur maison familiale du Midi pour accompagner dans la mort leur vieux père. Quelle était l'idée de départ ?

Robert Guédiguian :  Les gens de ma génération, qui sont maintenant dans la soixantaine, sont confrontés à un monde qui se transforme complètement, dans tous les domaines. On a pensé parler de tous ces changements dans un cadre qui symbolise l'ancien monde. Ces frères et leur soeur voient ainsi leur parole libérée, et ils peuvent se faire des reproches entre eux, car c'est pendant le cours de leur propre vie que les valeurs sociales se sont profondément transformées. L'arrivée soudaine des gamins bouleverse complètement leurs certitudes, au point de rendre leurs questions presque caduques. Il y a des gens encore plus pauvres qu'il faut accueillir et des tas de choses à faire. Il faut agir. Les trois personnages principaux me sont d'évidence très proches. J'ai pensé, ou j'aurais peut-être pu penser, ce qu'ils verbalisent. Sur cet aspect-là, c'est presque comme un journal intime. Après, on se laisse aller à ce que la fiction met en place.

Ariane, quelle fut votre réaction quand vous avez pu lire ce scénario la première fois ?

Ariane Ascaride :  À mes yeux, ce scénario constitue un tournant. La villa est le film où Robert se livre le plus. Depuis qu'il fait du cinéma, ses films ont toujours eu l'apparence d'un journal intime, car il a toujours raconté comment il ressent le monde dans lequel il vit. Mais là, c'est un peu différent. Il s'est inspiré de ses propres souvenirs. Il faut dire que nous avons eu droit à deux versions du scénario. L'une sans l'arrivée des enfants, qui se concentrait sur les retrouvailles entre frères et soeur et le temps suspendu qui en découle. Ça m'intéressait beaucoup puisque j'ai effectivement dans la vie deux frères, et je trouve le thème de la fratrie toujours intéressant. Puis, il y a eu l'autre version, avec les enfants réfugiés, qui vient tout remettre en question et enrichir le récit.

Ariane, vous êtes la muse et la femme de Robert depuis plus de trois décennies. Quelle est la dynamique entre vous sur le plan créatif ?

AA :  Quand Robert écrit un scénario, je ne veux pas m'impliquer du tout. Ce qui m'amuse, c'est établir avec lui en tant qu'actrice le même rapport qu'avec un ou une autre cinéaste. Ça ne m'intéresserait pas du tout de faire un truc professionnel avec lui à la maison, tous les deux ensemble, dans notre intimité. Vraiment, ça ne me plaît pas. En revanche, j'aime recevoir un texte et ensuite échanger avec lui. Une fois que j'ai lu le scénario, s'il y a des trucs avec lesquels ça coince un peu, ou que je comprends mal dans l'évolution du personnage, oui, bien sûr, on discute. Ce qui est formidable avec Robert, c'est qu'il travaille en équipe réduite, dans une immense douceur et un très grand calme. Comme on se connaît tous, on rit aussi beaucoup. Il n'y a pas de rivalités chez les acteurs ni de rapports de pouvoir.

Robert, partagez-vous le sentiment d'Ariane, selon lequel La villa serait le film dans lequel vous vous dévoilez le plus ?

RG :  Je me suis peut-être plus dévoilé cette fois parce que le point de départ du film le permettait. Je me suis amusé à mettre des phrases que j'avais écrites à d'autres occasions et j'ai emprunté des choses que j'avais déjà faites précédemment. En même temps, je tenais à ce que tous les personnages soient bien incarnés, qu'ils aient une vraie vie.

Vous qui avez toujours profondément cru aux valeurs de la gauche, êtes-vous préoccupé par un monde qui semble de plus en plus en phase avec des valeurs de droite ?

RG : Même pour un homme de gauche comme moi, il y a de l'espoir, car il y aura toujours des combats à mener, des causes importantes à défendre. En ce moment, on parle beaucoup de la situation des migrants et je préfère en montrer au cinéma le côté plus lumineux, alors que les médias ne s'arrêtent qu'aux aspects les plus sombres. Le sauvetage et l'accueil des migrants, moi, ça me donne espoir.

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Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.

Photo fournie par Agat Films

Avec La villa, le réalisateur français Robert Guédiguian signe son 20long métrage.