Dans cette «comédie humaine», le plus célèbre - et controversé - écrivain français met sa propre personnalité au service d'une histoire qui tente d'aller au-delà de l'image.

Précisons d'entrée de jeu une chose. Le plus récent film de Guillaume Nicloux n'est pas du tout lié à la récente tempête médiatique qui a précédé - et suivi - la publication de Soumission, le nouveau roman de Michel Houellebecq.

L'enlèvement de Michel Houellebecq, sorte d'essai fantaisiste dans lequel l'auteur fait preuve d'autodérision, a été lancé il y a maintenant plus d'un an au Festival de Berlin. Les cinéphiles montréalais ont aussi eu l'occasion de jeter un coup d'oeil sur cette oeuvre au Festival du nouveau cinéma l'automne dernier.

Guillaume Nicloux (Une affaire privée, La religieuse), un cinéaste éclectique dont les films n'ont pas souvent atteint nos rives, s'est inspiré d'un épisode pendant lequel les médias se sont véritablement interrogés sur le sort de l'écrivain. En 2011, alors qu'il effectuait une tournée de promotion en marge de la sortie de son roman La carte et le territoire, Houellebecq a disparu pendant une semaine, sans donner de nouvelles. Alors, les rumeurs les plus folles ont circulé. On a même soupçonné un enlèvement organisé par Al-Qaïda...

Cet événement constitue le point de départ d'une histoire rocambolesque à travers laquelle l'écrivain, qui joue délicieusement avec les notions de vrai et de faux, se révèle face à des ravisseurs moins armés que lui sur le plan intellectuel.

«Ce n'est pas tant l'écrivain qui m'a stimulé, explique le cinéaste au cours d'un entretien accordé à La Presse, que la personnalité de l'homme. À vrai dire, c'est davantage Michel Thomas [le vrai nom de l'écrivain] que Michel Houellebecq qui m'intéresse dans ce cas-ci. Sous la forme d'un faux documentaire, ou d'une fiction qui sert de rampe de lancement pour aborder le documentaire, j'ai souhaité proposer au public une vision de Michel plus inattendue, plus ample, plus vaste que celle que les médias ont l'habitude de montrer. On regarde habituellement cet homme à travers un prisme assez réducteur, qui ne tient compte que de certaines saillies provocantes ou de certains comportements. J'ai eu envie, à travers un procédé fictionnel, de capter des instants de vérité.»

«Expérimentation filmique»

Dans ce qu'il qualifie «d'expérimentation filmique», le cinéaste orchestre ainsi l'enlèvement de l'écrivain par trois types, un peu imbécile heureux. Houellebecq se retrouve séquestré dans une maison de campagne tenue par les vieux parents de l'un des ravisseurs. En attendant le paiement d'une rançon (réclamée auprès de qui?), une relation s'installe entre les résidants de la maisonnée. Atteint d'un genre de syndrome de Stockholm, l'écrivain discute avec des hôtes peu portés sur la littérature. Et se livre avec drôlerie à une espèce de confession intime à travers laquelle il prend visiblement plaisir à jouer de son image.

«Michel avait déjà tenu un rôle dans L'affaire Gordji, un de mes films précédents, rappelle le cinéaste. J'ai eu envie d'explorer plus loin l'exercice avec lui et de le confronter à des personnages très loin de sa culture et de ses préoccupations habituelles. Il était d'accord. Il pouvait ainsi proposer quelque chose d'inattendu, dans la mesure où il pouvait se livrer sans jugement de valeur, sans préjugés, d'une façon très simple et très directe. Si ses préoccupations langagières nous ramènent parfois à la littérature et à la création, la façon dont tous ces interlocuteurs en parlent m'intéresse encore plus. J'ai écrit un scénario très fermé, dans lequel toutes les fenêtres restaient ouvertes!»

À l'aune de la récente controverse dans laquelle l'écrivain a été plongé, une lecture différente du film est-elle maintenant possible?

«Je suis incapable de répondre, dit Guillaume Nicloux. Mes films ne m'appartiennent plus à partir du moment où ils sont finis. Ils n'existent désormais que dans le regard de l'autre. Chacun peut y lire ce qu'il a envie de lire et le relier à une actualité si tel est son désir. Je suis comme un amant qu'on a abandonné et qui tente désespérément de trouver une autre maîtresse. Il se trouve que je l'ai trouvée puisque je suis présentement en montage de mon dernier film!»

Un tournant

Guillaume Nicloux estime en tout cas que L'enlèvement de Michel Houellebecq constitue un tournant dans sa démarche de cinéaste. 

«Ce tournage a généré énormément de bouleversements intimes. J'ai pu prendre conscience à quel point plus rien ne sera pareil dans ma carrière de cinéaste. C'est vertigineux, mais c'est intéressant!»

The Valley of Love, un film qu'il vient de tourner avec Isabelle Huppert et Gérard Depardieu, serait un peu le résultat de cette remise en question.

«Le travail d'introspection que j'ai fait avec Michel trouve peut-être son aboutissement avec ce dernier film, fait-il remarquer. Isabelle et Gérard jouent leur propre rôle. L'histoire de parents en deuil de leur fils. J'y aborde de façon plus frontale des thèmes que je n'osais pas affronter directement dans mes films précédents.»

L'enlèvement de Michel Houellebecq a été produit en France par la chaîne spécialisée Arte, mais bénéficie d'une sortie en salle partout ailleurs dans le monde. Le film a notamment obtenu le prix du meilleur scénario l'an dernier au Festival de Tribeca à New York.

«À mes yeux, la façon de fabriquer ce film allait autant compter que le résultat. Je suis très heureux de l'accueil étonnant qu'il a obtenu, car je le voyais davantage comme un objet plus fermé, moins accessible.»

L'enlèvement de Michel Houellebecq prend l'affichele 3 avril.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.

PHOTO JOHANNES EISELE, ARCHIVES AFP

Guillaume Nicloux