Dans le cadre de leur série mensuelle Docville, les Rencontres internationales du documentaire de Montréal (RIDM) présentent, en première québécoise, The Unknown Known, le plus récent film du réalisateur oscarisé Errol Morris, consacré à Donald Rumsfeld. Dans une entrevue accordée à La Presse, le cinéaste américain explique à quel point l'ancien secrétaire à la Défense demeure à la fois insaisissable et imperméable aux critiques entourant le côté obscur de l'intervention militaire américaine en Irak.

Au cours de sa longue carrière dans l'administration américaine, Donald Rumsfeld a laissé des dizaines, peut-être des centaines de milliers de mémos envoyés à ses adjoints et collaborateurs. Des mémos qui en disent nettement plus long que lui-même sur ses idées, ses lubies, ses travers.

C'est ce que nous fait découvrir le documentariste Errol Morris tout au long de The Unknown Known, son nouveau film consacré à l'ancien secrétaire de la Défense des États-Unis. Utilisant comme toujours l'art de l'interview, Morris laisse Rumsfeld s'exprimer librement sur les sujets les plus controversés (l'invasion en Irak, les tortures de la prison d'Abu Ghraib, Guantánamo) pour ensuite mieux le confronter à ses propres contradictions. Comment? Grâce aux archives des notes qu'il a explorées avec la patience d'un archéologue.

«Rumsfeld révèle beaucoup de choses sur lui-même à travers ses archives, dit le cinéaste en entrevue téléphonique depuis Los Angeles. Lorsqu'il parle, on sent chez lui une volonté de ne jamais être perçu comme quelqu'un prenant des décisions claires. Or, au contraire, ces décisions, il les a prises, comme le laissent voir ses notes denses et surchargées.»

L'exemple le plus simple nous vient des fameuses photos prises à la prison d'Abu Ghraib où, durant des quarts de travail nocturnes, les geôliers militaires américains ont humilié, terrorisé, torturé leurs prisonniers irakiens.

«Un des moments les plus forts de nos entretiens [30 heures en tout] survient lorsqu'il me dit avoir été dégoûté de ces photos. Or, je lui faire lire un mémo de William Haynes, son conseiller juridique, qui propose l'usage de gestes tels la nudité, les situations de stress ou encore de laisser les prisonniers debout durant de très longues périodes. Et que fait Rumsfeld? Il signe la suggestion en annotant: «Je reste aussi debout durant de longues périodes et je ne vois pas de problèmes avec ça»», lance M. Morris avec une colère évidente dans la voix.

Le visionnement du documentaire n'est pas sans rappeler The Fog of War, oeuvre qui avait valu au cinéaste l'Oscar du meilleur documentaire il y a dix ans. Normal, ce film traitait aussi d'un secrétaire de la Défense, à savoir Robert McNamara. Or, ce dernier avait fait un retour dans le temps avec une certaine ouverture d'esprit. Pas dans le cas de Rumsfeld. Chez lui, pas de remords, pas de doute et encore moins d'excuses. Dans une joute rhétorique mémorable avec son intervieweur, il esquive tout.

«The Unknown Known n'est pas une répétition de The Fog of War, dit M. Morris. En fait, il me fait davantage penser à Mr. Death, documentaire que j'ai réalisé sur Fred A. Leuchter [NDLR: un négationniste américain]. Comme Leuchter, Rumsfeld est davantage frappé par ce qu'il ne voit pas que par ce qu'il voit. Il est plus fasciné par ses fantaisies que par la réalité. Cet homme argumente constamment que l'évidence n'est pas importante.»

Lorsqu'on lui demande s'il a de la sympathie pour son sujet, Errol Morris répond par la négative. «Il a tellement de sentiments dégoûtants! dit-il. Rumsfeld était un homme avec un pouvoir énorme. Il commandait le plus imposant appareil militaire de l'humanité. Il m'est difficile d'avoir de la sympathie pour lui, qui nous a conduits à la guerre sur un immense charabia.»

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The Unknown Known sera présenté jeudi à compter de 20h au cinéma Excentris. Il sera offert cet été en DVD.