On peut la voir dès maintenant dans le film de François Ozon Une nouvelle amie et on la verra de nouveau la semaine prochaine dans Caprice, une comédie sentimentale d'Emmanuel Mouret. Depuis deux ans, les plus grands cinéastes français se l'arrachent. Portrait.

Caprice, c'est elle. Dans le nouveau film d'Emmanuel Mouret, qui renoue avec la comédie sentimentale après avoir fait un détour du côté du mélodrame (Une autre vie), Anaïs Demoustier porte le prénom d'une héroïne exaspérante à qui on s'attache néanmoins. Jeune comédienne ambitieuse qui ne sait comment s'y prendre pour y arriver, Caprice tombe amoureuse d'un spectateur qu'elle voit souvent au théâtre (Emmanuel Mouret). Et ne le laissera plus d'une semelle, même si ce dernier vit désormais en couple avec une actrice célèbre (Virginia Efira).

Anaïs Demoustier aurait sans doute pu s'identifier avec le personnage qu'elle a eu à interpréter, du moins dans l'aspect « jeune-actrice-qui-bûche-pour-enfin-réaliser-son-rêve », mais dans les faits, il n'en est rien. La nouvelle égérie du cinéma français n'a pratiquement jamais été dans la position de la jeune comédienne débutante qui parvient enfin à se faire valoir après des années d'efforts.

« J'ai eu la chance de trouver ma vocation très jeune, explique-t-elle au cours d'un entretien accordé à La Presse. Enfant, je suivais déjà des cours de théâtre à Lille. J'avais à peine 10 ans quand un directeur de casting m'a repérée à l'école pour un petit rôle dans Le monde de Marty, un film que personne n'a vu, même si la vedette était Michel Serrault ! »

UN GRAND DÉPART

La vie d'Anaïs Demoustier devait toutefois basculer trois ans plus tard. L'actrice, alors préadolescente, fut en effet convoquée à faire des essais pour Michael Haneke. Dans Le temps du loup, elle incarnait la fille d'Isabelle Huppert, une actrice pour qui elle voue une très grande admiration, voire une fascination.

« Haneke me faisait tellement peur qu'au début, j'ai presque fait exprès pour saboter l'audition ! se rappelle-t-elle. Jusqu'à ce que la directrice du casting, qui m'avait chaudement recommandée, vienne me secouer un peu. J'ai du coup eu une montée d'orgueil. J'y suis retournée et là, j'ai envoyé la purée comme on dit. Je suis alors partie pour l'Autriche, où j'ai séjourné deux mois et demi. Ce tournage a carrément changé ma vie. Je n'ai plus eu aucun doute sur ma vocation par la suite. »

Depuis, l'actrice n'a jamais cessé de tourner. Son apparence juvénile fait en sorte qu'on lui a confié pendant longtemps des rôles d'adolescente. Son emploi a toutefois changé au cours des dernières années. Des cinéastes de renom font désormais appel à elle. Elle est en outre la covedette du nouveau film de Valérie Donzelli, Marguerite et Julien, récemment présenté en compétition officielle au Festival de Cannes.

Au Québec, on peut la voir coup sur coup dans Une nouvelle amie (le film de François Ozon, présentement à l'affiche) et dans Caprice. Le film de Jérôme Bonnell À trois, on y va, construit autour d'un triangle amoureux, sortira chez nous dans quelques semaines.

« Il est vrai que j'ai beaucoup travaillé ces derniers temps, mais ça ne me semble pas exceptionnel, dit-elle. Comme ces films sont réalisés par des cinéastes plus reconnus, ils sont plus exposés peut-être. Le film de François Ozon a été assez marquant en tous les cas. Bird People, de Pascale Ferran, aussi. Ce sont des rôles de femme. Des rôles d'adulte. »

LE DÉFI DE CAPRICE

Elle fut ravie qu'Emmanuel Mouret fasse appel à elle pour un personnage un peu plus fantaisiste.

« Emmanuel élabore ses scénarios comme des partitions musicales. Il n'écrit pratiquement jamais pour des acteurs spécifiques. Après, il fait des essais pour voir quel comédien dispose du meilleur instrument pour jouer la partition qu'il a écrite », dit Anaïs Demoustier.

« En lisant son scénario, poursuit-elle, on voit tout de suite cette qualité d'écriture, cette manière qu'il a de faire beaucoup parler ses personnages. Ils théorisent souvent sur leurs sentiments, sur leurs tourments amoureux, sur leurs émotions. Ils s'expriment beaucoup autour de ça et du coup, ça crée de longs dialogues. Habituellement, les scénarios en France sont plus naturalistes, plus "passe-moi le sel". Avec Emmanuel, on est toujours un peu décalé sur la réalité. C'est passionnant. Et surtout, il y a son humour, sa fantaisie. Et sa musique. Emmanuel a vraiment sa musique à lui. »

Le personnage qu'elle incarne dans Caprice comportait toutefois un défi de taille : il est parfois insupportable. Comment rendre attachante une jeune femme aussi insistante, prête à tout pour provoquer le destin envers l'homme sur qui elle a jeté son dévolu ?

« Je la trouvais exaspérante au départ, mais on m'a expliqué qu'elle devait aussi être très touchante, indique l'actrice. C'était l'un des défis liés à ce rôle, car Caprice est vraiment envahissante, vraiment "trop" par moments. En même temps, j'étais contente, car je n'avais jamais eu l'occasion encore de jouer un personnage excessif. Du coup, c'est amusant. Je trouve très drôle qu'Emmanuel, qui a l'air un peu lunaire, l'air de ne pas y toucher, se retrouve tout d'un coup pris d'assaut par ces deux femmes. C'est hyper drôle.

