Rares sont les acteurs américains qui passent par Montréal uniquement pour faire la promotion d'un film à petit budget dans lequel ils jouent. C'est pourtant ce qu'a fait Ethan Hawke, hier, lui qui prête ses traits au trompettiste et chanteur de jazz Chet Baker dans le film Born to Be Blue du jeune réalisateur canadien Robert Budreau.

«Je suis fier de ce film et je sais qu'il n'aura pas droit à une grosse campagne publicitaire», nous dit Hawke qu'on a découvert dans Dead Poets Society et qui, l'an dernier, s'est fait remarquer dans le brillant Boyhood, l'un des nombreux films qu'il a tournés avec le réalisateur Richard Linklater.

Les premières critiques de Born to Be Blue parlent de l'un des grands rôles dans la carrière de Hawke. Il était écrit qu'un jour il incarnerait Chet Baker, le personnage au destin tragique qu'il a découvert avant de triper sur sa musique grâce au documentaire Let's Get Lost de Bruce Weber, sorti en 1988.

Il y a une dizaine d'années, Hawke et Linklater planchaient même sur un projet de film sur Baker. Un genre de «24 heures dans la vie de Chet Baker» qui, nous dit Hawke, se serait moins intéressé au musicien lui-même qu'aux États-Unis de 1955. C'était l'époque où Baker était une véritable idole des jeunes... qui jouait du jazz. Sa dépendance à l'héroïne allait faire basculer sa vie et sa carrière et provoquer un exil en Europe où il passerait du temps à visiter les prisons de quelques pays.

Budreau savait que Hawke avait voulu faire un film sur Chet Baker avec Richard Linklater.

«[Ethan] était encore très intéressé et puis c'est un film sur Chet Baker dans la quarantaine, l'âge qu'[il] a maintenant. Dès les cinq premières minutes de notre première rencontre, il débordait de passion et de connaissances. J'avais trouvé un partenaire pour ce genre d'odyssée.»

Ce n'est pas d'hier que Budreau est fasciné par le personnage de Chet Baker. Il a même signé en 2009 le court métrage intitulé The Deaths of Chet Baker sur la mort mystérieuse du musicien, tombé de la fenêtre de sa chambre d'hôtel à Amsterdam le 13 mai 1988.

«Chet Baker me fascine parce que c'est un personnage plein de contradictions: un garcon qui a grandi dans une ferme en Oklahoma, qui est devenu le James Dean du jazz en Californie, qui chantait de belles chansons d'amour, mais qui avait des problèmes dans sa vie personnelle. J'aime le personnage, mais aussi sa musique qui vous attire dans le mystère du personnage.»

Une biographie non traditionnelle

Born to Be Blue commence en 1966 quand Baker revient aux États-Unis pour reprendre sa carrière en main. Un producteur de cinéma vient de lui proposer de jouer son propre rôle dans un film sur sa vie qui, finalement, ne se fera pas. L'instant d'après, Baker subit une raclée aux mains d'un revendeur de drogue qui lui casse les dents et il doit réapprendre à jouer de la trompette, non sans douleur.

Ces incidents, Baker les a vécus, mais Born to Be Blue n'est pas une biographie filmée traditionnelle. Plutôt que de s'en tenir aux faits, Budreau réimagine l'histoire de Chet Baker pour en tirer une vérité qui soit le plus proche possible de l'esprit du musicien et de son époque. Il ira même jusqu'à créer Jane, l'amoureuse de Baker et le principal personnage féminin du film, à partir de femmes qui ont fait partie de la vie du musicien.

«Je me suis rendu compte rapidement que le film qu'il [Budreau] avait en tête était le même que je voulais faire. C'est tellement facile de tomber dans les clichés du jazz: le gars qui fume, l'être blessé et sexy.»

Hawke devait à la fois incarner l'artiste inspiré et l'homme au charme irrésistible, dont la voix douce pouvait cacher les blessures. S'il n'était pas question de gommer la dépendance de Baker à l'héroïne, Hawke se réjouit toutefois que ce ne soit pas devenu le sujet principal du film.

«La drogue est comme un band-aid superficiel sous lequel se cache toujours un autre problème, explique-t-il. Si tu laisses la drogue prendre toute la place dans ton film, tous les junkies finissent par se ressembler et c'est la même histoire qui se répète. Mais en s'attardant à une période de sa vie où Chet était relativement sobre, j'ai pu explorer la vraie personne.»

Hawke a pris des cours de chant avant d'incarner Chet Baker, chanteur atypique s'il en fut un.

«Chet ne mentait pas quand il chantait, explique l'acteur. Il y avait quelque chose de très honnête en lui. Si j'avais à jouer Billie Holiday ou Ella Fitzgerald ou une autre grande voix du jazz, ce serait très difficile. J'aimerais mieux mimer. Mais avec Chet, ce qui est émouvant, ce n'est pas sa voix, c'est le transfert d'énergie que tu ressens quand il chante. Une de mes chansons préférées est Everything Happens to Me. C'est tellement simple, il n'a pas besoin de rien ajouter, mais on entend tout ce qui se passe en dedans.»

En tournant Born to Be Blue, Ethan Hawke s'est remémoré le devoir qu'avait imposé le réalisateur Peter Weir aux jeunes comédiens de Dead Poets Society.

«Il nous a tous fait rédiger une biographie de notre personnage sur cinq pages. Quelle était sa date de naissance? Sa crème glacée préférée? Avait-il déjà embrassé une fille? Avait-il des frères et des soeurs? Pour que ce soit assez long, il fallait vraiment imaginer le personnage. Or, parce que Chet était une vraie personne, je pouvais savoir quelle sorte de voiture il conduisait, je pouvais même regarder une interview qu'il avait donnée en Suède en 1984 alors qu'il était stoned.

«Parfois, ce trop-plein d'information te pousse à faire une plate imitation. Heureusement, Chet Baker n'était pas si célèbre. Je n'envie pas Will Smith qui a incarné Muhammad Ali, parce que tout le monde connaît Muhammad Ali.»

_____________________________________________________________________________

Born to Be Blue prendra l'affiche le 11 mars.

PHOTO FOURNIE PAR LES FILMS SÉVILLE

Ethan Hawke a pris des cours de chant avant d'incarner Chet Baker dans le film Born to Be Blue.