Jason Reitman assure qu'il lit moins que ce que les gens pensent. Mais quand [je] trouve «un auteur qui formule parfaitement les questions que je me pose, je suis plus que disposé et heureux de voler ses idées», a-t-il indiqué, souriant, lors de l'entrevue accordée à La Presse pendant le Festival du film de Toronto.

C'est exactement ce qui s'est passé quand il a lu Men, Women & Children de Chad Kultgen. «J'avais lu ses autres livres et dans celui-ci, j'ai aimé son approche de l'internet: directe, très franche et qui ne porte pas de jugement.»

Plusieurs destins se croisent dans ce roman choral qui, devenu long métrage, met en vedette une troupe composée d'acteurs d'expérience (Jennifer Garner, Adam Sandler, Rosemarie DeWitt, etc.) et de jeunes venus ayant plus ou moins de métier (dont Ansel Elgort, qui a récemment fait merveille dans The Fault in Our Stars).

Le film suit ces adolescents et leurs parents dans leurs tentatives d'avancer dans la vie et de se trouver, à l'heure où la technologie a transformé les communications, les relations, la perception de soi, la vie amoureuse, alouette! Au programme: infidélité, dépendance à la pornographie, anorexie, recherche de la gloire, culture du jeu vidéo. Autant de thèmes qui auraient pu être exploités il y a 10 ou 20 ans. «La grande différence, aujourd'hui, c'est l'accessibilité», souligne Jason Reitman. C'est ce que (dé) montre Men, Women & Children.

«Nous possédons tous ces boîtes magiques qui nous permettent d'explorer facilement les zones de lumière et d'ombre que l'on a tous en nous», poursuit celui dont la fille va bientôt avoir 8 ans et qui, il l'admet, est terrifié par tout ce qui se trouve à portée de ses doigts.

«Je frémis chaque fois qu'elle me demande un téléphone. À 12 ans, je roulais à vélo jusqu'au kiosque à journaux, j'attrapais un magazine Mad, je l'ouvrais, j'y insérais un Penthouse et j'avais quelques minutes pour mémoriser ce que je voyais. Maintenant, à 10 ans, vous allez sur l'internet et vous trouvez des réponses à toutes les questions que vous vous posez... et même à celles que vous ne vous posez pas encore. Le pire début de conversation, aujourd'hui, c'est quand votre enfant arrive et dit: «P'pa, j'ai vu quelque chose sur l'internet...» Il vaut mieux être préparé à avoir des discussions difficiles.»

Et à donner des réponses. Essayer, en tout cas. Chose que le cinéaste et sa coscénariste Erin Cressida Wilson n'avaient pas l'intention de faire ici. Leur but était plutôt de tendre un miroir à la société, de présenter un reflet de la situation actuelle.

«Je ne veux pas être perçu comme quelqu'un qui apporte ou qui possède des réponses. Ce serait présomptueux de ma part. Et puis, ce peut parfois être la raison de faire un documentaire, mais pas une fiction», explique celui qui, de toute manière, s'intéresse avant tout aux gens: «Pour moi, Thank You for Smoking ne traitait pas de la cigarette ni Juno de la grossesse adolescente. J'ai été interpellé par les protagonistes de ces histoires.»

En ce qui a trait à Men, Women & Children, avec lequel il retourne à cet humour grinçant et ce ton en équilibre entre le drame et la comédie qu'il avait délaissés le temps de Labor Day, les protagonistes en question étaient nombreux. Il les a installés à Austin, les vétérans ne venant que pour de courtes périodes, au besoin - «mais c'est énorme pour moi que tous ces acteurs aient accepté de faire partie d'un «ensemble»: Jennifer Garner et Adam Sandler n'ont pas besoin de ça». Les jeunes, eux, sont restés sur place pendant tout le tournage. Avec deux directives de Jason Reitman: «Tant que vous êtes ici, ne vivez pas sur Twitter et ne sortez pas les uns avec les autres.» Bref, black-out sur les médias sociaux et sur les amourettes.

«Dès le premier jour, je les ai pris à part et je leur ai dit: «Vous êtes huit, vous allez vivre une expérience spéciale et votre instinct va vous pousser à mettre des trucs sur Twitter et Instagram. Je vous encourage à ne pas le faire. Vivez cela pour vous-mêmes et personne d'autre. Dans 10 ans, vous me remercierez» », raconte le cinéaste. À qui on a obéi. Parce qu'il savait de quoi il parlait: «Après Juno et Up in the Air, j'ai répondu à tellement de questions que j'ai dû vraiment chercher pour me rappeler des choses que je n'avais partagées avec personne. Je n'en ai pas trouvé. Ça m'a attristé.»