« En fait, ajoute-t-elle, je savais que la meilleure façon de sauver Caprice était de la jouer comme une vraie amoureuse. Ça rachète tout. Il n'y a pas de manipulation. Elle est vraiment éprise de ce garçon. Et elle croit en la destinée de ce couple. »

Après le tournage des Malheurs de Sophie, une adaptation contemporaine du célèbre roman de la comtesse de Ségur par Christophe Honoré (Les chansons d'amour), Anaïs Demoustier retrouvera cet automne Romain Duris, son partenaire d'Une nouvelle amie. Les deux acteurs monteront sur la scène du Théâtre du Rond-Point à Paris pour jouer Démons, une pièce de Lars Norén, mise en scène par Marcial Di Fonzo Bo.

Caprice prend l'affiche le 12 juin.

Les frais de voyage ont été payés par K Films Amérique.

PHOTO FOURNIE PAR MÉTROPOLE FILMS

Dans Une nouvelle amie, Anaïs Demoustier joue une femme dépressive qui retrouve le goût de vivre lorsqu'elle découvre le secret du mari de sa défunte meilleure amie. 

Le retour à soi d'Emmanuel Mouret

Aux yeux des admirateurs de son cinéma, Caprice marque le retour d'Emmanuel Mouret au style qui lui a valu sa notoriété. Après un détour - plus ou moins réussi - du côté du mélodrame (Une autre vie), le réalisateur de L'art d'aimer propose cette fois une comédie sentimentale pur jus, dans laquelle son personnage - lunaire et maladroit - se retrouve convoité par deux femmes (interprétées par Virginie Efira et Anaïs Demoustier).

Aux yeux du cinéaste, dont on dit souvent qu'il est le Woody Allen français, la question de la tonalité ne se pose pourtant jamais. Il ne se sent pas « prisonnier » d'un seul style non plus.

« La preuve : j'ai fait un film très différent avant Caprice, expliquait-il récemment lors d'une interview accordée à La Presse. Je suis d'ailleurs très heureux d'avoir fait ce mélo. Il y a eu, il est vrai, beaucoup de réserves à l'égard d'Une autre vie. Mais quand on arrive avec une proposition totalement différente, il est un peu normal que des gens soient un peu déstabilisés. Lorsque je tournerai un autre film de tonalité plus dramatique, ça surprendra déjà moins. Cela dit, la préoccupation du style ne conditionne en rien mon écriture. J'ai toujours suivi mes rêveries ! »

POUSSER LE FANTASME

Cette fois, ces rêveries ont mené le cinéaste sur les traces de son adolescence, à une époque où le cinéma constituait pour lui un refuge sentimental.

« Quand on est trop timide, on se rêve une vie avec les actrices, dit-il. Ce réflexe est assez commun. Ensuite, j'ai poussé le fantasme plus loin en faisant vivre à mon personnage une relation sentimentale avec une actrice populaire. Mais alors qu'il vit son fantasme absolu, cet homme ne sait pas dire non à une autre jeune femme par crainte de la blesser. Je n'ai jamais été l'objet d'une obsession féminine, cela dit. Mais j'en ai rêvé ! Ce qui m'amuse, c'est que ce personnage est vraiment trop gâté ! »

Emmanuel Mouret, qui interprète lui-même le personnage principal, s'est aussi servi de ce point de départ pour insérer des gags de nature plus physique. Comme un clin d'oeil lancé à un cinéma d'une autre époque. Qu'il adore.

« En fait, j'avais envie d'un film assez sucré, fait-il remarquer. Cet homme est parfaitement maladroit, mais il est attachant. Sa maladresse comporte un côté séduisant pour les femmes qui s'intéressent à lui. C'est un peu ce qu'on retrouve dans les comédies de Billy Wilder ou de Blake Edwards. Je suis toujours très admiratif des films qui peuvent passer des gags aux sentiments. »

LES VERTUS DU ROMANTISME

De sentiments, on en parle beaucoup dans le cinéma d'Emmanuel Mouret. De façon très élégante, de surcroît. Visiblement, le cinéaste croit encore aux vertus du romantisme. Si cette valeur semble parfois être effacée de la culture populaire, Mouret estime qu'elle occupe quand même encore une place enviable dans le coeur des gens.

« Je ne crois pas que ces valeurs aient disparu, souligne-t-il. Elles n'apparaissent toutefois plus dans les images qu'on en projette au cinéma et à la télévision. Tout ce qui relève de la douceur, de la tendresse et de la gentillesse a un côté moins percutant, on dirait. Il faut tout de suite aller sur l'image-choc. Or, les gens ont besoin de douceur aussi. La gentillesse, ça aide à vivre. Au cinéma, il y a maintenant des postures qui font que si je te désire, je te saute dessus ; que si je ne suis pas content, je hurle ; et ainsi de suite. Mais ce n'est pas nécessairement ce qu'on retrouve dans nos vies. Moi, je ne me reconnais pas là-dedans en tout cas. J'estime qu'il y a davantage de drame et de beauté dans la retenue. »

Libre et atypique, Emmanuel Mouret prépare déjà son prochain film : L'amour à deux quand on est plusieurs.

« Il s'agira - encore une fois - d'un film sur le désir et le couple, explique-t-il. Les thèmes fondamentaux restent les mêmes. C'est la forme qui change. Et là, j'ai envie d'un film hyper narratif. »

photo fournie par  K Films Amérique

Un homme (Emmanuel Mouret) réalise son rêve lorsqu'il devient le conjoint d'une actrice célèbre (Virginie Efira) qu'il admire.