Déjà sacrée meilleure actrice aux European Film Awards, Sandra Hüller est la covedette de Toni Erdmann, l'un des films les plus célébrés à l'international. Dans cette comédie de Maren Ade, finaliste à l'Oscar du meilleur film en langue étrangère, elle incarne une femme de carrière allemande à qui son père (Peter Simonischek), vieil excentrique, rend visite à l'improviste pour mettre un peu de piquant dans sa vie. Qu'importe si, pour ce faire, il doit s'inventer un personnage fictif et se placer dans des situations gênantes, surtout pour elle. Conversation avec une actrice qui garde les pieds bien sur terre.

Lors de la toute première projection du film au Festival de Cannes, destinée à la presse, les critiques - réputés très féroces - se sont spontanément mis à applaudir à la fin d'une scène où vous vous illustrez particulièrement. À quoi attribuez-vous cette espèce de jubilation que provoque le film?

Honnêtement, je ne sais pas. À la lecture du scénario, on pouvait déjà imaginer le résultat, mais personne ne s'attendait à ça. Pendant le tournage, on s'est toujours dit que l'humour faisait assurément partie de l'histoire, mais que Toni Erdmann n'était quand même pas une franche comédie. Les difficultés des personnages sont telles qu'il ne fallait pas les prendre trop au sérieux non plus. Cela dit, je crois que personne ne peut expliquer pourquoi le film est devenu aussi drôle, même pas la réalisatrice. Peut-être est-ce dû au fait que le récit tourne autour des relations familiales? Chacun peut établir des liens avec les histoires, parfois gênantes, que nous avons tous vécues avec des membres de notre propre famille!

Il émane du film une impression de très grand naturel, un peu comme si certaines scènes étaient le fruit d'une improvisation. Qu'en est-il exactement?

En vérité, tout était déjà très écrit. Nous avons même eu droit à une longue période de répétitions. Cependant, le travail évoluait beaucoup au fil d'une journée de tournage. Par exemple, pour la scène où je chante, il y a eu un moment où je ne savais vraiment plus quoi faire. Maren n'était pas satisfaite et nous arrivions au bout d'une longue journée passée dans un petit appartement rempli de monde. Il faisait très chaud. C'est un moment névralgique dans l'histoire, et j'en suis venue à tout abandonner. Inès, mon personnage, est tellement gênée qu'elle ne peut plus faire autrement que de tout lâcher et de faire comme si tout lui était égal. Or, Maren n'était pas d'accord avec ce point de vue. À ses yeux, ce moment marque un tournant pour Inès, car elle franchit alors une autre étape. Mais nous n'avions pas du tout répété cette scène de cette façon-là sur le plan psychologique.

Vous avez dû faire plusieurs prises?

Constamment. Maren aime tourner 15 ou 30 prises de la même scène, parfois plus. C'est épuisant, mais ça nous donne aussi l'occasion, à nous, acteurs, d'aller au-delà du jeu et de nos réflexes naturels. Une fois que tu as joué et rejoué une scène en t'appuyant sur tes trucs d'acteur et que tu les as tous utilisés, il te faut alors explorer ailleurs. Tu n'as plus vraiment le contrôle de ce que tu fais non plus. Tu es là, sans aucun ego. Rien ne compte plus que ton lien avec tes partenaires, la réalisatrice, le directeur photo. Je trouve ça intéressant comme approche. J'aime ça.

Au fait, qu'est-ce qui vous a poussée à devenir actrice?

Je n'avais jamais rêvé d'être comédienne. J'ai commencé à faire du théâtre à l'école, à l'initiative de mon prof d'anglais à l'époque. J'y ai pris goût au point que le jeu est devenu une obsession. Je brûlais de jouer et je ne pouvais plus penser à autre chose. À 17 ans, j'ai fait le concours pour entrer à l'école d'art dramatique de Berlin, et on m'a acceptée. À mes yeux, il n'y avait pas d'autre issue. L'idée d'une carrière ne m'effleurait pas l'esprit, mais j'avais le sentiment que si je ne montais pas sur scène tous les jours, j'allais mourir. Heureusement, ça n'est plus le cas maintenant!

Vous êtes née à Suhl, dans ce qui était à l'époque la République démocratique allemande, et vous aviez 11 ans lors de la chute du Mur. Vous habitez aujourd'hui à Leipzig. 

L'environnement dans lequel je vis n'est pas si différent de celui dans lequel j'ai grandi. C'est encore l'Est. Je ne voudrais absolument pas tomber dans le romantisme, car je sais que le régime communiste était très cruel et que des choses ignobles se sont déroulées. Cela dit, à l'époque où j'étais une enfant, on nous a quand même inculqué certaines bonnes valeurs. Qui sont liées au sens de la communauté et de la justice sociale. Tout le monde avait la chance d'étudier et de trouver un emploi. Quand on a tourné Toni Erdmann à Bucarest, nous sentions déjà l'indignation du peuple roumain par rapport à la corruption, et je suis ravie que les manifestations récentes des gens aient fait reculer le gouvernement là-bas.

Vous êtes déjà très connue dans le monde germanique, mais Toni Erdmann vous révèle maintenant sur la scène internationale. Quel en est l'impact?

C'est un peu étrange, car j'ai le sentiment de n'avoir rien fait de spécial ni d'avoir changé quoi que ce soit. Si une carrière internationale devient possible pour moi, tant mieux. Mais je ne remuerai pas ciel et terre pour y arriver. J'essaie de gagner ma vie, d'être une personne authentique et honnête, et mon approche reste toujours la même. Si jamais j'inspire un cinéaste intéressant, avec qui j'aurais envie de travailler, peu importe d'où il vient, je serai évidemment heureuse de le rencontrer!

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Toni Erdmann prendra l'affiche le 17 février.

Photo fournie par Métropole Films

Sandra Hüller et Peter Simonischek dans Toni Erdmann