Alex Garland, qui a fait son entrée sous les projecteurs au milieu des années 90, à 26 ans, avec la publication de The Beach (par la suite porté à l'écran par Danny Boyle, qui y a dirigé Leonardo DiCaprio), s'intéresse « depuis très longtemps à l'intelligence artificielle et à la conscience humaine ». « Je lis beaucoup sur ces sujets. Et j'essaie de comprendre », a-t-il indiqué en entrevue téléphonique.

Deux sujets intimement liés qui sont au coeur d'Ex Machina, le thriller de science-fiction qu'il a écrit et qu'il réalise. Une première pour lui que le rôle de réalisateur. Mais ses scénarios précédents résonnent de ces thèmes : dans 28 Days Later, les humains perdaient leur... humanité en se transformant en zombies ; dans Never Let Me Go, des clones s'avéraient plus humains que les modèles « originaux » ; Dredd mettait en scène des représentants des forces de l'ordre, hommes et femmes, mais apparaissant et agissant comme des robots.

Ex Machina pousse plus loin encore la réflexion, les échanges entre les personnages ayant même une teneur philosophique, au fil d'une puissante tension psychologique.

On y suit un jeune codeur informatique, Caleb (Domhnall Gleeson), qui travaille pour Blue Book. Le fondateur et propriétaire de l'entreprise, Nathan (Oscar Isaac), un milliardaire excentrique vivant en reclus dans une propriété éloignée de tout, le sélectionne pour s'installer chez lui et subir un test du Turing.

Du nom du père de l'informatique, Alan Turing, ce test consiste à opposer, verbalement et à l'aveugle, un sujet humain avec un autre humain et un ordinateur. Si le sujet n'est pas capable de dire lequel de ses interlocuteurs est un être de chair et d'os et lequel est une intelligence artificielle, cette dernière a passé le test - prouvant ainsi qu'elle peut « penser » et non seulement calculer.

Mais la version « nathanienne » de l'expérience est bien plus sophistiquée. Et tordue.

Quand il arrive à destination, Caleb est mis en présence d'Ava (Alicia Vikander), un robot à la fois extrêmement sophistiqué et... féminin. À un point tel que le jeune homme, malgré l'essence évidente de l'androïde, en viendra à s'interroger sur sa véritable nature. Et à questionner la sienne, à lui. Ou celle de Nathan.

Le spectateur sera, lui aussi, pris dans les filets de ce trio-triangle captivant. Qui, contrairement au film de science-fiction plus classique, ne pose pas la machine comme une menace. Parce qu'Alex Garland ne voit pas les choses ainsi.

MACHINE ? FEMME ?

« Je suis fasciné par l'intelligence artificielle, en particulier par la manière dont elle peut interagir avec la conscience humaine parce que l'esprit est ce que l'on apprécie d'abord les uns des autres, explique-t-il. C'est ce avec quoi on interagit, et ce que l'on respecte des autres. Je sens pourtant beaucoup d'inquiétude autour de l'intelligence artificielle et je voulais en parler, parce que je pense que ce n'est pas justifié. »

Ava, dans Ex Machina, n'est donc pas l'ennemie. Mais qu'est-elle au juste ? Un être ensorcelant, machine et femme, silhouette où le maillage gris et la chair artificielle laissent apparaître ici et là des circuits. Mais encore...

« Il était important qu'elle apparaisse immédiatement comme humaine ET robot. Qu'elle soit, au départ, une chose ET l'autre. Il est impossible qu'elle ne soit pas une machine. Il est impossible qu'elle soit une jeune femme dans un costume de robot. Mais à la seconde où l'on décide qu'elle est une machine, on commence à douter de cette idée », raconte Alex Garland.

Cela se fait grâce au design, à la fois simple et élégant, du personnage. Et grâce au jeu d'Alicia Vikander. La Suédoise « est non seulement une formidable actrice, mais ayant pratiqué le ballet pendant des années, elle possède aussi un contrôle extrême de son corps ». Un mouvement vif d'un bras, une inclinaison imperceptible du cou, et le « robot » se manifeste. Avant de disparaître dans la femme.

Ce n'est d'ailleurs pas par hasard si Alex Garland a opté pour un androïde d'apparence sexuée. Il y avait là une autre nappe de questions dans laquelle il voulait forer : « Où réside le genre ? Dans le corps, dans le fait, pour une femme, d'avoir des seins et une certaine silhouette ? Ou est-ce plutôt dans l'esprit ? Si c'est le cas, existe-t-il une conscience mâle et une conscience femelle ? Et si une telle distinction existe, quelle est la différence entre les deux ? » Et ainsi de suite.

Alex Garland aime ce type de questions. Les réflexions qu'elles suscitent. L'exploration qu'elles permettent. C'est pour cela que le genre science-fiction l'appelle autant. « Ça donne la "permission" de creuser ces grandes idées sans tourner autour, sans les passer "en contrebande", sans s'excuser, sans avoir l'air prétentieux et tout en étant divertissant. Il y a les films d'action qui se déroulent dans l'espace, il y a les space operas, il y a ces histoires plus ancrées dans la science que dans la fiction, mais de façon générale, la science-fiction est un genre fait pour les idées. »

Il en a vu dans la série Battlestar Galactica, il en a vu dans Star Trek, etc. Et il en a mis dans ses oeuvres. Ex Machina en est un grand exemple.  

Ex Machina prend l'affiche le 8 mai en version originale anglaise et le 15 mai en version doublée en français.