Grâce à son vibrant portrait d'une jeune trentenaire devant se reconstruire après avoir été larguée dans une ville où elle ne connaît personne, la réalisatrice Léonor Serraille a obtenu au Festival de Cannes le prix de la Caméra d'or, remis au meilleur premier long métrage, toutes sections confondues.

On dit souvent qu'un ou une cinéaste met beaucoup de l'avant ses préoccupations personnelles dans un premier long métrage. Est-ce vrai?

Il est vrai qu'on a tendance à y voir une occasion de revisiter des choses personnelles - c'est le cas dans mon film -, mais je l'ai fait en plaçant au centre de mon histoire un personnage très éloigné de moi. Paula est une jeune femme dont le passé est sans doute nourri de mon inconscient, de mes expériences personnelles aussi - notamment sur le plan des mille métiers qu'elle exerce -, mais le récit a principalement été construit autour de choses inventées de toutes pièces. J'ai travaillé ce scénario de fin d'études pendant un an à la FEMIS, l'école de cinéma.

Paula est une femme qui, malgré ses difficultés, fonce tête première dans la vie avec la ferme intention de se reconstruire. Que raconte votre film du monde d'aujourd'hui?

Maintenant que j'ai un peu de recul, je crois qu'il évoque surtout ce besoin de retourner vers des liens sincères, simples et forts entre les humains. Paula ne s'arrête jamais. Elle est motivée par son insoumission. Les gens de sa génération doivent trouver eux-mêmes leur place et prendre aussi leur destin à bras le corps.

Ensuite, le film montre Paris à une époque qui n'est pas forcément très heureuse pour les jeunes. Ils doivent déployer des forces supplémentaires, mais ceci a l'avantage, même si c'est difficile, de les forcer à inventer, à leur façon. On nous a fait croire aux vertus de la grande solidarité sociale et du réseautage collectif, mais dans les faits, je n'en suis pas sûre. Nous n'avons jamais été aussi seuls, isolés les uns des autres. Il faut faire avec, mais de très belles choses peuvent survenir malgré tout.

Même si cela devrait s'inscrire dans la parfaite normalité des choses, on ne peut faire autrement que de remarquer à quel point tous les postes clés de votre film sont occupés par des femmes. Le milieu du cinéma français serait-il plus ouvert qu'ailleurs?

Cela n'est pas un choix délibéré de ma part, mais il s'adonne que j'ai déjà travaillé avec ces femmes sur Body, un moyen métrage que j'ai réalisé à la fin de mes études à la FEMIS. Elles sont aussi des amies. Leurs suggestions ont enrichi la construction du personnage. Oui, il y a maintenant plusieurs femmes qui travaillent dans le milieu du cinéma en France, mais elles doivent toujours se battre plus que les hommes, car ce sont encore les hommes qui décident du financement des films. Cela dit, on ne traîne pas cette condition comme un boulet du tout. Plus nous serons nombreuses dans ce milieu, plus nous deviendrons visibles. Je crois que le vent est favorable en ce moment.

Voyez-vous un tournant dans la libération de la parole des femmes que l'affaire Weinstein a déclenchée partout dans le monde?

Nous ne voyons que la face émergée de l'iceberg, mais ce qui se passe présentement est très bien. Je reste cependant un peu sceptique quand même, car il faudra voir ce qui se passera après. Il faut encourager cette prise de parole, mais on doit maintenant espérer qu'elle dépasse le simple effet de mode. 

Laetitia Dosch, qui interprète Paula, impose une nature singulière à l'écran. On a l'impression d'une évidence. Qui est-elle et comment l'avez-vous trouvée?

J'avais remarqué Laetitia dans La bataille de Solférino [Justine Triet] il y a quelques années et je l'avais mise quelque part dans un petit coin de ma tête. Quand est venu le moment de trouver l'actrice qui pourrait jouer Paula, j'ai trouvé beaucoup de points communs entre Laetitia et le personnage. 

Après l'avoir rencontrée, je me suis sentie autorisée à pousser plus loin l'humour et la fantaisie que recèlent certaines scènes. Elle a une pêche incroyable, et j'aimais aussi son côté insaisissable. On ne sait pas vraiment quel genre de femme elle est et cela convient parfaitement au personnage. Laetitia fait aussi de la danse, du théâtre, et elle écrit ses propres spectacles. Elle exerce son métier de façon très libre et elle refuse les étiquettes. Pour ce genre de portrait, on ne peut franchement pas rêver mieux!

Jeune femme a fait partie de la sélection officielle du Festival de Cannes, dans la section Un certain regard, et a obtenu le prix de la Caméra d'or. Était-il possible pour vous d'imaginer un tel parcours?

Pas du tout! Le plus important, c'était de pouvoir faire le film et aller au bout de l'histoire. Il n'y avait rien là d'évident, car nous avons travaillé dans des conditions modestes. On espérait bien sûr une diffusion quelque part, peut-être même à l'ACID à Cannes [la plus marginale des sections cannoises est consacrée aux productions indépendantes], mais pas plus! On ne s'attendait certainement pas à ce qu'il soit mis dans la lumière comme ça. Être sélectionnée là-bas, c'était déjà génial. Et le prix, ce fut tout un choc!

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Jeune femme est à l'affiche.

Photo Arthur Mola, archives Associated Press

Grâce à Jeune femme, la réalisatrice Léonor Serraille a obtenu au Festival de Cannes le prix de la Caméra d'or, remis au meilleur premier long métrage, toutes sections confondues.