Dans le nouveau film de Robert Morin, Christian Bégin plonge dans les zones les plus sombres de l'âme humaine. Pour son premier grand rôle au cinéma après plus de 30 ans de carrière, l'acteur pouvait difficilement tomber mieux...

Après une trentaine d'années d'une carrière au cours de laquelle le cinéma a pris la forme d'une série de « rendez-vous d'un soir », Christian Bégin s'est fait offrir un grand rôle, dans un film où il est de tous les plans. L'acteur en a savouré tous les moments.

Quand Robert Morin lui a téléphoné, Christian Bégin en croyait à peine ses oreilles. Le réalisateur du Journal d'un coopérant a en effet l'habitude de travailler avec la même petite famille d'acteurs, et le grand prêtre de Y'a du monde à messe n'en fait pas partie. Au départ, le cinéaste a d'ailleurs proposé le rôle du protagoniste de son nouveau film à quelques amis comédiens qui, pour une raison ou une autre, ont décliné l'invitation. Ce n'est qu'au moment où l'un des membres de son équipe a suggéré le nom de Christian Bégin que Robert Morin a été séduit par l'idée.

« Franchement, je ne comprenais pas ce qui était en train de se passer ! a confié l'acteur au cours d'un entretien accordé à La Presse un peu plus tôt cette semaine. Je suis allé dîner avec Robert, il m'a parlé de son projet, m'a remis son scénario, et j'ai été subjugué à la lecture. J'accueille ce qu'on me propose, et je suis reconnaissant de pouvoir vivre une telle expérience pour la première fois, à 54 ans. J'ai pu m'abandonner totalement. » 

« Si on m'avait offert ce genre de rôle en début de carrière, du haut de toute l'arrogance de ma jeunesse, je ne l'aurais sans doute pas vécu de la même façon ! »

- Christian Bégin

LA NAISSANCE D'UN MONSTRE

Dans Le problème d'infiltration, Christian Bégin se glisse dans la peau et l'âme de Louis, un chirurgien émérite dont la vie toute lisse en apparence se fissure au gré des écueils quotidiens. Au point de se laisser infiltrer par la déraison et les pulsions les plus sombres de la nature humaine.

Même si le récit n'évoque pas directement l'histoire de Guy Turcotte, il est évident que cette tragique histoire a quand même nourri l'esprit d'un film construit essentiellement autour d'une descente aux enfers.

« Dès notre première rencontre, nous avons évoqué son cas, mais on a tendance à oublier que ce type de pathologie n'est pas isolé, explique l'acteur. Des Guy Turcotte, il y en a potentiellement beaucoup au Québec. En nous, nous portons tous les aspects de la nature humaine, même les plus immondes. En tant qu'acteur, mon travail est de savoir comment aller frapper à la bonne porte pour accéder à ces zones-là, mais aussi de savoir comment la refermer une fois le travail fait. Plus jeune, j'avais tendance à traîner des personnages douloureux à la maison, et cela n'est pas vivable. Mon ami Normand D'Amour a toujours dit que nous exercions un métier où il faut faire semblant, tout en étant dans la vérité. Je comprends mieux ce concept aujourd'hui. »

En plus du thème, déjà très lourd, la forme du film de Robert Morin est aussi particulière. Découpé en longs plans-séquences, parfois faussés par des raccords, le récit distille sans aucun effet grossier une atmosphère anxiogène, que vient amplifier une mise en scène serrée, entièrement construite autour d'un personnage souvent filmé en gros plans. Même s'il donne la réplique à quelques autres comédiens, parmi lesquels Sandra Dumaresq, l'interprète de la femme de Louis, Christian Bégin estime qu'en fin de compte, son principal partenaire de jeu a été... le cadreur !

« J'ai travaillé en très étroite collaboration avec le caméraman Jean-Sébastien Caron, car c'est avec lui que nous avons établi tous les déplacements et planifié toutes les chorégraphies, explique-t-il. Quand tu sais que le kodak est à ça de ta face, tu n'as plus qu'à te mettre dans la peau du personnage, car la caméra vient tout chercher. La bonne concentration consiste à t'imprégner de la scène, mais aussi à rester parfaitement conscient de tout ce qui se passe autour sur le plan technique. »

UN VIDE À COMBLER

S'il n'a plus le même idéalisme qu'à ses débuts, Christian Bégin mesure en revanche de plus en plus le poids d'un geste de nature artistique et la valeur de la création.

« Cela m'apparaît encore plus important depuis que j'ai franchi la cinquantaine, confie-t-il. J'appréhende la vie davantage en fonction du temps qui me reste et ça confère au temps une tout autre valeur. Cela m'oblige à faire des choix et à réfléchir au sens que je veux donner aux choses. » 

« Je n'ai plus l'envie d'avoir quelque chose à prouver, seulement celle de bien faire mon métier. »

- Christian Bégin

« Et puis, poursuit-il, il reste toujours un vide à combler. Plus je vieillis, plus j'essaie de me convaincre que j'ai moins besoin du regard de l'autre pour pouvoir vivre pleinement ma vie, mais il s'agit d'une bataille incessante. »

UNE BELLE PÉRIODE

L'acteur reconnaît vivre actuellement une période très féconde sur le plan professionnel. Y'a du monde à messe est un vrai succès (l'émission devrait en principe être reconduite l'an prochain, mais rien n'est encore confirmé à cet égard), et ce rôle de premier plan dans Le problème d'infiltration a constitué une expérience marquante.

