Dans le genre déjà très fréquenté de la comédie pour ados, Émilie Deleuze (Peau neuve) propose une approche un peu différente. En portant à l'écran l'univers de Marie Desplechin, dont les trois tomes du Journal d'Aurore ont servi de base au scénario, la cinéaste a pu explorer avec humour - mais sans condescendance - l'état d'esprit d'une préadolescente «jamais contente», qui n'aime rien ni personne, et qui semble poser un regard empreint de mépris sur les siens et le monde entier.

Q: Le personnage d'Aurore est apparu en 2006 dans Jamais contente, le premier des trois tomes du Journal d'Aurore, écrit par Marie Desplechin. Il est aujourd'hui publié en bande dessinée et se retrouve aussi au centre de votre long métrage. À titre de cinéaste, qu'est-ce qui vous a attirée vers ce projet de film?

R: Quand les producteurs m'ont contactée pour me faire part de leur projet, j'ai tout de suite été séduite par le personnage, ainsi que par la façon à la fois très drôle et très juste avec laquelle Marie Desplechin l'a dépeint. Marie a écrit une première version du scénario, mais elle m'a laissée complètement libre par la suite.

À mon sens, Aurore est un très grand personnage de fiction, car elle a mis au point, dans son rapport avec le monde, tout un système qu'il faut arriver à comprendre. Un peu comme Obélix quand il fait face à des Romains. La question n'est pas de savoir ce qui va lui arriver, mais comment elle va s'y prendre pour massacrer la personne en face d'elle!

Q: L'analogie avec le personnage de Goscinny est un peu étonnante, mais il est vrai qu'elle peut s'appliquer ici. Cela dit, on a plutôt tendance à inscrire Jamais contente dans la lignée de films qui ont bien su cerner la psyché des préadolescentes: La boum (Claude Pinoteau), L'effrontée (Claude Miller), Diabolo Menthe (Diane Kurys) et d'autres oeuvres de cette nature nous viennent davantage à l'esprit...

R: Même si je savais dès le départ que Jamais contente allait être une comédie très assumée, il m'importait de prendre les personnages très au sérieux. Si l'on ne parvient pas à véritablement incarner l'histoire, à la rendre crédible sur le plan humain, le simple prétexte du rire ne fonctionne pas. D'une certaine façon, j'ai été la spectatrice d'Aurore. Je ne voulais surtout pas lui faire perdre le fil en lui faisant faire des choses qui n'auraient été placées là que dans le but de faire rire. Cela n'est pas intéressant.

Q: La réussite du film doit beaucoup à Léna Magnien, l'interprète d'Aurore, une jeune actrice sans aucune expérience, qui ne correspond pas non plus tout à fait à la description qu'en fait Marie Desplechin dans son livre. Comment l'avez-vous trouvée?

R: Nous avons mis beaucoup de temps à la chercher. Il nous fallait être bien convaincus, car Aurore apparaît dans toutes les scènes du film. Si la comédienne n'est pas à la hauteur, tout s'écroule. J'ai vu beaucoup de jeunes filles pour le rôle et je ne pourrais pas dire que Léna s'est imposée d'emblée. Mais au cours d'un essai, j'ai senti chez elle une profonde compréhension du personnage, même si je ne lui avais pas encore donné l'occasion de lire le scénario. Une fois choisie, j'ai passé avec elle trois bonnes semaines pour la faire répéter.

Le plus difficile aura été de lui faire regagner son naturel, car au départ - c'est tout à fait normal -, elle avait tendance à en mettre un peu trop. À partir du moment où elle l'a compris, ce fut un charme. Je n'ai pratiquement plus eu à la diriger pendant le tournage. Bah si, un peu quand même!

Q: Vous avez entouré Léna d'une distribution remarquable, de laquelle font notamment partie Catherine Hiegel, Philippe Dequenne, Alex Lutz, ainsi que la réalisatrice Patricia Mazuy [Peaux de vaches, Saint-Cyr] dans le rôle de la mère.

R: Je suis particulièrement fière de cette distribution. J'ai pensé à Patricia pour le rôle de la mère parce que, tout d'abord, j'aime sa personnalité de cinéaste. Je voulais placer face à Aurore une femme capable de l'affronter sans que tout vire au drame. Quant aux autres, ce sont des acteurs accomplis. Catherine Hiegel était ravie de pouvoir jouer dans un film où l'on ne lui donne pas un rôle de garce!

Q: Jamais contente a été lancé au Festival de Berlin l'an dernier. Le jury de la section Génération lui a accordé une mention spéciale dans son palmarès. Le prix du jeune public lui a aussi été attribué aux Prix du cinéma européen. Avez-vous le sentiment d'avoir réalisé un film destiné principalement au plus jeune public?

R: En tant que cinéaste, je vise tout le monde. D'évidence, ce film touchera davantage les ados, ainsi que tous ceux ayant un lien avec eux. Je me suis toutefois rendu compte que même ceux qui, a priori, ne seraient pas attirés par ce genre de film se laissent prendre au jeu. Je me réjouis de constater que le public est beaucoup plus large que ce que j'aurais pu m'imaginer au départ en adaptant un roman jeunesse. Cette histoire évoque un âge où toutes les premières fois arrivent en même temps. Cette multiplicité prend une telle énergie qu'elle engendre forcément quelque chose de passionnel. Et ça, tout le monde l'a vécu!

Jamais contente prendra l'affiche le 11 août.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.