Apôtre de l'hybridation et du mélange des genres, Christophe Gans a choisi de porter à l'écran l'une des oeuvres les plus célèbres du répertoire classique français. Léa Seydoux et Vincent Cassel sont les vedettes de cette nouvelle version, visuellement splendide, de La belle et la bête.

Quand son film est sorti en France, au beau milieu de l'hiver dernier, Christophe Gans (Le pacte des loups) s'attendait à presque tout. Un élément tout à fait inattendu lui a pourtant échappé. Il est certain qu'en portant à l'écran une nouvelle fois le conte classique La Belle et la Bête, il s'attirait les inévitables comparaisons avec la version de Jean Cocteau, véritable chef-d'oeuvre cinématographique réalisé il y a maintenant près de 70 ans.

«Or, indique le cinéaste au cours d'une interview accordée à La Presse, certaines personnes en France m'ont demandé pourquoi j'avais voulu faire un remake du dessin animé de Walt Disney! J'avoue en avoir été chagriné. Je ne m'attendais pas du tout à cela. C'est dire qu'il y a des gens en France qui ignorent l'origine de cette histoire bien française, qui ne connaissent pas Jean Cocteau et qui ne savent pas que le poète en a fait un chef-d'oeuvre avec un acteur nommé Jean Marais. Bref, je me suis retrouvé devant un phénomène que j'ai encore du mal à envisager. Pour beaucoup de gens, enfin peut-être, mon film n'est qu'une adaptation en français d'un film de Walt Disney!»

Faire honneur à la culture d'origine

Aux yeux du cinéaste, il n'y a pourtant pas plus français que ce conte mythique qui apparut en France sous la plume de Gabrielle-Suzanne de Villeneuve en 1740. Même s'il ne s'insurge pas du tout contre l'idée de tourner des films dans une autre langue (il l'a déjà fait deux fois: Crying Freeman et Silent Hill), Christophe Gans estime que certaines oeuvres doivent impérativement faire honneur à leur culture d'origine. Dans le contexte actuel, il trouve pourtant cette profession de foi plus difficile à tenir.

«Les choses ont changé en très peu de temps, fait-il remarquer. À l'époque du Pacte des loups, qui remonte à 2001, faire un film de genre ambitieux de langue française constituait un avantage sur le plan international. Aujourd'hui, le contexte n'est plus du tout le même. Le travail de sape fait par Hollywood a réellement porté ses fruits. La globalisation culturelle est bien en marche. Avec La Belle et la Bête, nous sommes allés dans toutes les villes d'Europe pour promouvoir le film. J'ai pu constater que partout où l'on va, les mêmes productions hollywoodiennes sont à l'affiche.

«À l'époque où j'étais journaliste et que je partais en reportage dans des villes étrangères, je me faisais une joie d'aller voir des films locaux que je n'aurais pas pu voir ailleurs. Aujourd'hui, aussi loin que je puisse aller, même en Chine, les mêmes titres sont repris partout. Nous sommes aujourd'hui dans un cinéma industriellement conçu de façon globale. Il va falloir mettre beaucoup d'efforts si on veut conserver nos particularismes.»

En attendant de pouvoir passer à la réalisation, Christophe Gans a en effet été critique et journaliste de cinéma. Il a en outre fondé Starfix. Consacré au cinéma de genre, le magazine a vécu une douzaine d'années. Son premier long métrage, Crying Freeman, faisait en outre écho à l'esprit de la revue. Dont l'approche était inédite en France.

«En fait, mon premier long métrage était un hybride entre le cinéma romantique, le suspense hitchcockien et les films d'action de Hong Kong, explique-t-il. J'ai ensuite pu faire Le pacte des loups, lequel, en terme de genres, était comme un grand buffet où l'on trouve de tout. Quentin Tarantino a emprunté une voie similaire et il a poussé le concept de l'hybridation jusqu'au maximum. Le danger, cependant, est de tomber dans le pastiche. Le post-modernisme peut parfois basculer vers son versant "ricanant". J'essaie d'éviter cela. Mes films restent quand même sérieux. J'ai un rapport sentimental au cinéma, voire romantique.»

Une proposition magnifique

Aussi n'a-t-il pas hésité à choisir La Belle et la Bête quand un producteur l'a approché pour porter à l'écran une oeuvre classique de son choix, puisée dans la littérature française.

