En portant à l'écran le conte qu'a écrit Brian Selznick, évidemment tourné vers l'enfance, le réalisateur de Far from Heaven et Carol, qui compte aussi I'm Not There parmi ses plus belles réussites, s'est offert un beau défi de cinéaste: raconter une histoire dans laquelle s'entremêlent deux époques, en évoquant les styles cinématographiques liés aux années 20, et ceux liés aux années 70, dernier âge d'or du cinéma américain. Le cinéaste a répondu aux questions de La Presse au cours d'un entretien téléphonique.

Dans Wonderstruck, deux enfants sourds poursuivent à peu de choses près la même quête, à 50 ans de distance. Avez-vous eu le sentiment que le conte de Brian Selznick pouvait emprunter une forme cinématographique dès que vous l'avez lu?

À vrai dire, je n'ai pas lu le livre avant de recevoir le scénario qui en a été tiré. À la lecture du script, le langage cinématographique me semblait déjà apparent, grâce à cette structure double, qui n'a rien d'un stratagème gratuit. Les possibilités visuelles m'ont tout de suite sauté aux yeux, d'autant que le récit, qui comporte des ressorts dramatiques classiques, est campé à New York. À cause de son caractère unique, cette histoire peut aussi atteindre les enfants de façon inédite, et rejoindre un public plus familial. Je n'ai jamais eu cette option avec mes films précédents!

Le film relate la quête d'une petite fille sourde qui, en 1927, tente de retrouver une actrice qu'elle admire et qui la fascine. Cinquante ans plus tard, en 1977, un jeune garçon, sourd lui aussi, tente de retrouver un père qu'il n'a pas connu à partir d'un indice laissé par sa mère. Le récit exige ainsi l'harmonisation de styles cinématographiques très différents. Comment vous y êtes-vous pris?

Le défi, en fait, était de fixer des choix en termes de styles, car ces deux périodes sont aussi riches l'une que l'autre. On a tendance à oublier à quel point l'époque du cinéma muet - en noir et blanc, bien sûr - permettait une liberté artistique infinie, sans frontières, avec des films qui pouvaient bien voyager, peu importe le pays dans lequel ils étaient produits. Et puis, le cinéma américain des années 70, que la plupart d'entre nous connaissons et adorons, possédait une énergie très particulière, ne serait-ce que sur le plan musical. L'étape du montage a aussi constitué un défi, car il fallait trouver la meilleure façon de faire fonctionner le récit sur le plan dramatique. Mais quels beaux défis à relever, délicieux même!

Est-ce que Brian Selznick, qui signe lui-même ce scénario tiré de son livre, s'est beaucoup impliqué dans le processus créatif de votre film?

Il a été plus présent avec nous qu'il ne l'a été sur le plateau de Hugo [de Martin Scorsese], je crois. Il a spontanément pu retoucher des choses. Par exemple, dans la partie de 1927, on s'est dit que les dialogues entre les personnages devraient être écrits, même si on ne les entend pas et qu'ils ne figurent pas dans le scénario, de sorte que les acteurs puissent quand même les entendre sur le plateau. Brian s'est exécuté sur-le-champ. Cela dit, il était surtout là pour nous apporter son soutien et il était enthousiaste à l'idée de voir son univers prendre forme sous ses yeux. Comme ce film requiert un très haut niveau sur le plan de la direction artistique, je crois qu'il était fasciné par cet aspect de notre travail.

Wonderstruck ayant déjà été lancé au Festival de Cannes il y a quelques mois, avez-vous déjà un autre projet sur votre table de travail?

Il y a quelques projets en chantier, mais un seul dont je peux parler, qui m'excite beaucoup. Il s'agit d'un documentaire sur le groupe mythique Velvet Underground. Étant donné qu'il existe relativement peu de documents visuels où l'on peut voir le groupe en performance musicale, ce film n'aura probablement rien du documentaire classique. Il faudra trouver une autre approche, et ça tombe bien, car j'adore ce genre de défi!

Rappelons que, même s'il n'empruntait pas une forme documentaire, le film que Todd Haynes a consacré à Bob Dylan il y a 10 ans, I'm Not There, est un modèle dans le genre. Voilà qui promet.

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Wonderstruck (Après la foudre, en version française) prendra l'affiche le 10 novembre.

Photo fournie par Entract Films

Julianne Moore dans Wonderstruck, film tiré du conte du même nom de Brian Selznick