« J'avoue que ce qui m'arrive présentement me réconcilie un peu avec le fait de vieillir, un concept avec lequel je ne suis pas en paix du tout. Je suis cependant conscient de mon privilège. Un acteur de 50 ans entre dans une autre phase de sa carrière, habituellement très riche. Pour nous, ce sont de belles années, alors que pour les actrices, c'est beaucoup plus difficile. Il n'y a pas d'équité dans ce métier, ni sur le plan salarial ni sur le plan de la réalité du travail. Des gens m'arrêtent souvent dans la rue pour me dire que je vieillis bien. Cela me fait plaisir, mais je ne suis pas certain que les femmes de mon âge aient aussi droit à ce genre de compliment. Je trouve cela profondément injuste. Ça me fait réfléchir à la réalité à laquelle mes consoeurs de travail doivent faire face. »

Le problème d'infiltration prendra l'affiche le 25 août.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

« J'appréhende la vie davantage en fonction du temps qui me reste et ça confère au temps une tout autre valeur. Cela m'oblige à faire des choix et à réfléchir au sens que je veux donner aux choses », a confié Christian Bégin à La Presse.

ROBERT MORIN: EXPLORER LA TRAGÉDIE HUMAINE

Depuis une trentaine d'années, autant dans ses productions vidéo que dans ses longs métrages destinés au grand écran, Robert Morin n'a eu de cesse de gratter les bobos existentiels de ses contemporains. Requiem pour un beau sans-coeur, Le nèg'Petit Pow ! Pow ! NoëlJournal d'un coopérant et, aujourd'hui, Le problème d'infiltration, autant de titres illustrant une volonté d'entraîner le spectateur dans des zones inconfortables, quitte à le bousculer.

« Le simple drame humain ne m'intéresse pas, indique le cinéaste en entrevue à La Presse. La tragédie humaine, si, peut-être parce qu'elle me ressemble davantage. Pour ce nouveau film, j'ai essayé d'imaginer comment les maîtres de l'expressionnisme allemand comme F.W. Murnau et Fritz Lang approcheraient le cinéma aujourd'hui. Ils feraient probablement tout pour enlever l'air de la salle. C'est ce que j'ai essayé de faire. »

« Je dirais que Le problème d'infiltration est un thriller psychologique dénué d'oxygène. C'est tellement pas un feel good movie ! » - Robert Morin, réalisateur

Disposant d'une vingtaine de jours de tournage et d'un budget de 2 millions de dollars, Robert Morin a pu « gosser » son film à son goût. Entendez par là que le cinéaste a pu travailler la forme en utilisant des techniques qui, il n'y a pas si longtemps, étaient inaccessibles.

« J'ai toujours aimé travailler la forme, mais les outils dont on peut se servir maintenant sont vraiment extraordinaires, dit-il. On serait bien fous de s'en passer. À mon sens, le cinéma est avant tout un jeu formel. C'est là qu'est le fun, mais je tiens évidemment à ce que tout ça soit mis au service d'un propos. J'ai beaucoup de plaisir à regarder The Avengers à cause des effets spéciaux, mais il ne se passe rien dans l'histoire. Si on peut lier les deux, c'est beaucoup mieux. »

UN BOULEVERSEMENT « GÉNIAL »

Aux yeux de ce cinéaste habitué à travailler de façon indépendante, l'arrivée de nouvelles plateformes à la Netflix n'est pas une menace.

« Mes films ne sont pas tellement vus, donc ça ne change pas grand-chose ! répond-il en riant. D'une certaine façon, ce qui se passe présentement est génial. Ça redistribue les cartes et ça force les créateurs à penser différemment. Quand je tourne, je songe surtout à m'amuser, en fonction d'un écran, peu importe la dimension. En fait, je crois que ce bouleversement affecte davantage la business de la distribution. »

Très prolifique sur le plan de l'écriture, Robert Morin a par ailleurs dans ses tiroirs des scénarios de séries destinées à la télévision.

« Mais elles exigent de grands moyens, explique-t-il. Je ne crois pas qu'il soit possible de les produire au Québec. Je me demande si je ne devrais pas les faire traduire et les soumettre à des réseaux américains. »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Robert Morin

SANDRA DUMARESQ: TOUTE PREMIÈRE FOIS

À l'instar de son partenaire de jeu Christian Bégin, Sandra Dumaresq compte de nombreuses années de métier, mais sa carrière s'est essentiellement déroulée à la télévision et sur les planches. À vrai dire, son rôle de femme décontenancée par l'attitude de plus en plus inquiétante de son mari est le tout premier qu'elle incarne au grand écran.

« Quand il m'a proposé le rôle, Robert Morin m'a dit qu'il avait besoin d'une actrice de qui émanait beaucoup de vulnérabilité, explique-t-elle. Comme ce film a été tourné en plans-séquences, nous avons eu l'occasion de jouer les scènes du début à la fin, sans interruption. Cela nous permettait d'entrer dans le jeu rapidement. J'ai vraiment aimé travailler de cette façon-là. Évidemment, maintenant, j'aimerais tourner d'autres films ! »

UN FILM OPPRESSANT

Sa partition n'ayant nécessité que quelques jours de tournage, Sandra Dumaresq a pu saisir toute la portée du Problème d'infiltration quand elle a été invitée à un premier visionnement d'équipe.

« J'ai été impressionnée par la conception sonore, les jeux d'ombres et de lumière, la musique. J'ai aussi été très prise par le caractère oppressant du film. J'ai pu constater en tant que spectatrice à quel point le malaise était présent. C'est signe que ça fonctionne ! »

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Sandra Dumaresq