L'actrice Diane Kruger, qui est née en Allemagne, n'avait jamais tourné en allemand avant que Fatih Akin lui propose, dans In the Fade, le rôle de Katja, une femme qui se venge de l'attentat néonazi dans lequel ont péri son fils et son mari. Pour l'actrice qui a obtenu le prix d'interprétation à Cannes pour ce rôle, l'important, c'était d'incarner avec émotion et justesse la douleur de ceux qui restent après la tragédie et dont personne ne se préoccupe.

À la fin du point de presse de Diane Kruger et de Fatih Akin à Toronto en septembre, j'ai posé une question. C'était au sujet de leur film - In the Fade -, une histoire qui se déroule à Hambourg et qui s'inspire d'attaques néonazies qui ont eu lieu dans les années 90. La blonde et allemande Kruger, qui n'avait jamais auparavant tourné dans sa langue maternelle, y incarne Katja, une femme en deuil qui décide de se venger de l'attentat à la bombe dans lequel ont péri son fils et son mari d'origine kurde.

Le film a valu à l'actrice un prix d'interprétation à Cannes, avant de remporter le Golden Globe du meilleur film étranger. La sélection aux Oscars tant attendue, par contre, ne s'est pas matérialisée.

«Comment pensez-vous que les Allemands vont réagir à votre film?», ai-je demandé ce jour-là à Toronto à Fatih Akin, un cinéaste allemand d'origine turque, et à Diane Kruger.

Celle-ci a spontanément répondu qu'elle était convaincue que le public allemand adorerait le film. Fatih Akin a été plus prudent, affirmant qu'In the Fade ne ferait sans doute pas l'unanimité, parce qu'il abordait un sujet controversé, mais que c'était dans l'ordre des choses. Il ne croyait pas si bien dire.

Selon un article du Courrier international, la critique allemande a ressenti un vif malaise en voyant In the Fade. Pour plusieurs raisons. D'abord, il s'agit d'un film de vengeance pur et dur où, face aux ratés du système judiciaire, une femme décide de se faire justice elle-même. OEil pour oeil, dent pour dent, voilà grossièrement résumée la philosophie de ce film.

Dans ce cas-ci, les cibles sont des néonazis, mais si la famille de Katja avait péri aux mains d'islamistes, serait-elle devenue une kamikaze islamophobe? La question se pose.

L'autre reproche de la presse allemande, c'est d'avoir choisi «une blonde aux yeux bleus pour incarner la souffrance des victimes des néonazis qui étaient pour la plupart d'origine turque ou grecque».

Or, en point de presse à Toronto, Fatih Akin a tenté de justifier sa démarche: «Je suis un enfant des années 90, une époque où l'Allemagne était aux prises avec un gros problème néonazi. Les attentats qui ont eu lieu et qui ont fait une dizaine de morts m'ont mis en colère. Cela faisait longtemps que je voulais faire un film là-dessus, tout en sachant très bien que c'est difficile d'écrire sur sa colère. Je savais aussi qu'il me faudrait confier le rôle à une vraie Aryenne, et quand j'ai rencontré Diane Kruger à Cannes, il y a cinq ans, j'ai compris que je l'avais trouvée.»

Fatih Akin n'a pas expliqué pourquoi il voulait que son personnage principal soit une Aryenne, mais on s'en doute. En opposant les néonazis à cette blonde aux yeux bleus qui a épousé un Kurde, il voulait sans doute montrer les deux visages de l'Allemagne: celui ouvert et tolérant et celui qui carbure encore à la haine et au racisme.

Diane Kruger rêvait depuis des années de tourner en allemand, et encore davantage avec Fatih Akin.

«S'il m'avait demandé d'être figurante, je l'aurais fait», a-t-elle soutenu à la blague, ajoutant: «La vraie raison qui m'a attirée dans cette histoire, hormis mon envie de tourner avec Fatih, c'est que ce film s'attarde à ceux qui restent. Vous savez, moi, je suis une enfant de l'Union européenne. J'y ai cru à cette union progressiste de nos forces, mais plus ça va, plus j'ai le sentiment qu'on recule au lieu d'avancer. Je me retrouve souvent devant mon écran de télé à me demander comment on a pu devenir ce qu'on est devenus... À la télé, ils nous parlent d'un attentat qui a fait 200 morts. Ceux qui ont commis l'attentat deviennent des vedettes instantanées. On veut tout savoir sur eux, mais on ne sait rien sur les proches des victimes, ceux qui doivent continuer à vivre après l'horreur. C'est à eux que j'ai pensé.»

Photo Mario Anzuoni, archives Reuters

Diane Kruger rêvait depuis des années de tourner en allemand, et encore davantage avec Fatih Akin.

Une histoire crédible

Fatih Akin jure qu'il n'a jamais eu l'intention de faire un film bêtement vengeur, et encore moins un film de vengeance hollywoodien. «J'ai regardé beaucoup de films de vengeance, a-t-il raconté. Surtout des films coréens, avec beaucoup de sang et de très belles filles. J'adore ces films-là, mais je ne pouvais pas prendre cette voie-là. Je savais que j'avais une histoire spectaculaire, mais le défi, c'était avant tout de la rendre crédible. Et pour la rendre crédible, je ne pouvais prendre ni la voie coréenne ni la voie hollywoodienne, mais une voie plus subtile.» 

«Tout le film a été construit en fonction de la fin. Je savais où j'allais. Je n'ai jamais eu d'hésitation à cet égard.»

In the Fade se déploie en trois actes. Dans le premier acte, c'est la vie de tous les jours, avec ses jeux, ses joies, ses petits détails insignifiants et son calme apparent. Et puis, en l'espace d'une seconde, tout bascule, tout s'effondre, tout est perdu à jamais. La scène où Katja découvre avec effroi les ruines fumantes où ont péri son mari et son fils est d'une violence inouïe. Diane Kruger y est tellement déchirante et criante de vérité qu'on se demande comment elle a fait pour puiser en elle autant de détresse et de désespoir.

«Je pense que la seule façon de rendre cette douleur en tant qu'actrice, c'est de sauter dans le vide et de se retrouver à nu avec rien d'autre que son empathie... Il faut se mettre dans les souliers de l'autre. Et cela, ça se fait en parlant aux gens, en les écoutant, et surtout, surtout, il faut se donner la permission de ressentir de l'intérieur cette émotion-là. Mais il n'y a pas que de la haine dans ce qu'elle ressent. Il y a une infinie variété d'émotions. Il y a à la fois la possibilité qu'elle s'en sorte, qu'elle rencontre quelqu'un et qu'elle recommence à vivre. Et il y a aussi l'envers, soit l'impossibilité de continuer à vivre parce que la vie n'a plus de sens.»

Le titre In the Fade n'est pas sorti de la tête de Fatih Akin. C'est directement inspiré de la chanson In the Fade du groupe californien Queens of the Stone Age. Un couplet en particulier résume bien le film: «Il n'y a rien à sauver, tu vis jusqu'à ce que tu meures.»

Dans ce peu de mots, tout du film est dit. 

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In the Fade (Hors de nulle part) prend l'affiche le 2 février.

Photo fournie par Magnolia Pictures

In the Fade est un film de vengeance pur et dur où, face aux ratés du système judiciaire, une femme (Diane Kruger) décide de se faire justice elle-même.