Inspiré par la vie de Chuck Wepner, le boxeur qui a inspiré Sylvester Stallone pour Rocky en résistant à Muhammad Ali pendant 15 rounds lors d'un combat, Chuck décrit le parcours d'un homme qui, au coeur des années 70, se laisse dériver dans une spirale de sexe, de drogue et... de disco. Pour le cinéaste québécois Philippe Falardeau, ce film, très différent de ses précédents, constitue assurément un tournant.

Le premier attrait

Après The Good Lie, Chuck est le deuxième film américain de Philippe Falardeau. Doté d'un budget très modeste (environ 5 millions de dollars), le film met en vedette Liev Schreiber, Naomi Watts, Ron Perlman et Elisabeth Moss. «J'ai été fasciné par un homme qui a plus de défauts que de qualités, explique le cinéaste. J'avais envie de m'intéresser à un personnage plus sombre, plus ‟sale". C'est la première fois. Dans tous mes films précédents, les héros possédaient tous en eux une forme de noblesse. Pas cette fois. Chuck a toutefois eu la chance de vivre une relation amoureuse - qui dure encore aujourd'hui - qui lui a permis de s'en tirer. Lors de projections spéciales que nous avons faites la semaine dernière à Los Angeles, cette espèce de mise en garde contre les affres de la célébrité a beaucoup intéressé le public. La plupart des questions que les gens posaient tournaient autour de ça. Le rapport qu'entretient Liev envers sa propre notoriété est très candide. Il reconnaît ressentir une plus forte pression depuis le succès de la série Ray Donovan

Le respect de la culture

Chuck Wepner est devenu la fierté de Bayonne, une localité du New Jersey située à une quarantaine de kilomètres de New York. Lors de la projection de Chuck au Tribeca Film Festival, des spectateurs ont dit avoir apprécié la précision du détail, ainsi que le respect de l'accent et du vocabulaire distincts de la région. Comment un cinéaste étranger peut-il y arriver? «En tant que Québécois, rien ne m'énerve autant que de voir un film étranger où l'on fait référence à notre culture sans choisir les bons acteurs, sans même se donner la peine d'essayer de savoir un peu de quoi on parle!, fait remarquer le cinéaste. Étant souvent de ce mauvais côté, je ne voulais surtout pas reproduire ce genre de faux pas. Je suis allé en repérage à Bayonne, simplement pour m'asseoir dans des cafés et écouter les gens parler. J'ai aussi fait venir tous les ‟rushes" des entrevues - il y en avait pour 10 heures - de The Real Rocky, un documentaire consacré à Chuck Wepner. Saturday Night Fever et Goodfellas m'ont aussi nourri. Martin Scorsese est un maître dans l'art de mettre en place une situation sans aucun didactisme. L'idée de la narration au début est directement inspirée de ses films. Liev, qui vient de New York, était aussi un bon chien de garde pour le dialecte et l'accent.»

Le changement de titre

Chuck a été présenté l'an dernier à la Mostra de Venise, au festival de Toronto ensuite, sous le titre The Bleeder. Il arrive assez fréquemment que des productions modifient un titre entre le tournage et la sortie, mais il est plus rare qu'un changement ait lieu après un lancement dans un grand festival. Que s'est-il passé? Il appert que la sortie du film Bleed for This l'automne dernier a eu un impact direct sur The Bleeder, titre que Philippe Falardeau utilise d'ailleurs toujours spontanément au détour d'une conversation. Mettant en vedette Miles Teller, Bleed for This relate aussi le parcours d'un boxeur, Vinny Pazienza. «Si Bleed for This n'avait pas été un film sur un boxeur, on aurait sans doute pu vivre avec, explique le réalisateur. Mais là, ça commençait à faire un peu trop. C'est aussi la raison pour laquelle Chuck sort plusieurs mois après son lancement. Il fallait mettre une distance. Honnêtement, je ne suis pas fou de Chuck, un choix qui découle d'une solution simple, mais pas très sexy. Mais c'est quand même mieux qu'Outsider, le titre qu'a le film en France. Avec lequel je n'ai strictement rien à voir!»

Les ambitions américaines

«Réaliser des films américains me permet de travailler avec des pointures comme Reese Witherspoon, Liev Schreiber et Naomi Watts, souligne le réalisateur de Monsieur Lazhar. Ma vocation de cinéaste s'est déclarée tard dans la vingtaine - et par accident - grâce à La course destination mondeChuck m'a permis d'aller vers quelque chose de différent, de plus risqué pour moi, et de plus ambitieux sur le plan de la mise en scène. Le prochain film américain que je souhaiterais réaliser, pour lequel je rencontre des gens en ce moment, le sera encore plus. Il s'agit d'un western à la Treasure of the Sierra Madre, un huis clos avec trois personnages, campé en 1851 en Californie. On m'offrirait de tourner un James Bond demain que je ne pourrais pas, car je ne me sentirais pas prêt. Il faut y aller par étapes. Denis [Villeneuve] les a franchies en commençant avec Prisoners. Il est maintenant rendu là où il est, à faire ce qu'il rêve de faire depuis toujours. Je n'ai pas le même type d'ambition. Je constate cependant que Chuck constitue une belle carte de visite. Quand je signale à mon agent américain qu'un scénario m'intéresse, il n'a plus trop de difficulté à obtenir un rendez-vous.»

Photo Reuters

Philippe Falardeau et Liev Schreiber à la première de Chuck à Los Angeles le 2 mai dernier.

La critique

Même s'il a généralement été bien soutenu par la critique, Philippe Falardeau ne la lit jamais. «Je ne remets absolument pas en cause son rôle, mais j'estime que si tu t'y exposes, il faut être honnête et lire alors l'ensemble des critiques, y compris les mauvaises. Je ne peux pas me limiter à lire seulement les favorables. Même à l'époque de La course, je ne voulais pas entendre les commentaires des juges ni connaître les notes et le classement. J'ai toujours été fragile et j'ai l'impression que ça empire en vieillissant. Ce que je gagne en expérience à titre de cinéaste, je le perds en désinvolture. L'échec de Guibord s'en va-t-en-guerre a vraiment été difficile à encaisser. Quand le public n'est pas au rendez-vous, tu te remets forcément en question. En même temps, le processus de création doit rester plus important que le résultat. Sinon, on fige!»

Les projets

Outre le projet de western américain, qui en est vraiment à l'étape embryonnaire, Philippe Falardeau compte tourner bientôt un scénario qu'il a écrit, adapté du livre de Joanna Rakoff. Le scénario de My Salinger Year, dont la production sera assurée par la société montréalaise micro_scope, devrait être soumis bientôt aux institutions. Le projet le plus immédiat est toutefois celui de se rendre au Festival de Cannes la semaine prochaine afin de veiller sur Athina, sa petite fille de 6 mois, pendant que la maman productrice brassera des affaires au Marché du film. «Pour un réalisateur, aller au Festival de Cannes sans présenter de film, c'est comme un joueur de hockey qui s'en irait voir les matchs de la finale de la Coupe Stanley alors que son équipe a été éliminée deux rondes plus tôt. Avec les gens de micro_scope, on fera évidemment des représentations à propos de My Salinger Year, mais ma fonction première sera celle d'être le papa d'Athina et d'aider ma blonde afin qu'elle puisse se rendre à ses rencontres en toute quiétude!»

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Chuck prendra l'affiche le 19 mai.

Photo : Entract Films

Philippe Falardeau affirme que le travail de Martin Scorsese l'a grandement inspiré pour Chuck.