Il est à la fois le gars de la série Girls, le nouveau méchant de la saga Star Wars et la coqueluche du cinéma d'auteur américain. Adam Driver, acteur caméléon, refuse d'être cantonné à un seul type de rôle.

Celui que l'on a vu récemment, décharné, dans Silence de Martin Scorsese incarne dans le nouveau film de Jim Jarmusch, Paterson, un chauffeur d'autobus de Paterson, au New Jersey, prénommé Paterson, qui occupe ses temps libres à écrire des poèmes.

«Je suis un très grand fan de Jim Jarmusch, dit l'acteur de 33 ans, rencontré en septembre dans le cadre du Festival international du film de Toronto. Je ne pouvais pas croire qu'il ait pensé à moi. J'ai accepté le rôle sans hésiter. J'aurais accepté n'importe quel rôle, pour tout dire!»

Adam Driver, dont la physionomie atypique rappelle celle de Richard Edson, l'un des interprètes du premier long métrage de Jarmusch, Stranger Than Paradise, a été nommé meilleur acteur de 2016 par les associations de critiques de cinéma de Los Angeles et de Toronto grâce à ce rôle de dilettante.

À l'écoute

Avec une dégaine nonchalante, le comédien a épousé naturellement le rythme indolent de ce film charmant, sélectionné en compétition officielle au dernier Festival de Cannes. Un rôle intériorisé, offrant à Driver moins de dialogues que de citations hors champ des poèmes naïfs de son personnage.

«J'adore écouter les autres sur un plateau, dit-il. Incarner un personnage dont l'activité principale est d'écouter les autres me convient parfaitement. Je trouve que c'est un parti pris courageux de Jim. Il fait assez confiance à son public pour croire que le pouvoir de l'esprit sera assez cinématographique pour l'intéresser. Les monologues intérieurs, dans une culture où l'accent est principalement mis sur l'action, sont une audace. Mais ce n'est pas une surprise venant de Jim!»

Photo fournie par Bleeker Street

Adam Driver dans Paterson

La mise en scène subtile de Jarmusch fait en sorte que l'on s'attend constamment à ce qu'un événement vienne perturber la quiétude de Paterson et de son entourage. Il y a bien quelques pivots dramatiques dans ce récit minimaliste, mais le cinéaste se contente surtout de filmer la vie quotidienne, avec l'humour pince-sans-rire qui caractérise l'ensemble de son oeuvre.

Le cinéaste de Broken Flowers et de Ghost Dog s'intéresse particulièrement à la routine d'un homme sans histoire, chauffeur d'autobus mélancolique qui s'évade et se réfugie dans le carnet de poésie qu'il tient précieusement, et qu'il s'applique à noircir quotidiennement. Adam Driver forme à l'écran un très beau couple de cinéma avec l'actrice iranienne Golshifteh Farahani (vue dans les films d'Asghar Farhadi), qui joue une artiste beaucoup plus exubérante que son amoureux.

«J'aime l'idée qu'il ait une vie très structurée qui lui permette de se laisser flotter et de divaguer dans ses temps libres, dit l'acteur à propos de son personnage. Je me reconnais là-dedans: dans cette liberté, mais aussi ce désir de structure. La vie d'acteur n'est pas très structurée. C'est un travail de nomade, de travailleur autonome. On a parfois envie d'être encadré.»

Ex-militaire

Adam Driver s'y connaît en la matière. Il s'est enrôlé spontanément chez les Marines après les attentats du 11-Septembre et a servi pendant plus de deux ans, avant qu'une fracture du sternum mette fin à sa carrière militaire. Un parcours qui a inspiré une réécriture du scénario de Jim Jarmusch pour y intégrer des éléments du passé de l'acteur (dont témoigne une photo de lui en jeune officier).

«Le personnage n'est pas défini par une seule chose. Il est chauffeur d'autobus, mais il est aussi poète. C'est un ancien militaire, mais il n'agit pas comme un militaire archétypal. Il n'a pas de syndrome de stress post-traumatique. Ça fait seulement partie de son passé...»

Adam Driver dit avoir lui-même souffert des préjugés sur les ex-militaires. «Dans le milieu artistique, lorsque je suis sorti de l'armée, les gens pensaient que j'étais potentiellement dangereux. Ils avaient peur de moi. Ça fait partie de mon passé. Je ne m'identifie pas que par mon parcours de Marine. Ce n'est qu'une chose que j'ai faite et que je suis très content d'avoir faite.»

Formé comme acteur à la prestigieuse école artistique de Juilliard, Driver estime que l'armée est la meilleure école d'acteur qu'il ait fréquentée. «Ce que j'en ai retenu, c'est que d'accomplir une mission est une chose plus grande qu'une seule personne. On fait partie d'une équipe. C'est un effort collectif. Il y a un leader. Lorsqu'il est compétent, tu as l'impression d'être utile pour le bien-être collectif. Quand c'est le contraire, tu as l'impression de gaspiller ton énergie, tes ressources, ton temps et ta vie. J'essaie d'appliquer ça à mon travail d'acteur.»

Qu'importe le budget

Sa palette est particulièrement large, comme en témoigne sa filmographie. On l'a vu autant dans les films indépendants de Noah Baumbach (Frances HaWhile We're Young) que chez les frères Coen, Clint Eastwood ou Steven Spielberg. Driver tiendra la vedette des prochains films de Steven Soderbergh et de Leos Carax, et on le reverra dans le rôle de Kylo Ren, petit-fils de Darth Vader - et progéniture de la princesse Leia et de Han Solo -, dans l'épisode VIII de Star Wars, en décembre prochain.

Choisit-il consciemment des rôles qui sont aux antipodes les uns des autres? «Je choisis les rôles en fonction des cinéastes, dit-il. J'aime travailler avec des réalisateurs qui ont une vision originale. J'ai eu la chance de travailler avec des artistes de grand talent. Mais ça ne me dérange pas que ce soit dans un film à petit ou à grand budget.» 

«Si Jim [Jarmusch] avait fait un film destiné à YouTube, je l'aurais fait avec autant de plaisir. Le cinéma est vraiment un médium de réalisateurs.»

Pour cet acteur qui fait sans effort l'aller-retour entre le cinéma d'auteur et la superproduction hollywoodienne, accepter de participer à un projet de l'envergure de Star Wars a tout de même été accompagné de quelques frissons d'appréhension.

«J'étais terrifié ! Mais comme J.J. [Abrams] le réalisait, même si c'était un projet gigantesque, je me sentais entre bonnes mains. Je lui ai parlé de mes craintes et il m'a dit qu'il fallait voir le tout comme une série de petites séquences. À la fin, m'a-t-il dit, avec un peu de chance, on aurait un film. Ça m'a rassuré. Je me suis dit que c'était comme n'importe quel autre projet. Même s'il était attendu par des millions de fans - et que ça se passe dans l'espace! -, comme acteur, je l'ai approché comme les autres, en étant le plus franc possible dans mon jeu. Le chemin peut être différent, mais la destination est la même.»

Paterson a pris l'affiche vendredi

Photo Thibault Camus, Archives La presse canadienne 

Le réalisateur Jim Jarmusch