Avec Le règne de la beauté, le chef de file du cinéma québécois réclame le droit d'aller ailleurs que là où on l'attend. De toute façon, sa vie ne dépend plus du succès ou de l'échec d'un film.

Il déteste l'exercice du jeu promotionnel. Il ne s'en cache pas. Il préférerait sans doute subir un traitement de canal plutôt que de s'asseoir face à un journaliste de cinéma aux fins d'interview. Pourtant, l'homme se prête au jeu avec élégance, sans faux-fuyants, avec le sourire.

Au lendemain de la grande première du Règne de la beauté, même en sachant que l'accueil du public invité ne frôlait en rien le délire, Denys Arcand évoquait le grand plaisir que constitue pour lui le tournage d'un film.

«Les raisons pour lesquelles je fais du cinéma sont exactement les mêmes qu'au début, dit-il. Cela n'a pas varié d'un iota. La seule chose qui a changé est mon âge. Je suis vieux maintenant. Donc, je suis fatigué. En même temps, je bénéficie d'une espèce de liberté, car ma vie ne dépend plus de la carrière de mes films. Avant, il fallait absolument que je réussisse. À l'époque du Déclin de l'empire américain, j'avais 45 ans. C'était do or die. C'est-à-dire que si le film n'avait pas marché, j'aurais probablement dû me tourner vers autre chose. Aujourd'hui, je fais du cinéma vraiment par goût. Je suis bien là-dedans. J'aime ça être sur un plateau, explorer des trucs, essayer des choses. Évidemment, j'espère que le film va plaire et qu'il sera aimé par le plus grand nombre, mais ma vie n'en dépend plus. C'est le genre de liberté qu'acquièrent les vieux cinéastes quand vient ce moment où ils n'ont plus rien à prouver.»

Une parenté lointaine

Le récit du Règne de la beauté s'attarde à décrire la vie d'un jeune architecte (Éric Bruneau) vivant dans la région de Charlevoix. Cet homme, marié à une femme dotée d'une santé mentale fragile (Mélanie Thierry), se laisse tenter par une aventure sans lendemain que lui propose une Torontoise (Melanie Merkosky) lors d'un voyage d'affaires dans la Ville reine. Cette histoire sert aussi de prétexte pour entrer dans le cercle d'amis intimes du protagoniste. D'où cette parenté lointaine avec Le déclin de l'empire américain. À la différence des personnages du Déclin, issus de la même génération que le cinéaste, les trentenaires du Règne de la beauté ne semblent pas avoir beaucoup de choses significatives à dire.

«Les personnages du Déclin sont des historiens, des profs, explique Denys Arcand. Par définition, ces gens sont très volubiles et ils ont des idées sur tout. Là, nous entrons dans l'univers d'architectes. Ce sont des esthètes qui se préoccupent avant tout des textures et des couleurs. Ce sont des personnages plus silencieux, apolitiques, dont l'intérêt est de trouver les meilleurs matériaux. En plus, tous les personnages du Règne détiennent un secret et sont tenus au silence pour le bien de l'amitié que partage le groupe. Pendant le tournage, je ne voyais honnêtement pas beaucoup de différences entre les préoccupations de ces jeunes gens et ce que je vivais à leur âge. Ça se ressemble beaucoup. Les jeunes sont cependant plus sérieux que nous ne l'étions.»

Un roman devenu film

Denys Arcand travaille sur ce projet depuis quatre ans. Au tout début, il comptait publier cette histoire sous la forme d'un roman.

«Après avoir écrit une centaine de pages, j'ai été assailli par le doute, reconnaît-il. Je suis allé voir un ami éditeur. Il a trouvé ça laborieux, pas terrible. Et il m'a dit qu'on ne devient pas romancier à 70 ans. Quand je lui ai raconté où s'en allait le récit, et mon intention de faire entrer le personnage dans une école d'architecture, ça l'a intéressé davantage. Mais il m'a dit d'en faire un film. J'ai écrit une première version du scénario et je suis parti de là.

«J'avais déjà perdu un an sur l'écriture du roman, poursuit-il. Comme je fais beaucoup de recherches, j'ai aussi mis beaucoup de temps à me documenter sur le domaine de l'architecture. J'ai tendance à me perdre dans les détails. Qui ne se retrouvent pas obligatoirement dans le film, mais qui, moi, m'intéressent.»

Doté d'un budget d'environ 7 millions de dollars, Le règne de la beauté est une production entièrement québécoise. L'architecte Pierre Thibault a par ailleurs agi à titre de consultant. La causticité à laquelle nous a habitués le cinéaste dans ses films n'est cette fois pas au rendez-vous. Il n'y a pas ici de critique sociale non plus. Autant L'âge des ténèbres, son précédent film, était grinçant, autant Le règne de la beauté vise l'apaisement.

«Les gens me prêtent des intentions, on dirait, commente-t-il. Je ne sais pas d'où ça vient. C'est très agaçant de toujours avoir à se défendre contre de fausses perceptions. Cette fois, j'avais le goût de faire un film plus intérieur, plus serein. Quand j'ai fait lire le scénario à des producteurs français, au tout début, ils ont demandé: «Mais où sont les dialogues brillants auxquels nous sommes habitués? On ne les retrouve plus!» Ben j'ai envie de faire autre chose. Est-ce que je peux? C'est la malédiction d'avoir réalisé des films qui ont marché, qui ont marqué les gens, qui sont restés. Au goût de certaines personnes, il faudrait que je refasse toujours le même film. Il y a des gens qui voudraient me voir refaire Réjeanne Padovani à cause de la commission Charbonneau. Non, ça ne me tente pas. Je l'ai déjà fait il y a 40 ans! À moins d'être juste motivé par l'argent, l'intérêt pour un cinéaste est d'aller ailleurs et de faire des choses qu'il n'a encore jamais faites. Pour moi, Le règne de la beauté est un film contemplatif. On regarde les buildings, les maisons, la nature, on suit l'arrivée et le départ des saisons. J'en suis rendu là dans ma vie. Ai-je le droit? D'autres cinéastes s'occuperont désormais de faire la critique de la société!»