«J'ai trouvé cette proposition magnifique, commente le cinéaste. J'ai d'abord remué plein de choses parce que le répertoire est vaste. Et très riche. Quand je leur suis revenu avec l'idée d'une adaptation de La Belle et la Bête, Jérôme Seydoux, le grand patron de Pathé, m'a demandé si j'avais peur de m'attaquer à un tel monument. J'ai dit non. Il est vrai que Cocteau en a fait l'un des plus beaux films de l'histoire du cinéma français, il y a maintenant près de 70 ans. Je l'ai vu une première fois quand j'étais enfant. J'ai grandi avec ce film. Chaque fois que je le revoyais, je découvrais toujours de nouvelles interprétations. J'ai compris que ce film n'était pas bouclé sur lui-même. Surtout par rapport au texte original. Cocteau a fait son travail de poète. Il a sélectionné les choses qui lui plaisaient et en a laissé pas mal d'autres de côté. J'ai donc essayé de m'engouffrer dans les travées qu'il avait laissées en friche, notamment par rapport au passé de la bête.»

Tourné en Allemagne, sur les plateaux des célèbres studios de Babelsberg, le film est entièrement fabriqué en extension numérique. À cet égard, la postproduction du film a eu lieu à Montréal, sous la direction de Louis Morin, superviseur des effets numériques et visuels. «Mon ambition première était de faire de La Belle et la Bête une oeuvre picturale qu'on regarde comme une série de tableaux», indique Christophe Gans.

Prochaine étape: adapter Jules Verne. Le cinéaste n'a pas encore fixé son choix sur une oeuvre précise de l'auteur de Cinq semaines en ballon, mais il s'attardera sans doute à l'un de ses cycles d'aventures fantastiques.

«Et l'inspiration européenne sera très présente», assure-t-il.

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La belle et la bête prend l'affiche le 10 octobre.

IMAGE FOURNIE PAR NIAGARA FILMS

La Belle et la Bête

Une postproduction faite à Montréal

Bien que, dans les faits, La Belle et la Bête soit une coproduction entre la France et l'Allemagne, l'expertise québécoise en matière d'effets numériques a largement été mise à contribution. Christophe Gans a en effet tenu à ce que les effets visuels soient supervisés par le Montréalais Louis Morin.

«Au départ, nous avons même songé un moment à venir tourner le film ici, expliquait le cinéaste la semaine dernière. Mais nous avons finalement choisi les studios de Babelsberg en Allemagne, car il s'agit d'un vaste endroit à l'ancienne où l'on peut changer les plateaux rapidement. En tant que cinéphile, il y avait aussi un rapport très sentimental. Marcher sur la dalle sur laquelle Fritz Lang a marché aussi, c'est très émouvant!»

La postproduction de ce film fabriqué entièrement en extension numérique s'est toutefois déroulée à Montréal. «Mis à part la scène du naufrage au début, tous les effets ont été réalisés par des Québécois. J'ai choisi Louis, car il avait fait un travail formidable pour le film de Jaco Van Dormael Mr. Nobody. J'ai donc recréé le tandem du film de ce film: Christophe Beaucarne est à la direction photo et Louis Morin aux effets visuels. Comme je leur faisais entièrement confiance, à l'un comme à l'autre, il était tout naturel que la postproduction du film soit faite sous la supervision de Louis, chez lui, dans sa ville, avec ses équipes. On peut donc dire que tous les effets spéciaux de La belle et la bête sont québécois!»

Les trois adaptations les plus célèbres

La toute première adaptation cinématographique de La Belle et la Bête est produite par les frères Pathé en 1899, et réalisée dans la foulée de l'invention du cinématographe. Le conte a été adapté plusieurs fois, mais les trois versions les plus populaires restent sans doute celles-ci:

La Belle et la Bête (1946)

Jean Cocteau

Le poète s'inspire de la version du conte publiée en 1757 par Jeanne-Marie Leprince de Beaumont et en fait l'un des grands chefs-d'oeuvre du cinéma. Avec Josette Day et Jean Marais.

Beauty and the Beast (1987)

Série télé

Pendant trois ans, le conte a été adapté pour une série télévisée américaine. Ron Perlman et Linda Hamilton sont les vedettes de cette production dont l'intrigue est transposée à New York dans les années 80.

Beauty and the Beast (1991)

Dessin animé

Le dessin animé des studios Disney obtient deux Oscars (meilleure trame musicale et meilleure chanson originale). Il devient aussi le tout premier film d'animation finaliste aux Oscars dans la catégorie du meilleur film de l'année.