Dans Les gardiennes, Nathalie Baye incarne une femme de la terre, dont la vie, menée durement, s'inscrit dans le visage et le corps. En portant à l'écran un vieux roman d'Ernest Pérochon, Xavier Beauvois rend hommage à des héroïnes ignorées des pages d'histoire de la Première Guerre mondiale, celles qui sont restées derrière pour faire le travail des hommes, partis au front.

Elle affirme en souriant accompagner cette fois l'«autre» Xavier de sa vie. Grâce à ces Gardiennes, celle qui a tourné deux fois avec Xavier Dolan retrouve celui avec qui elle avait déjà tourné Selon Matthieu et Le petit lieutenant, un film qui, en 2006, lui a valu le César de la meilleure actrice. Quand Xavier Beauvois lui parle d'un projet, Nathalie Baye prête toujours une oreille attentive.

«Quand il me parle, ça me donne de l'appétit, car je suis habituellement séduite par ce qu'il propose», expliquait l'actrice au cours d'une interview accordée à La Presse au festival de Toronto, là où le film fut lancé en primeur mondiale.

«J'ai aussi eu envie de lire le roman, que j'ai trouvé magnifique. Le projet de porter ce livre à l'écran est très ambitieux, car il évoque une époque absolument épouvantable. La guerre de 1914 fut une horrible boucherie.

«Par coïncidence, on m'a aussi demandé de faire la narration d'une série documentaire sur les deux guerres mondiales, et c'est à cette occasion que j'ai appris encore davantage le rôle invraisemblable qu'ont tenu les femmes pendant les guerres, tant dans les villes que dans les campagnes. Quand les hommes sont revenus, on les a remisées dans le placard!»



La relève des hommes

Campé en 1915, le récit a pour cadre une ferme où les femmes ont dû prendre la relève des hommes, tous partis à la guerre. Nathalie Baye incarne Hortense, la doyenne du clan, et Laura Smet incarne le rôle de sa fille. Hormis un épisode de la série Dix pour cent (Appelez mon agent), mère et fille dans la «vraie» vie se retrouvent à jouer ensemble au cinéma pour la première fois.

«Sur un plateau, je ne suis pas la mère de Laura et Laura n'est pas ma fille. Enfin, si, bien sûr, mais nous prenons essentiellement un plaisir d'actrices qui aiment jouer ensemble.»

«Il fallait quand même voir le sourire de Nathalie sur le plateau ! indique Xavier Beauvois. Nous étions heureux que cette rencontre puisse se faire. J'entretenais le fantasme de faire tourner Nathalie et Laura, que je connais aussi très bien, depuis très longtemps. Mais il fallait trouver le bon prétexte pour le faire.»



Photo fournie par MK2 | Mile End

Nathalie Baye et Laura Smet dans Les gardiennes, un film de Xavier Beauvois

Un travail physique exigeant

Les actrices se sont astreintes à un travail physique exigeant. Elles ont en effet dû apprendre les rudiments du labourage tel qu'on le pratiquait au début du siècle dernier. 

«L'important était d'être crédible dans notre travail, observe Nathalie Baye. Nous avons travaillé en amont sur la gestuelle, les mouvements, souvent répétitifs. Comme nous tournions à la campagne, le contexte nous a aidés. J'y ai moi-même habité longtemps, de sorte que j'ai pu m'adapter assez aisément. Il y avait un travail à faire sur la voix aussi, pour être en cohérence avec le personnage et tout le reste.

«Même si les deux films n'ont rien à voir, je me suis souvenue des costumes, très lourds, que mon personnage de Bertrande avait à porter dans Le retour de Martin Guerre. Cela nous entraînait dans l'univers du film tout de suite. Dès que j'enfilais le costume d'Hortense, avec la façon dont elle a été dessinée physiquement, j'étais déjà en phase avec elle. Nous avons appris le labourage pendant des jours. Les tâches que ces femmes avaient à accomplir étaient physiquement d'une très grande dureté.»

Les femmes dans l'histoire

Alors qu'on ne compte plus les films ayant pour cadre la Seconde Guerre mondiale, les oeuvres évoquant la Grande Guerre se font plus rares. Xavier Beauvois explique cette dichotomie à la nature même des deux conflits.

«Pendant la Première Guerre mondiale, nous nous battions pratiquement contre nous-mêmes, alors qu'en 1939, l'ennemi était beaucoup plus clairement défini.

«En France, nous sommes spécialisés dans l'évitement du sujet. On ne parle pas de nos guerres et on ne veut pas les regarder. Enfin, c'est compliqué. Et je dois vous dire: j'ai été très ému en regardant le dos du billet canadien de 20 $ en arrivant ici. On y voit le Monument commémoratif du Canada à Vimy, pas loin d'où je suis né. Vous savez, on peut voir encore plein de petits villages de 300 habitants en France avec des monuments où l'on compte 80 noms. Vous vous rendez compte?»

Le cinéaste, qui dit n'avoir aucune pudeur à titre de spectateur, espère émouvoir le public et vivre de nouveau, peut-être, ce moment de grâce où de simples inconnus croisés dans la rue l'arrêtent un moment pour lui dire un mot. Comme ils l'ont fait à l'époque de Des hommes et des dieux.

«Qu'on redonne enfin aux femmes la place qu'elles méritent dans l'Histoire, dit-il. Honnêtement, dans le monde actuel, je crois que 99% des problèmes viennent des mecs. Je ne sais pas quel est leur problème - les couilles, la testostérone -, mais il y a vraiment un truc qui ne va pas chez les hommes. Il y a un vrai souci.» 

Les gardiennes prendra l'affiche le 23 février.

Photo fournie par MK2 | Mile End

Iris Bry et Nathalie Baye dans Les gardiennes, un film de Xavier Beauvois