Pour une rare fois, Benoît Jacquot a fait d'un homme le protagoniste d'une histoire. Benoît Poelvoorde se retrouve au centre d'un triangle amoureux duquel, un peu comme jadis chez Truffaut, émane la douleur d'aimer.

Benoît Jacquot ne s'en cache pas: il aime les femmes. Il adore les filmer, n'a de cesse d'explorer leurs mystères, et fait très souvent d'elles les héroïnes de ses films. La désenchantée, La fille seule, Le septième ciel, Marianne, L'école de la chair, La fausse suivante, L'intouchable, Villa Amalia, Les adieux à la reine. Tous ces titres évoquent autant de facettes de l'éternel féminin. Il y a quelques jours à peine, le cinéaste lançait d'ailleurs à la Berlinale sa version du Journal d'une femme de chambre, un film dont la tête d'affiche est Léa Seydoux (au Québec le 24 avril).

3 coeurs s'inscrit différemment dans la filmographie du cinéaste. Ce drame sentimental emprunte en effet davantage le point de vue d'un personnage masculin.

«Depuis un bon moment, mes films étaient tous centrés sur un personnage féminin, explique Benoît Jacquot au cours d'un entretien accordé à La Presse. Cette fois, je souhaitais qu'un homme soit le personnage principal. J'en ressentais le besoin. Ne serait-ce que pour expérimenter quelque chose que je n'avais pas fait depuis longtemps. Pour constater aussi jusqu'à quel point, au fond, c'est du pareil au même!»

Un sentiment douloureux

Benoît Poelvoorde se glisse ainsi dans la peau de Marc. Un court voyage d'affaires le mène dans une petite ville de province, mais le destin fait des siennes quand il rate le train qui devait le ramener à Paris. Il rencontre alors Sylvie (Charlotte Gainsbourg). Entre eux, ça clique tout de suite. Ils marchent dans les rues, bavardent de tout et de rien toute la nuit, et se quittent au matin en se donnant rendez-vous à Paris quelques jours plus tard. Elle se présente; il a un empêchement.

Quelques années plus tard, Marc tombe amoureux de Sophie (Chiara Mastroianni) et, de façon plus résignée, fonde une famille avec elle. Or, le destin replace Sylvie dans sa vie. Le sentiment qu'il éprouve pour elle est toujours aussi fort, aussi vertigineux, aussi douloureux.

«Je connais Benoît depuis longtemps, fait remarquer le cinéaste. Nous avions envie de faire un film ensemble depuis plusieurs années. C'est un acteur formidable. L'un des deux ou trois que je préfère, pour tout dire. Dès que l'idée de l'histoire s'est construite, elle s'est nécessairement greffée à notre volonté commune de travailler l'un avec l'autre. J'ai écrit le scénario en pensant à lui. Cela change les choses forcément. Étant moi-même un homme, je connais en principe les ressorts essentiels du personnage. Quand le personnage principal est une femme, il reste toujours pour moi une petite part d'inconnu.

«Cela dit, il y a du mystère chez l'homme aussi. Ce tournage m'a confirmé que, dans les faits, un acteur est toujours une «actrice». Et Poelvoorde est encore plus «actrice» qu'une actrice. Tout ce qu'on attribue à une actrice en termes de lieux communs, de vertige identitaire, de quête de séduction, s'applique aussi à Benoît!»

Quand on lui demande comment ce constat se traduit dans la pratique, le cinéaste évoque la nature écorchée de l'acteur.

«Benoît est quelqu'un d'extrêmement fragile, dit-il. Encore plus que d'autres. Comme tous les êtres fragiles, il faut l'entourer d'une affection démesurée pour en tirer quelque chose. Dès que le fil affectif se détend, ça ne va plus. C'est comme un désir extravagant d'être regardé et aimé. Quand il se sent en confiance, bien apprécié, il peut tout donner.»

Même s'il affirme qu'«au fond, c'est du pareil au même», Benoît Jacquot ne filme quand même pas un protagoniste masculin de la même façon.

«Les procédures d'approche ne sont pas les mêmes, explique-t-il. Avec un personnage féminin, mon regard comporte nécessairement une forme d'érotisation. Un personnage masculin peut évidemment aussi être l'objet d'une perspective érotique, mais pas dans mon propre regard. Nous ne sommes pas dans le même type de séduction. Ni devant ni derrière la caméra. On ne séduit pas un acteur de la même façon qu'une actrice.»

Hommage à Truffaut?

Par son approche, le type de récit et la douleur sentimentale qui en émane, 3 coeurs fait forcément penser à quelques films de François Truffaut, plus particulièrement à La femme d'à côté. Ce parallèle n'a pourtant pas effleuré l'esprit du cinéaste au moment de la fabrication du film.

«Je ne revendique pas cette influence, mais je ne la refuse pas du tout non plus, indique Benoît Jacquot. Quand je réalise un long métrage, je ne pense pas à d'autres films. Jamais. C'en est même névrotique chez moi. Si j'ai conscience de quelque chose et que je me rends compte d'une influence trop flagrante, je change alors tout de suite mon fusil d'épaule.

«Mais aujourd'hui, l'histoire du cinéma est tellement riche qu'il devient de plus en plus difficile d'éviter les redites. Quand nous nous sommes attaqués au montage de 3 coeurs, j'ai bien vu des réminiscences de La femme d'à côté. Truffaut a une importance personnelle pour moi. Il m'a même beaucoup aidé à l'époque où je tournais mes premiers films. Il y a un lien incontestable. Il est en grande partie responsable de mon envie de faire du cinéma. Je devais avoir une douzaine d'années quand j'ai vu Les quatre cents coups. Ce fut assurément un élément déclencheur.»

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