En 2002, Kim Nguyen a fait parler de lui, la première fois, en présentant au grand écran Le marais. Près de 15 ans plus tard, le réalisateur de 42 ans, sélectionné aux Oscars en 2013 (Rebelle), est maintenant une figure importante du paysage cinématographique québécois. Dans la foulée de la sortie en salle de son cinquième long métrage, Two Lovers and a Bear, présenté à Cannes le printemps dernier, Kim Nguyen revient sur sa carrière La Presse.

Qu'est-ce qui vous a donné envie de faire du cinéma?

Mon père est économiste, arrivé du Viêtnam au début des années 60. Il faisait partie du programme Colombo et était venu en avion. Ma mère est une Bérubé de la ville d'Amqui qui a fait carrière en travail social. Je suis le deuxième d'une famille de quatre enfants. J'ai toujours aimé l'écriture et, encore aujourd'hui, c'est une de mes plus grandes passions. C'est la plus grande liberté pour moi. Mais ce qui m'a donné envie de faire du cinéma, c'est le labo photo: à 15 ans, voir dans le révélateur apparaître une image m'a donné la piqûre. J'ai tout de suite fait le lien entre écrire des histoires et développer des photos.

Comment décririez-vous votre rapport au cinéma?

Il y a quelque chose de très kinétique dans ma façon d'aimer le cinéma. J'aime relier l'espace, le récit, la lumière et le son. C'est très physique, ma relation avec le cinéma. J'aime déplacer des choses quand je suis en tournage, enlever les interfaces, toucher à tout. Il y a aussi qu'on veut faire la différence, trouver des sujets qui auront un impact sur la société. Avec Rebelle, ç'a été très important.

Pourquoi avoir choisi d'enseigner le cinéma [au collège Jean-de-Brébeuf]?

J'avais entendu qu'Harrison Ford avait été longtemps ébéniste pour pouvoir choisir ce qu'il aimait. J'avais donc décidé d'enseigner pour pouvoir développer des projets qui m'intéressent. J'avais une passion pour l'enseignement: c'est peut-être une version de moi de l'autre côté de la caméra. Il y a quelque chose qui tient de la performance quand on enseigne. À un certain point, je me suis rendu compte qu'en allant me coucher, je ne pensais plus à mes projets de films et à mes histoires, mais à mes élèves. J'ai donc dû choisir entre l'enseignement et le cinéma.

C'est à ce moment que vous réalisez Le marais. Comment vous sentez-vous quand on vous annonce que votre premier long métrage verra le jour?

C'est comme si on vous ouvrait une porte qui permet de vivre, pendant trois ou quatre ans, une aventure unique. Maintenant, ça vient un peu plus vite! Je demandais à l'époque 250 000 $ et la SODEC m'avait invité à trouver un producteur avec une plus grande expérience. Finalement, on a eu 2 millions. Pas mal pour un premier film!

SI C'ÉTAIT À REFAIRE...

Si on vous donnait l'occasion de retourner dans le passé, que changeriez-vous à vos précédents films?

Dans Le marais, j'aurais voulu avoir plus de figurants dans la scène du marché. Truffe, j'aurais voulu présenter une version de 60 minutes. Il en fait 74 pour des raisons contractuelles, mais je préfère la version courte du DVD! Dans La cité, on sent que les forces de la dramaturgie ne laissent pas de place à l'humanité des personnages. J'aurais aimé lui insuffler plus de véracité dès le scénario. Rebelle est le premier film qui représente l'achèvement de ce que j'ai voulu faire au départ. J'ai été chanceux dans l'industrie qu'on me donne une autre chance après La cité qui n'a pas été un succès commercial. J'en prends tout le blâme.

Est-ce que Rebelle a changé votre manière de travailler?

Oui, maintenant, je me fais confiance, j'écoute tout le monde, mais je tranche moi-même quand il faut décider ce qui est mieux pour le film. Il faut aussi être en constante écriture. Avant, j'aurais exécuté le scénario. C'est beaucoup plus agréable maintenant.

