Tom Egan vit à Las Vegas. Il part travailler tous les matins. Quelque part dans le désert des Mojaves. Une pièce minuscule. Sans fenêtre. Là, il s'assoit devant un clavier et un écran. Et il lâche des bombes sur le Waziristan. Ou le Yémen.

Tom Egan est major dans l'armée américaine. Il a été pilote de F-16. Il est toujours pilote. Mais aujourd'hui, il est aux commandes des drones.

Bienvenue dans la guerre telle qu'elle est pratiquée aujourd'hui. Telle qu'elle est racontée dans Good Kill par le réalisateur Andrew Niccol qui retrouve ici Ethan Hawke, sa star de Gattaca et de Lord of War.

«Le film est né au fil de mes lectures. Je lisais sur les drones, sur leurs origines, et j'ai découvert ce nouveau type de soldats, ces soldats qui combattent les talibans pendant 12 heures avant de rentrer chez eux, d'aller chercher les enfants à l'école, de retrouver leur épouse. Et ils remettent ça le lendemain», racontait le réalisateur que La Presse a rencontré durant le dernier Festival international du film de Toronto.

Intrigué, Andrew Niccol a approfondi ses recherches. Il en est sorti déstabilisé. «Fut un temps où les soldats partaient au front, combattaient, puis, au bout de quelques mois, rentraient au pays. Il y avait une zone tampon entre ces deux réalités. Ici, c'est la guerre, là, la maison, puis le front encore... Sans transition. Ça doit finir par faire quelque chose dans la tête. C'est une situation schizophrénique.»

Surtout pour ceux qui ont, justement, connu le temps d'avant. C'est le cas du personnage incarné par Ethan Hawke. Qui boit trop. Est sujet à des accès de colère. La tension est extrême entre lui et son épouse, Molly (January Jones). Il souffre visiblement de stress post-traumatique.

Un état, rappelle Andrew Niccol, «déjà difficile à admettre par ceux qui ont été au coeur de l'action. Beaucoup sont honteux, le nient, ce n'est pas comme une blessure physique. Alors, imaginez ce que c'est pour ceux qui en souffrent et ne sont même pas allés au front» !

Jouer à la guerre

Or parmi les pilotes de drones, certains, parmi les plus jeunes, n'ont même jamais mis les pieds dans les pays qu'ils bombardent. Le réalisateur a parlé à plusieurs d'entre eux. Il a été estomaqué par ce qu'il a appris. L'armée engage carrément des gamers, «extrêmement habiles devant la console et avec la manette de contrôle, d'ailleurs assez semblable à celles des Xbox et des PlayStation».

Comment, pour ces jeunes gens qui n'ont pas connu la réalité de la guerre, faire la distinction entre le virtuel et le réel? Entre tuer des monstres de pixels et tuer des gens en chair et en os? Zoë Kravitz incarne cette catégorie de soldats: «Pour moi, son personnage est le véritable coeur du film. Elle est si jeune et idéaliste, elle n'a aucun filtre.»

Les recherches terminées, les clés en main, Andrew Niccol a écrit le scénario de Good Kill. Ces deux mots, traduits par «dans le mille» dans la version française, sont ceux que prononcent les soldats chaque fois que la cible a été atteinte. Là-bas, dans des déserts situés à 15 000 km de celui des Mojaves, où se trouve leur base.

Pas un hasard si Andrew Niccol y a installé le major Tom Egan. «Je trouvais le contraste obscène entre le glamour de Las Vegas et la pauvreté des endroits bombardés.»

Ces «endroits», le réalisateur les a trouvés au Maroc. C'est là que s'est faite une partie assez particulière du tournage. Quand il est parti en repérage, il ne pouvait savoir si un lieu était le bon avant de l'avoir observé en hauteur: c'est ainsi qu'il le filmerait plus tard, à partir d'une immense grue ou à bord d'un hélicoptère.

«Car ces images sont censées être celles que les drones transmettent à la base», explique Andrew Niccol dont le film, aussi présenté en compétition à la Mostra de Venise, a été apprécié par les uns, moins par les autres. Ce qui, pour lui, signifie mission accomplie: «J'aime l'ambiguïté, les zones de gris», conclut-il. La guerre est un bon territoire pour cela.

Good Kill (Drones) prend l'affiche le 15 mai.

Andrew Niccol sur ses acteurs

Ethan Hawke: «J'ai attendu qu'il soit libre pour tourner le film. Il est parfait, en âge et en intensité, pour devenir le major Tom Egan, ce militaire qui a été traîné hors de son cockpit avant d'être, littéralement, enfermé dans une boîte.»

January Jones: «Elle peut sembler à la fois forte et vulnérable. Elle peut incarner quelqu'un de blessé. Et puis, on peut facilement croire qu'elle est une ancienne showgirl. Elle avait tout pour le rôle de Molly Egan.»

Zoë Kravitz: «Ouvrez un dictionnaire et cherchez le mot «fougueux». Vous trouverez le nom de Zoë Kravitz en guise de définition. Son nom et sa photo. Elle était mon premier choix pour incarner l'aviateur Vera Suarez.»