Dans son plus récent film, le cinéaste français Stéphane Brizé (Mademoiselle Chambon) s'attaque à Une vie, premier roman de Guy de Maupassant paru en 1883. Tourné en Normandie dans des paysages magnifiques et austères, le film, porté par la comédienne Judith Chemla dans le rôle de Jeanne, a été lancé à la Mostra de Venise d'où il est revenu avec le prix des critiques. La Presse a rencontré M. Brizé à Montréal.

Vous souvenez-vous de votre rencontre avec Une vie de Guy de Maupassant et le personnage de Jeanne?

J'avais 27 ans et j'ai éprouvé un sentiment de fraternité avec Jeanne. J'ai aimé le roman, que j'ai relu régulièrement. Ce sentiment ne me lâchait pas. Des années plus tard, j'ai compris que nous partagions, Jeanne et moi, une même expérience du monde. À savoir la désillusion, l'idée qu'on se faisait du monde et de l'homme n'étant pas si merveilleuse. Dans Une vie, la tragédie de Jeanne, c'est qu'elle n'est pas capable de faire le deuil du paradis perdu de l'enfance. Moi, je l'ai fait avec le sentiment, un peu douloureux, de faire quelques compromis.

Et l'idée d'en faire un film?

Après chacun de mes films, je me demandais: est-ce le moment? Chaque fois, c'était non. J'ai compris intuitivement qu'il fallait avoir un peu d'expérience pour s'y attaquer. De plus, j'entrais dans une période marquée par la fin des illusions de notre monde. Ça a donné La loi du marché [son film précédent] et Une vie, avec des personnages qui, malgré des époques et des milieux différents, sont tous les deux habités par une très haute idée de l'homme et font une expérience de désillusion. C'est quelque chose qui les habite et que je partage complètement.

D'autres thèmes sont abordés : amour, adultère, désir, mensonge. Que vouliez-vous explorer?

Tout nourrit la désillusion de Jeanne. Elle fait l'expérience du mensonge avec son mari. Son idée de l'amour est trahie. Son idée de l'amitié est trahie. Même chose avec ses parents. Elle fait des expériences de désillusion qui passent par le mensonge, la tromperie, etc.

Contrairement à Bel-Ami de Maupassant, Une vie a été très peu adapté au cinéma. Pourquoi?

Il y a eu un téléfilm en France il y a une vingtaine d'années et le film d'Alexandre Astruc (1957). Dans les deux cas, ils n'adaptent qu'une partie du roman. Ils n'adaptent pas le vieillissement de Jeanne qui marque le dernier tiers. Je me demande d'où vient ce désir d'adaptation quand on ne montre pas les conséquences dans la vie d'une femme des choix qu'elle a faits étant jeune! Ce qui est intéressant, c'est la mise en perspective. Évidemment, la difficulté est le vieillissement. Il faut trouver de grands acteurs capables de vieillir.

Donc, le passage du temps est la principale difficulté de transposition?

Le gros défi, c'est la littérature. Parce que celle-ci est tellement sublime que la tentation est forte de suivre les pas de Maupassant. De plus, avec de tels romans, on ne peut pas trahir les événements saillants du récit puisqu'ils sont dans la tête de tous ceux qui ont lu l'ouvrage. Il faut trouver les bons outils de cinéma pour répondre au passage du temps. Maupassant a écrit son récit de manière chronologique; moi, j'ai fait des allers-retours dans les époques. L'outil de l'ellipse permettait de mieux traduire le temps qui passe.

Pourquoi ce choix de format (1,33:1)?

Il correspond à ceux des vieux films qu'on voyait dans nos télés carrées. Le cadrage traduit, sans qu'on explique, l'idée de l'enfermement de Jeanne dans son idée du monde. Avant de tourner, j'ai fait des essais en scope. Ça donnait de la dimension à l'image, mais ça en enlevait au film.

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Une vie est à l'affiche.

Film: Une vie. Crédit: Diaphana.