DANS LE GRAND NORD

Two Lovers and a Bear prend l'affiche vendredi prochain. Qu'est-ce qui vous a donné envie de tourner dans le Grand Nord?

J'ai vécu certains de mes plus beaux moments en carrière en tournant ce film. Louis Grenier, fondateur de Kanuk, avait écrit une nouvelle d'une vingtaine de pages. C'était l'histoire de deux âmes perdues qui se retrouvaient et prenaient un grand élan vers le nord. Je trouvais que le Grand Nord moderne avait peu été représenté au cinéma.

Les conditions de tournage ont-elles été un grand défi pour votre équipe et pour vous?

On était plus excités qu'autre chose de travailler dans ces conditions. On a eu un avant-goût de ce que ça serait de partir à l'aventure dans le Grand Nord, mais avec un filet de sécurité. La température est quand même descendue à -40 °C.

Vous avez donné à ce drame romantique une certaine allure de conte en choisissant de faire parler un ours polaire. Avez-vous hésité à emprunter cette voie?

J'ai choisi de faire des films risqués et d'accepter cette part de risque. Certains vont aimer l'ours, d'autres pas! J'avais envie d'explorer l'univers d'Haruki Murakami dans ses livres. Il utilise des demi-dieux parfois, des dieux qui ont des défauts. C'était une porte vers l'univers de Two Lovers and a Bear. Quand on est dans le Nord et qu'on se met à marcher, on est à la limite de l'espace-temps et de la rationalité. Le temps et les distances sont élastiques. L'ours était un peu une ouverture sur cette idée.

Dans votre processus créatif, vous arrive-t-il de penser à la critique?

J'essaie de faire mes films en tant que spectateur et non en tant que cinéaste. Les réalisateurs peuvent parfois avoir des désirs prétentieux. Le problème avec ce métier, c'est qu'il n'est pas enclin à créer des personnes saines et équilibrées! Parfois, ça crée des «rois Soleil» et il faut toujours se rappeler que c'est une bulle à l'extérieur du monde. La part dictatoriale de la création est essentielle pour faire un bon film, mais il faut savoir se rappeler que c'est juste de la fiction et qu'il faut revenir sur terre.

Qu'est-ce qui fait le succès des films québécois à l'étranger en ce moment, selon vous?

On doit attribuer au moins 50 % de notre succès à nos équipes. On ne le fait pas assez au Québec, je trouve. Il y a vraiment des gens qui font du cinéma avec leurs tripes! La décoratrice dans Rebelle marchait dans la boue au marché pour trouver des objets. Elle a passé deux mois toute seule à Iqaluit pendant la nuit presque permanente pour Two Lovers and a Bear! Ce sont des gens comme ça qui font qu'on fait de bons films au Québec.

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Film d'ouverture du Festival du nouveau cinéma, Two Lovers and a Bear (Un ours et deux amants en version française) sera présenté le 5 octobre, à 19 h, au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, puis prendra l'affiche en salle le 7 octobre.

COUPS DE COEUR DE KIM NGUYEN

> Minuit, le soir

«Claude Legault est un de nos plus grands scénaristes et on ne le reconnaît pas assez. Il n'y a jamais eu une série, depuis, qui a accoté Minuit, le soir. Autant dans l'écriture et la performance d'acteurs que dans la réalisation.»

> There Will Be Blood

«Ce long métrage de Paul Thomas Anderson est un des rares films de près de trois heures que je peux regarder en une seule fois. Selon moi, il s'agit d'une des grandes oeuvres des dernières années.»

> Magnolia

«Je revois souvent ce film qui met en vedette Tom Cruise. La structure est incroyable. Je me demande comment Paul Thomas Anderson parvient à maintenir ainsi notre intérêt pendant trois heures!»

> La mort et le pingouin

«Je viens de finir ce livre de l'auteur ukrainien Andreï Kourkov que j'ai adoré. Depuis que j'ai fait Le marais, Gregory Hlady me fait des suggestions incroyables de romans.»

Photo Philippe Bosse, fournie par la production

Le réalisateur Kim Nguyen a indiqué que le mercure est descendu jusqu'à -40 °C lors du tournage de Two Lovers and a Bear.