Pour canaliser son indignation face au retour de valeurs plus conservatrices, la cinéaste Catherine Corsini a préféré retourner à une époque où le militantisme était porteur d'espoir.

De notre côté de rivage, on imagine mal à quel point le débat sur le «mariage pour tous», survenu il y a trois ans à peine, a chauffé les esprits en France. C'est particulièrement le cas chez les créateurs. Qui aurait pu croire, à notre époque, que des milliers de personnes étaient prêtes à descendre dans les rues pour scander haut et fort un discours homophobe et anti-progressiste?

Le sang de Catherine Corsini n'a fait qu'un tour. La réalisatrice, connue notamment grâce à des films comme La nouvelle Ève, La répétition et Partir, ne pouvait rester impassible face à un discours aussi révoltant à ses yeux.

«Cette violence inouïe m'était tout à fait incompréhensible, confie-t-elle au cours d'une interview accordée à La Presse. J'ai d'abord pensé écrire un scénario qui évoquerait cette tension de façon directe. J'ai finalement préféré mettre de l'avant une vision un peu plus apaisée en me raccrochant aux années 70. Je voulais montrer à quel point toutes les luttes menées pour les droits des femmes et des homosexuels comptent encore beaucoup dans la vie des gens d'aujourd'hui. Ces combats ont été extrêmement importants, car ils ont permis une société plus juste et plus libre. Mais il reste encore bien du chemin à faire.»

Un film solaire

Mettant en vedette Cécile de France et Izïa Higelin, La belle saison est un long métrage volontairement solaire, au centre duquel figure une relation d'amour lesbienne entre une jeune provinciale et une Parisienne un peu plus mûre. Le récit est situé en 1971, à l'époque de toutes les émancipations, de tous les possibles.

«Le militantisme du film est plus en creux, souligne la réalisatrice. Il est sans arrogance. J'ai voulu militer pour de belles idées, militer pour la beauté aussi. Et mettre en valeur des corps qui ressemblent à ceux qu'ont la plupart des gens, comme pour faire ressortir la grande beauté qui réside en chacun de nous. Sur le plan pictural, je me suis inspirée des tableaux de Manet pour évoquer la sensualité et la force de l'amour. Qui peut aussi être un sentiment révolutionnaire.»

Écrit spécifiquement pour Cécile de France, qui est en lice pour le César de la meilleure actrice, La belle saison devait au départ mettre aussi en vedette Adèle Haenel (Les combattants). Cette dernière, qui avait du mal avec le rôle, s'est toutefois désistée. La partie n'a guère été plus facile pour Izïa Higelin (Samba). La nature en apparence très frondeuse de l'actrice cache en effet une fragilité qui, parfois, a pu compliquer la tâche d'une réalisatrice déjà reconnue pour sa fermeté sur les plateaux.

«Il m'intéressait de travailler avec Izïa, car je trouvais très beau le contraste entre Cécile et elle, explique Catherine Corsini. Mais le tournage a été douloureux, c'est vrai. Izïa étant une jeune femme très pudique, elle avait beaucoup de mal avec les scènes d'amour. La nudité la dérangeait davantage que l'homosexualité du personnage, en fait. Cécile, qui fut partante pour tout dès les premières étapes du projet, a été une partenaire formidable. Autant pour Izïa que pour moi. Elle a tout fait pour la rassurer et la mettre à l'aise.»

Un appel à la vigilance

Au moment de sa sortie en France, La belle saison a généralement été très soutenu par la critique française, probablement davantage que les films précédents de la réalisatrice. Cette dernière aurait toutefois aimé, grâce à son oeuvre, susciter davantage de discussions sur le plan social, notamment à propos de la situation des femmes et de la cause féministe.

«La presse traditionnelle, menée de façon générale par des hommes, n'a pas fait beaucoup écho à cet aspect-là, reconnaît-elle. J'ai comme l'impression que ce film n'est peut-être pas allé aussi loin que je l'aurais souhaité sur ce plan. Beaucoup de milieux associatifs s'y sont intéressés, mais j'ai quand même eu le sentiment d'avoir prêché pour les convertis.»

Aux yeux de la réalisatrice, il est important d'évoquer l'esprit d'une époque où militantisme et solidarité empruntaient la forme d'actes concrets, plutôt, dit-elle, qu'une simple signature de pétition sur l'internet.

«S'engager pour des idées généreuses, c'est quand même plus fort aujourd'hui que de s'engager pour des idées nihilistes terribles, qui en appellent à la fin du monde. Partout, encore, les femmes sont les premières victimes de toutes les horreurs. La révolution des femmes est extrêmement importante. Le jour où elles seront vraiment à égalité, tout le reste viendra.»

Catherine Corsini en appelle ainsi à la vigilance. L'individualisme qui caractérise la société actuelle a selon elle tendance à faire fi des acquis difficilement obtenus au fil de combats durement menés.

«Tout nous angoisse actuellement, dit-elle. L'écologie, l'économie, les frontières, les identités, le terrorisme, etc. Cela provoque un repli sur soi qui prête flanc à bien des dangers. C'est pourtant l'utopie qui nous permet de croire en des choses et de changer le monde. On ne peut pas être que cynique en politique. Sinon, on meurt.»

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La belle saison est actuellement à l'affiche. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.