Alors que les services d'espionnage semblent être plus actifs que jamais partout sur la planète, François Cluzet est la tête d'affiche d'un thriller dont l'esprit rappelle un genre ayant connu son âge d'or dans les années 60 et 70.

François Cluzet ne s'en cache pas. Depuis une dizaine d'années, l'acteur connaît une période très faste. Amorcée en 2006 grâce au film de Guillaume Canet Ne le dis à personne, marquée ensuite par le succès historique d'Intouchables, la dernière décennie l'a propulsé au sommet, la cinquantaine déjà entamée. Aujourd'hui âgé de 61 ans, François Cluzet est le parfait exemple du «tout vient à point à qui sait attendre».

«Auparavant, j'intéressais les auteurs et les cinéastes, mais moins les producteurs, explique-t-il au cours d'un entretien accordé à La Presse. Le succès d'Intouchables a évidemment changé beaucoup de choses. Je suis alors devenu un acteur bankable. Ce statut me permet d'être maintenant le premier choix, après avoir été pendant 30 ans le deuxième, troisième ou quatrième! Il est certain que ça facilite les choses.»

Un complot politique

Vu récemment dans Médecin de campagne, qui lui a valu sa sixième sélection aux Césars dans la catégorie du meilleur acteur, François Cluzet est aujourd'hui au coeur de La mécanique de l'ombre, premier long métrage de Thomas Kruithof. Dans ce thriller, l'acteur incarne Duval, un homme toujours en chômage après avoir traversé un épisode d'épuisement professionnel. Recruté par un homme d'affaires mystérieux, il se fait proposer un boulot très simple, mais fort bien rémunéré: retranscrire à la machine à écrire - et non à l'ordinateur - des écoutes téléphoniques. Duval s'exécute machinalement sans poser de questions, jusqu'à ce qu'il se retrouve au coeur d'un complot politique.

«En lisant le scénario, le souvenir des Trois jours du Condor [de Sydney Pollack] m'a évidemment traversé l'esprit, fait remarquer l'acteur. En France, nous avons aussi eu des films du genre pendant longtemps, notamment grâce au cinéma de Jean-Pierre Melville, qui était un maître. J'ai été très agréablement surpris par la qualité du scénario. Vraiment. Ça ne ressemblait pas à un premier film du tout. Après, il faut évidemment rencontrer le metteur en scène, voir ce qu'il veut faire de son script. Thomas était en parfaite maîtrise. J'aimais aussi beaucoup les autres acteurs qu'il a choisis, Denis Podalydès, Sami Bouajila, bref, tous les éléments étaient réunis.»

Hasard ou coïncidence, il se trouve que le propos de La mécanique de l'ombre est aussi d'actualité. La terreur, la méfiance, la peur de l'autre entraînent un repli sur soi qui exacerbe les nationalismes, entraînant dans la foulée ce qui semble être un nouvel âge d'or pour les services d'espionnage.

«C'est vraiment dans l'air du temps, reconnaît François Cluzet. Cela fait écho à ce que chaque citoyen peut ressentir aujourd'hui. De plus, chez nous, en France, nous sommes toujours en état d'urgence face au terrorisme. Alors oui, ce film a un pied dans l'actualité quand on pense à toute cette concentration sur la surveillance, les questions de libertés individuelles qui en découlent, etc. Cela dit, l'aspect politique du propos ne m'a pas particulièrement attiré. C'est plutôt le genre. Je n'avais encore jamais joué dans un vrai thriller. À mes yeux, Ne le dis à personne relevait davantage du thriller sentimental. Mais j'étais content que le film aborde la question politique aussi.»

Une dynamique théâtrale

Formé au théâtre, François Cluzet aime travailler ses personnages avant d'arriver sur le plateau. Cette dynamique est toutefois plus rare au cinéma.

«Ce que je préfère, c'est la préparation, explique-t-il. J'essaie de transposer ce travail à la table au cinéma. Mais il y a des acteurs qui n'aiment vraiment pas ça. Quand je proposais ce genre d'approche sur Les petits mouchoirs, par exemple, certains se rappelaient tout à coup qu'ils avaient un avion à prendre! Je pense que c'est le collectif qui fait un film. Il est intéressant d'échanger, de savoir ce que l'autre acteur pense de ton personnage. Ce qui m'intéresse, ce n'est pas de jouer, mais de vivre.» 

«J'aime être l'interprète qui amène la vie à une oeuvre. La vraie star, c'est le film. Plus personne ne peut prétendre faire du box-office sur son nom aujourd'hui.»

Ayant été la vedette de très grands succès populaires, François Cluzet ne veut pas céder à toute pression de cette nature.

«Ma motivation principale est de ne pas décevoir le public, indique-t-il. Le succès ne m'appartient pas trop, de toute façon. À mes yeux, l'essentiel est de faire de bons films!»

Alimenter la bonne humeur

Des longs métrages dans lesquels il joue, François Cluzet garde surtout les souvenirs d'ambiance.

«J'ai eu la chance de tourner cinq fois sous la direction de Claude Chabrol, rappelle-t-il. J'aime quand on échange une humanité pendant le tournage. Du fait que je travaille beaucoup mon rôle avant, je vis sur le plateau. J'ai du temps pour alimenter l'équipe d'une bonne humeur et d'une envie de travailler. Certains pensent qu'il faut souffrir atrocement pour être bon. Moi, je pense plutôt le contraire!»

La mécanique de l'ombre prendra l'affiche le 17 mars.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.

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Une déclaration-choc

Lors de la 42e cérémonie des Césars du cinéma français, tenue il y a deux semaines, François Cluzet n'a pas mâché ses mots en venant remettre le César de la meilleure adaptation (attribué à Céline Sciamma, la scénariste de Ma vie de Courgette). Faisant écho à «l'affaire Théo», une histoire de brutalité policière qui a fait grand bruit récemment en France, l'acteur a répondu à un propos raciste qu'a tenu un policier dans une émission d'affaires publiques. Ce dernier avait déclaré: «Bamboula, d'accord, ça ne doit pas se dire. Mais cela reste encore à peu près convenable.» «Si on peut dire "Bamboula, c'est convenable", on doit pouvoir dire "enculé de raciste", c'est un compliment!», a répliqué Cluzet sur la scène de la salle Pleyel.

photo bertrand GUAY, agence france-presse

François Cluzet sur la scène des Césars du cinéma français, le 24 février dernier