Pas à Cannes

Le règne de la beauté n'a pas été retenu par le comité de sélection du Festival de Cannes, où Denys Arcand a déjà reçu un prix du jury (Jésus de Montréal en 1989) et un prix du scénario (Les invasions barbares en 2003).

«Nous leur avons envoyé une copie de travail vraiment pas complète et je n'ai pas eu le moindre contact avec eux, dit-il. On ne m'a pas dit pourquoi le film n'a pas été retenu. Il est certain que j'aurais aimé retourner à Cannes, mais bon, j'ai déjà eu l'occasion d'y aller souvent.»

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Le règne de la beauté prend l'affiche le jeudi 15 mai.

Ils ont dit...

Même si le nouveau film de Denys Arcand se veut plus intimiste que ses moutures précédentes, sa distribution demeure impressionnante. La Presse s'est entretenue avec cinq acteurs.

ÉRIC BRUNEAU - LUC

Au Règne de la beauté du titre fait écho la désagrégation de l'amour du couple, retient-on d'une conversation avec Éric Bruneau, qui incarne Luc, personnage principal du film de Denys Arcand. En couple avec Stéphanie, Luc refuse de voir que son couple est au plus bas. Sa rencontre avec Lindsay, une femme mystérieuse de Toronto, servira de catalyseur à un virage dans sa vie. «Le passage de Lindsay éveille quelque chose en lui. Ça lui fait réaliser qu'il n'est plus bien avec sa femme et que la vie qui, croyait-il, le satisferait toujours, ce n'est plus ça, dit le comédien. Ce n'est pas une question d'un homme qui choisit une petite jeune. Le film de Denys nous dit que l'amour peut revenir. Ce regard est beau.»

MELANIE MERKOSKY - LINDSAY

Elle est née à Calgary, a habité à Toronto et vit à Los Angeles. Et la comédienne Melanie Merkosky nous balance cet étonnant constat: Denys Arcand est l'incarnation parfaite du cinéaste canadien. «J'ai découvert Denys par Les invasions barbares. Il raconte des histoires sans jamais rendre les choses trop compliquées. Dans ses films, on se sent canadien dans le coeur. Pour le décrire, le mot simplicité me vient à l'esprit.» Lorsqu'on lui suggère que derrière la vulnérabilité de son personnage se cache une manipulatrice, elle sourit. «Lindsay pose un geste auquel plusieurs personnes songent sans jamais aller de l'avant, suggère-t-elle. Oui, elle est un peu manipulatrice, mais je crois que c'est nourri par un espoir. Elle veut tomber amoureuse une autre fois.»

MARIE-JOSÉE CROZE - ISABELLE

Entre Isabelle, son personnage de médecin du Règne de la beauté et Nathalie, la junkie des Invasions barbares, il y a un monde de différences. Or, il y a aussi des correspondances, dit Marie-Josée Croze. «Ce sont des personnages très humains, tous les deux, confie la comédienne. Dans Les invasions barbares, la junkie voulait soulager la souffrance de Rémy (Rémy Girard) en lui fournissant de l'héroïne. Isabelle, elle, s'aperçoit la première que Stéphanie (Mélanie Thierry) ne va pas bien et elle va en informer son mari (Luc). Elle n'est pas qu'un médecin dans la vie, mais quelqu'un qui a besoin d'aider l'autre.»

GENEVIÈVE BOIVIN-ROUSSY - MÉLISSA

«Mélissa est une petite boîte à surprises. Elle est rafraîchissante. Mais elle se sent inférieure aux autres. C'est peut-être pour ça qu'elle se rapproche de Stéphanie. Elle a l'impression qu'elle peut la comprendre et veut la sauver», explique Geneviève Boivin-Roussy à propos de son personnage, conjointe d'Isabelle, mais attirée par Stéphanie. Comme plusieurs autres, elle en était à sa première collaboration avec Denys Arcand. Or, son conjoint Pierre-Philippe Côté a aussi participé au film en signant la musique originale.

MATHIEU QUESNEL - NICOLAS

Mathieu Quesnel a tourné deux films québécois en même temps: Le règne de la beauté et Le vrai du faux d'Émile Gaudreault (sortie le 9 juillet). «Je faisais des allers-retours entre les deux productions. Dans une même semaine, on tournait Le vrai du faux à Thetford Mines et Le règne de la beauté à La Malbaie. Je faisais une journée à un endroit et le lendemain à l'autre!», lance le comédien qui joue surtout au théâtre. Dans le film, Quesnel interprète Nicolas, architecte et meilleur ami de Luc. Il a une vision plus fataliste de la vie et sert aussi de caution morale à Luc. «Mon personnage est plus accessible, dit Quesnel, avec un sens de l'humour plus développé que Luc. Mais en même temps je conseille à Luc de mentir. Je ne suis pas clean

- André Duchesne