Meilleure actrice à Cannes en 2015 pour Mon roi, Emmanuelle Bercot a vu son film La tête haute recevoir deux César quelques mois plus tard. Selon elle, les femmes ont le beau jeu dans le cinéma français en ce moment.

« Il y a plein de femmes qui émergent en France. On ne peut pas dire qu'on souffre », dit la réalisatrice en entrevue téléphonique. 

Dans La tête haute, la souffrance est celle des jeunes délinquants qui vivent en centre jeunesse et qui font face à la justice. Le long métrage suit les déboires de l'un d'entre eux, Malony, mais l'esthétique n'est pas du tout documentaire. 

« L'histoire est complètement inventée. Pour le personnage de Malony, je ne l'ai pas basé sur quelqu'un en particulier. J'ai essayé d'inventer un parcours le plus universel possible sans trop stigmatiser la figure du jeune homme. Qu'il ne soit pas issu de l'immigration, qu'il ne soit pas dealer de drogues, qu'il ne soit pas en bande. J'ai évité les clichés. »

En fait, Emmanuelle Bercot est partie de sa propre expérience avec la délinquance. 

« Le film est lié à un souvenir d'enfance. J'ai un oncle éducateur et, quand j'avais 8 ans, j'ai passé une journée avec lui dans un camp de délinquants. Ç'a été un choc », explique Emmanuelle Bercot.

« J'ai découvert des enfants qui avaient beaucoup moins de chance que moi et j'ai vu les éducateurs autour d'eux, poursuit-elle. Je n'ai jamais oublié cette journée. Le film couve depuis longtemps dans mon inconscient. »

SUR LE TERRAIN

Plus récemment, elle a passé plusieurs mois en recherche et sur le terrain afin d'écrire son scénario. 

« C'est un monde qu'on ne connaît pas puisque tout se déroule à huis clos. J'ai eu la chance d'assister à des séances. Le film permet de découvrir comment cela se passe. Je ne sais pas comment c'est au Québec, mais en France on a la chance d'avoir un fonctionnement de la justice des mineurs assez exceptionnel par rapport à plein d'autres pays. Il y a une attention énorme à l'éducation par rapport à la délinquance. »

En plus de décrire un parcours dur et touchant, le film rend hommage aux éducateurs et aux juges qui, malgré tout, gardent confiance envers ces jeunes désoeuvrés. 

« Ce sont vraiment des héros. On ne peut pas faire ce travail si on n'est pas totalement engagé, si on n'est pas investi d'une mission d'aide aux autres. Ni vous ni moi ne tiendrions un quart d'heure dans ce milieu. C'est extrêmement ingrat et violent. Il n'y a malheureusement pas beaucoup de reconnaissance pour le métier qu'ils font. C'est un travail de fourmi qui nécessite beaucoup de temps pour obtenir des résultats. »

En France, la cinéaste estime que les ressources financières et humaines actuelles restent insuffisantes. 

« Il y a un manque de moyens et d'effectifs énorme. Il y a trop de dossiers. Ils font leur maximum, mais c'est sûr qu'il y a des dysfonctionnements. N'empêche que la qualité de travail sur le terrain est réelle. Il y a plein de gamins qui s'en sortent. »

Malony, dans le film, va de mal en pis. Ce n'est qu'à la fin qu'il a la tête haute.

« Il faut dire qu'il n'est pas tellement aidé par sa mère. Le travail éducatif commence avec les parents. Si les parents ne changent pas, le jeune pourra difficilement s'en sortir. Dans la plupart des cas, ils n'ont pas de cadre. »

Dans un tel film à hauteur d'humains, l'interprétation est primordiale. Le nouveau venu Rod Paradot est remarquable. Il a d'ailleurs été honoré par les César, tout comme Benoît Magimel qui joue un éducateur dans le film. Catherine Deneuve et Sara Forestier y sont aussi excellentes.

Par ailleurs, certains acteurs provenaient du milieu de la délinquance. 

« On a fait du casting sauvage dans la rue. On en a trois dans le film qui ont eu affaire à la justice des mineurs, dont un qui a même fait un an de prison. Ils ont fait beaucoup pour la vérité des scènes. »

IMAGE FOURNIE PAR LES FILMS DU KIOSQUE

Catherine Deneuve dans La tête haute

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Rod Paradot et Benoît Magimel ont tous deux reçu un César pour leur rôle dans La tête haute