Journaliste de profession, Clémentine Deroudille signe un premier long métrage en forme de portrait intime. Ayant eu un accès privilégié à toutes les archives de Robert Doisneau, elle fait évidemment écho à l'oeuvre - très riche - du célèbre photographe, mais elle rend aussi hommage à un homme qu'elle a très bien connu. Comme peut le faire une petite-fille devenue adulte en repensant à son grand-père.

Vous avez été reporter pendant longtemps à RFI et à France Culture. Comment avez-vous eu l'idée de consacrer un film à votre grand-père? Et pourquoi maintenant?

Je suis allée réaliser un reportage à Tokyo et il s'adonnait qu'avait lieu là-bas au même moment une exposition consacrée à Robert Doisneau. J'ai été bouleversée de constater à quel point l'oeuvre de mon grand-père était connue et appréciée mondialement. Cela m'a vraiment beaucoup interpellée. Comme j'ai une formation d'historienne en art, j'ai commencé à remonter le fil grâce à la filière internationale, si j'ose dire. Je me suis mise à redécouvrir son oeuvre. Ma préoccupation principale était de montrer le photographe au coeur de son époque, mais aussi l'immense artiste qu'il était. J'ai voulu que le spectateur saisisse ce qui fait la grandeur d'un photographe d'exception. Faire comprendre son regard, sa manière de travailler. Robert Doisneau composait ses cadres comme un cinéaste construit ses plans. Rien n'était laissé au hasard.

Pour y arriver, quel a été votre procédé?

Tout le film a été construit autour des archives, très nombreuses. On compte 450 000 documents en tout! Je ne les ai évidemment pas tous consultés, mais j'ai passé assurément quelques mois dans cette espèce de caverne d'Ali Baba, enfermée souvent toute la journée. J'ai pris un plaisir fou à regarder, à choisir tous les clichés, d'autant que mon grand-père était un archiviste hors pair. Tout le matériel a été répertorié, classé, y compris toutes ses lettres de correspondance. Pour réaliser un documentaire, que voilà un terreau fabuleux ! Même si toutes ces archives sont accessibles, peu d'entre elles sont connues, étonnamment. Quand on évoque l'oeuvre de Doisneau, on ressort habituellement toujours les mêmes photos, les mêmes extraits. J'étais d'autant plus ravie de tomber sur toutes ces choses inédites.

Ce film est aussi une histoire de famille. Vous évoquez, bien sûr, le lien qui vous a unit à votre grand-père, votre soeur signe le montage, et les deux filles de Robert, votre mère et votre tante, sont aussi mises à contribution. 

Nous avons la chance d'avoir une vie familiale très harmonieuse. Mon grand-père en a fait une priorité. Je trouvais important d'y faire écho. Il a aussi vécu à une époque où tous les membres de la famille - cela inclut aussi les amis - vivaient pratiquement toujours ensemble. À titre de petite-fille, j'ai toujours eu un rapport privilégié avec lui. Je tenais à raconter ce point de vue auquel tout le monde peut s'identifier. Ce n'est que lorsque je suis devenue adulte que j'ai constaté à quel point il était séduisant. Mon grand-père a beaucoup utilisé ce pouvoir de séduction dans l'exercice de son métier. On ne pouvait rien lui refuser. Lui qui était davantage attiré par la marge a ainsi pu avoir accès à des endroits qui auraient dû lui être interdits en principe. Personne n'avait photographié la banlieue de son époque avant lui. Il dénonçait les inégalités sociales à travers ses reportages photographiques. Il aurait sans doute encore ce côté militant aujourd'hui.

Votre documentaire a été présenté sur la chaîne Arte en France, mais il n'est jamais sorti dans les salles de cinéma là-bas. En tant que réalisatrice, avez-vous dû changer votre approche?

Auparavant, certaines productions d'Arte pouvaient aussi sortir dans les salles de cinéma en France. En vertu d'une nouvelle politique, ces films sont maintenant présentés en exclusivité sur la chaîne à l'intérieur de nos frontières, mais disponibles pour distribution en salle sur les marchés étrangers seulement. Évidemment, j'ai dû modifier un peu mon approche afin de tenir compte du formatage télé. J'aurais aimé avoir l'occasion de le retoucher pour qu'il ait une dimension un peu plus cinématographique en vue des sorties à l'étranger. 

Est-ce que Robert Doisneau aurait l'occasion de se distinguer de la même façon à notre époque?

J'en suis convaincue. Bien entendu, les technologies ne sont plus les mêmes, mais au bout du compte, le talent reste le talent. Et il provient avant tout de l'artiste, pas des outils qu'il utilise. De la même manière qu'on ne devient pas grand cinéaste parce qu'on sait manipuler une caméra numérique, on ne devient pas grand photographe parce qu'on possède un téléphone intelligent. Cela dit, je suis certaine qu'il aurait adoré jouer avec toute cette nouvelle technologie. La seule chose qui pourrait peut-être mettre un frein à son élan s'il travaillait aujourd'hui est la question du droit à l'image. Qui est maintenant plus compliquée.

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Robert Doisneau - Le révolté du merveilleux prendra l'affiche le 19 mai.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.

photo fournie par FunFilm

Clémentine Deroudille avec son grand-père en 1981