Il incarne l'indignation d'un Michael Moore, la conscience aiguisée d'un Errol Morris et le côté «je cabotine, mais je renseigne» d'un Infoman.

Il a réussi à piéger de façon magistrale l'entrepreneur le plus riche et puissant de France, Bernard Arnault, dans le but (réussi) d'éviter à une famille, les Klur, la perte de tous ses biens.

Il a fait de cet acte le documentaire Merci patron! qui a cartonné avec 500 000 entrées en France.

Plus à gauche que la gauche, il est néanmoins contesté, même dans son propre camp, pour ses déclarations parfois incendiaires.

Alors que son oeuvre sort au Québec, après un passage au Festival du nouveau cinéma, François Ruffin, fondateur du journal Fakir, toujours militant et maintenant réalisateur, a répondu aux questions de La Presse.

Il y a beaucoup de causes à défendre. Pourquoi celle de la famille Klur?

C'est une chose de savoir qu'il y a beaucoup d'injustices en général. C'en est une autre de passer à côté d'une injustice en particulier. Faire comme si de rien n'était alors qu'on vient de passer à côté d'une injustice est plus difficile que de manier seulement des généralités. Je préparais déjà un documentaire sur Bernard Arnault lorsque ma route a croisé celle des Klur. J'ai été convaincu que leur situation, leur combat, pouvait prendre un visage universel.

Donc, un cas particulier peut mener à l'universel?

Oui. Parler de gens précarisés par millions ne signifie plus grand-chose. En tirant deux visages de la masse, cela a plus de signification que certaines abstractions. Certes, c'est une situation qui se déroule dans le nord de la France, mais chacun peut y mettre des visages, des voix différentes. L'histoire de David et Goliath fonctionne autant chez vous que chez nous.

Est-ce votre méthode habituelle de travail, comme journaliste ou documentariste?

J'ai plusieurs cordes à mon arc. Je peux faire des interviews avec des intellectuels, de l'enquête sociale chiffrée, etc. Mais aussi rechercher des histoires qui vont toucher les gens. Je dis souvent que pour faire mouvoir les gens, il faut aussi les émouvoir.

En quoi la forme si singulière de votre film sert-elle le fond?

Sur le fond, j'ai fait un film contre les patrons. Mais sur la forme, il est contre les militants. À savoir, comment être militant sans être chiant? Ce n'est pas forcément en étant le plus servile, en faisant ce que le mouvement ouvrier nous demande de faire qu'on lui rend le mieux service. Il y a aussi cette nécessité de trouver des formes nouvelles. Si on met juste des gens devant une caméra pour qu'ils nous racontent leur misère et qu'il n'y a pas de mise en scène, il y aura les 50 militants habituels pour aller voir le film. Mais si on installe du suspense et qu'on emballe le tout dans une comédie, il est possible que l'on sorte de ce que j'appelle «le ghetto gauchiste».

Qui sont vos modèles?

Je cite souvent Michael Moore. Lorsque j'ai vu Roger & Me, ça m'a secoué. C'était un choc politique et esthétique. J'ai aussi passé un an aux États-Unis en regardant avec attention des émissions telles The Full Truth et TV Nation. Il y a d'autres influences moins conscientes, comme les canulars téléphoniques de Jean-Yves Lafesse ou les faux entretiens de Raphaël Mezrahi. J'ai aussi des sources d'inspiration dans la comédie populaire. Pour moi, Merci patron! est un Bienvenue chez les Ch'tis de gauche ou encore un Borat qui aurait lu Le capital de Marx.

Vous faites la preuve qu'un seul film peut éveiller plus de consciences que des fleuves d'articles de journaux. En tant que journaliste, ne trouvez-vous pas cela désolant?

J'écris beaucoup d'articles, j'ai écrit plusieurs livres, mais je sais que ce qui est populaire aujourd'hui, c'est l'image. Donc, ce n'est pas désolant.