André Téchiné retrouve Catherine Deneuve pour la septième fois. Il offre cette fois à son actrice fétiche un rôle d'autorité dans une affaire judiciaire qui préserve ses mystères depuis plus de 30 ans.

En 1981, André Téchiné a offert à Catherine Deneuve un rôle jusque-là inédit pour elle: celui d'une femme modeste, blessée intérieurement, qui vivra une passion déchirante avec un type pris d'un mal-être évident. Dans Hôtel des Amériques, l'actrice donnait la réplique à Patrick Dewaere en se glissant dans la peau d'un personnage qui se situait à mille lieues de l'image glamour qu'elle trimballait alors depuis près de deux décennies.

Depuis cette époque, l'actrice et le cinéaste ont eu l'occasion de se retrouver à quelques reprises. André Téchiné a d'ailleurs toujours trouvé le moyen de proposer à l'icône du cinéma français des rôles par lesquels elle a constamment eu l'occasion de se réinventer.

«Ce qui nous rapproche, Catherine et moi, c'est que nous aimons marcher vers l'inconnu, explique le cinéaste au cours d'un entretien téléphonique accordé à La Presse plus tôt cette semaine. C'est ce que nous aimons faire ensemble. Chaque fois que je fais appel à elle, Catherine sait que le rôle que je lui offrirai ne ressemblera à aucun de ceux qu'elle a tenus dans mes films précédents.»

Une histoire de trahison

Dans L'homme qu'on aimait trop, Catherine Deneuve incarne Renée Le Roux, une femme d'autorité qui, dans les années 70, se retrouve à diriger avec poigne les destinées du casino Le Palais de la Méditerranée à Nice. Trahie par Maurice Agnelet (Guillaume Canet), son homme de confiance, Renée perd pratiquement tout quand sa jeune fille Agnès (Adèle Haenel), amoureuse de Maurice, utilise son droit de vote à titre d'actionnaire pour faire perdre à sa mère le contrôle du casino.

À la Toussaint 1977, la jeune femme disparaît. On ne retrouvera jamais sa trace. Agnelet est accusé. Encore récemment, un troisième procès a eu lieu. Et celui dont la disparue fut follement amoureuse a été condamné en avril dernier à 20 ans de prison, malgré l'absence de preuves directes.

«Quand on m'a proposé de porter cette histoire à l'écran, j'ai tout de suite été séduit, souligne le cinéaste. Je préfère de loin faire des films sur des choses que je ne comprends pas, plutôt que le contraire. C'était pareil pour La fille du RER, même si l'affaire était d'une tout autre nature. Là, c'est comme un triangle amoureux dans lequel surgissent des rapports de domination qui passent d'un personnage à l'autre selon les circonstances.»

Téchiné n'a voulu prendre aucune liberté sur le plan factuel à propos de cette affaire judiciaire réelle. En revanche, il a pu explorer le caractère romanesque d'une histoire dans laquelle une jeune femme est d'abord éperdue d'amour pour un homme de 10 ans son aîné. Ce dernier multiplie pourtant les conquêtes de son côté, et n'entretient guère de sentiment amoureux de même nature envers elle.

«J'y ai vu comme L'histoire d'Adèle H. de Truffaut sur la Côte d'Azur, fait remarquer le cinéaste. Jean-Charles Le Roux, le frère d'Agnès, m'a donné accès à des documents personnels. J'ai ainsi pu lire les lettres enflammées qu'Agnès a écrites, avec cette façon d'aller au bout d'une passion amoureuse. Ça m'a fait rêver. Cela dit, l'aspect romanesque du film prend fin au moment de la disparition de la jeune femme. Le récit emprunte alors une lecture plus juridique. Le film pourrait même être un dossier tant les faits sont relatés de façon rigoureusement exacte. Mais il n'éclaire pas le mystère pour autant.»

Le charme comme une arme

Pour interpréter ce personnage ambigu qu'est Maurice Agnelet, André Téchiné a fait appel à Guillaume Canet. Ce choix s'est imposé très vite.

«Guillaume peut magnifiquement traduire l'ambiguïté d'un personnage dont on ne sait jamais ce qu'il a derrière la tête, dit-il. On a l'impression que ce sourire et cette gentillesse peuvent cacher une dureté terrible. C'est le genre d'homme à qui l'on pourrait donner le bon Dieu sans confession. Il est à la fois charmant et charmeur. Et cela peut se transformer en arme redoutable.»

Cette arme a toutefois pu se retourner contre lui-même le jour où, trahie, Renée Le Roux fut alors prise d'une haine profonde envers celui qui, croit-elle, a manipulé sa fille sur tous les plans.

«Nous voulions faire notamment écho à la puissance et à l'autorité de cette femme, ajoute le cinéaste. Renée Le Roux règne d'abord. Ensuite elle gouverne. C'est ce qui va la perdre. Elle a quelque chose d'impérial et de fragile à la fois. On aimait qu'elle puisse s'inventer un pouvoir tous les jours en changeant un aspect de sa personne. C'est un peu comme si elle était en représentation perpétuelle dans son casino, avec, même, un certain orientalisme. Parfois, c'était la dame de Shanghai! Tout ça nous séduisait. Ce personnage vrai semblait écrit et conçu pour Catherine. Dans mon esprit, aucune autre actrice ne pouvait jouer ce rôle. C'était l'évidence même!»

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L'homme qu'on aimait trop est présentement à l'affiche.